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Monde

Macron l’Africain : veni, vidi, vicié

Le Dialogue

Photo : JOEL SAGET / AFP

La nuit dernière, j’ai fait un rêve étrange et pénétrant. Lors d’une tournée en Europe, le président Joe Biden faisait étape au Danemark. Et lors de la conférence commune des deux chefs de gouvernement, le premier ministre danois, à la tête d’un pays 57 fois moins riche que la première économie mondiale, mécontent des propos de Joe Biden à la presse, se permettait de morigéner devant elle le président américain. Notamment, il l’appelait à cesser le paternalisme Otanien en Europe, tout en concluant sa philippique par une allusion perfide aux récentes turpitudes électorales américaines et aux accusations de fraude. 

Voilà une provocation à laquelle peu de chancelleries se risqueraient, et qui n’arrivera pas. D’abord, Joe Biden est trop adroit pour blesser publiquement le Premier ministre danois et risquer un malaise. Ensuite, plus prosaïquement, même si Biden dérapait, les danois hésiteraient à répliquer trop vertement, car ils ont trop besoin du parapluie américain. Qui irait se mettre à dos le chef d’un pays aussi puissant ? 

C’est pourtant ce qui s’est passé lorsqu’Emmanuel Macron est venu visiter la RDC, dont le poids économique relatif par rapport à la France est peu ou prou celui qui lie le Danemark aux Etats-Unis. Félix Tshisekedi s’est permis de reprendre Macron sur certains de ses propos tenus en conférence et de lui demander tout de go d’arrêter le paternalisme français en Afrique. 

L’époque a changé, bien sûr. Mais comment ne pas voir dans cette admonestation publique une forme de pied de nez à un pays qui est en train de disparaître géopolitiquement de la zone ? En vingt ans, nos parts de marché sont passés de 10,6 à 4%. La Chine est passée de 3,8 % à 18,8 % du commerce africain. Depuis 2022, l'armée française a été poussée hors du Mali et du Burkina Faso par les juntes au pouvoir dans ces deux pays.

On se souvient que c’est dans ce même pays qu’Emmanuel Macron avait humilié le président Burkinabé Roch Marc Christian Kaboré en répondant à un étudiant que c’était le job de son homologue de faire en sorte que l’électricité fonctionne dans le pays puis, en le voyant sortir de scène, avait plaisanté en s’écriant “Du coup, il est parti réparer la climatisation !”.

Peut-être que Félix Tshisekedi a vengé Kaboré, et mouché un occidental que beaucoup d’élites africaines trouvent un peu trop à leur goût en surplomb. 

Il faut dire que fidèle à son habitude, Emmanuel Macron a voulu parler en RDC de l’histoire collective des conflits des grands lacs, conflit entamé dans le génocide du Rwanda puis poursuivi à travers le conflit civil congolais avec une intrication complexe des rapports tribaux, religieux, ethniques et des sponsors extra-territoriaux puissants. 

En allant expliquer lors de sa conférence de presse qu’il était prêt à prendre ses responsabilités mais que la défaillance étatique en RDC n’était pas de notre fait, il n’a fait qu’énoncer certaines vérités. Mais en diplomatie, toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, et remuer le passé complexe est un job d’historien, pas de responsable politique.

Plus que le fond, c’est le ton adopté, professoral pour ne pas dire arrogant, qui a fait sortir de ses gonds son homologue congolais. Pourtant, le 27 février, Macron avait expliqué vouloir mettre la relation avec l’Afrique sous le signe de … l’humilité. Cela s’appelle marquer un penalty contre son propre camp, à moins qu’il ne visât pas l’humilité mais « humiliation » ? Dans ce cas, c’est une curieuse manière de lancer un partenariat… 

La conférence de presse a ainsi clos une séquence hasardeuse, pour ne pas dire chaotique, pour le président français, venu parler d’écologie, d’histoire, d’agriculture, de business, de politique, de démocratie, de droits de l’homme…et tout cela en 72 heures chrono, ce qui était en soi une erreur. De Gaulle, tout de Gaulle qu’il était, avait consacré 9 jours en 1958 à sa tournée pour convaincre le continent de le suivre sur une nouvelle relation. Et encore ne visait-il que nos anciennes colonies, alors que Macron lui visait l’entièreté de l’Afrique au travers d’étapes plus diversifiées : une ancienne colonie belge et une portugaise aux cotés de deux françaises. 

La tournée a débuté au Gabon, en venant assister à un sommet sur les forêts tropicales. Cela aurait pu être une excellente occasion pour témoigner de la volonté française d’œuvrer sur le continent à de meilleures pratiques de ses entreprises. Hélas, il n’en fut rien. Sans doute parce qu’il est complexe pour la France d’être totalement crédible sur ce dossier environnemental alors que ses entreprises en Afrique frôlent la ligne rouge. Total par exemple, mène un projet d’exploitation pétrolière au sein de la plus grande aire protégée d’Ouganda, le parc national de Murchinson Falls, et conserve des droits de prospection dans les tourbières de la République du Congo, des zones marécageuses formées il y a plusieurs milliers d’années qui peuvent stocker plus d’un millier de tonnes de CO2. 

Le Président Macron a donc opté au Gabon pour insister sur la « fin de la Francafrique », déjà promise en son temps par François Mitterrand et Pierre Cot en 1981. Le Gabon, pays de l’inusable Omar Bongo, aurait pu être un choix idéal, si son fils, Ali, n’organisait pas des élections cette année, après avoir été réélu dans des conditions équivoques en 2016. Comment ne pas penser que cette ouverture du programme en Afrique ne venait pas donner un coup de pouce au président en exercice ? 

D’autant qu’après être allé en Angola - qui lui n’a absolument aucun lien avec la Françafrique - le président a replongé dans notre ancienne zone d’influence en faisant une brève escale à Brazzaville, où Denis Sassou Nguesso dirige d'une main de fer le Congo depuis près de 40 ans… L’escale a été suffisamment courte pour fâcher le président congolais et suffisamment longue pour que l’émotion gagne les défenseurs des droits politiques. 

Enfin, la fin de la Françafrique avait visiblement été reçue 5/5 par Félix Tshisekedi qui a scié sans modération le petit podium symbolique sur lequel le président français entendait sermonner les africains. 

Au final, la visite du président Français aura plus brouillé l’image de la France que la simplifier. L’opinion publique française a davantage entendu parler de sa dernière tournée (de bière) à Kinshasa, en bras de chemise, que de ses annonces pour le continent… Sur quatre pays, deux chefs d’État - Congo et RDC - sont probablement ressortis mécontents, un exploit. Les défenseurs des droits civiques et démocratiques n’auront probablement pas perçu Le En Même Temps macronien au Gabon et au Congo. Enfin, s’il s’agissait de paraître fort et humble, la conférence de presse en RDC aura malheureusement convaincu le monde que la France d’Emmanuel Macron est faible et arrogante.