Il en est encore pour se poser la question de savoir si les islamistes nous haïssent pour des raisons ontologiques, ou bien à cause des « provocations » que seraient caricatures publiées dans « Charlie hebdo » ou encore du fait de nos désastreuses interventions militaires en terre d’islam.
Si effectivement, les caricatures et les interventions en Afghanistan, en Lybie, au Mali puis en Syrie n’ont pas été dans le sens d’une « pacification » des relations entre l’état français et les groupes islamistes, il serait hasardeux de limiter la détestation que nous vouent les islamistes sur ces seuls éléments.
Pour illustrer mon propos, je vais vous faire part de ce qu’était notre formation politique par Al Qaïda en Afghanistan. Pour rappel, nous sommes en 1994, et à cette date, les caricatures et les interventions de l’armée française, citées plus haut, n’ont pas encore eu lieu.
Tous les matins donc, lors de la séance de sport, nous devions suivre notre formateur en entonnant ceci. Lorsqu’il nous criait « la charqiya, la gharbiya », « Ni de l’Est, ni de l’Ouest ! », nous devions répondre « islamiya ! islamiya ! », « islamique, islamique ! » Il s’agissait de signifier que notre projet politique n’était pas d’inspiration occidentale ou encore de l’ex URSS, mais bel et bien unique. Le principal de la formation idéologique résidait dans le module « stratégie et tactique ». On nous disait qu’il était possible de nouer des alliances « conjoncturelles » sans que pour autant elles ne puissent jamais être « structurelles ». Un ennemi puissant pouvait être combattu aux côtés d’un ennemi plus faible. Mais dès que le premier serait vaincu, il faudrait dénoncer l’alliance avec le second. En cela, nous constatons que le cynisme et le machiavélisme ne sont pas l’apanage de « l’homme occidental ».
Il arrivait également que le sermon du vendredi reprenne des éléments politiques étudiés durant la semaine précédente.
Ce fut le cas un vendredi lorsque notre imam, Abou al Harith al Somali, descendra en flammes Voltaire, Rousseau et Montesquieu. Cela m’avait d’ailleurs presque fait éclater de rire en entendant ces trois noms prononcés avec un accent à couper au couteau. Intrigué, j’étais allé voir notre imam pour lui demander la raison de la citation des ces trois noms. En fait, celui envers lequel Abou al Harith nourrissait le plus de mépris était Rousseau à cause de son idée de contrat social. Ce qu’il reprochait à ce dernier, était la notion d’égalité en droit et devoir de tous les citoyens, sans distinction de confessions, entre autres.
Sachant que dans un état islamique, les juifs et les chrétiens sont des sous-citoyens, frappés par plusieurs interdictions, il ne saurait être question d’égalité confessionnelle. Dans un état islamique il n’y a pas égalité de droits et de devoirs entre un musulman et un juif, ou entre un musulman et un chrétien. Quant aux athées, aux apostats, aux libres penseurs et autres « associateurs », leur droit se résume au devoir à la (re)conversion, à l’exil ou à la mort.
Il y a aussi le concept de laïcité qui nourrit l’adversité des tenants du projet d’un état islamique vis-à-vis de la France. Une laïcité qui appartient à la constitution française de 1958, qui consacre que la république française est une « république indivisible, démocratique, laïque et sociale ». Cette notion de laïcité est parfaitement inaudible pour les islamistes. La césure entre le religieux et le politique n’est pas une vision que les islamistes peuvent avoir, car quand l’islam est un projet politique « ce qu’il est pris à César ne lui est jamais rendu. » Il n’y a pas de séparation entre le pouvoir religieux et le pouvoir séculier en islam.
Il y eu aussi une précision que j’ignorais à l‘époque et que notre imam m’apprendra, lorsqu’il me dira que « la constitution française est l’une des rares au monde ne faisant pas mention de Dieu. »
Notre émir avait eu cette image un jour qui résume parfaitement ce qu’il en était :
« Si la mécréance était un corps, son bras droit armé serait les U.S.A., son bras gauche militaire serait la fédération de Russie, son cerveau serait l’Angleterre, et son cœur serait la France. »
En fait, les idéologues du djihad vouent une détestation ontologique à la France puisque ces deux camps nourrissent deux visions du monde opposées, et deux projets de sociétés aux antipodes l’une de l’autre.
Par-delà les caricatures et les interventions militaires (aventureuses), les islamistes haïssent la France pour sa proposition politique d’un modèle sociétal dans lequel les athées ont autant de droits et de devoirs que les croyants, et inversement, tout autant que prônant l’égalité entre femmes et hommes.
Que « Charlie » et notre personnel politique semblent jeter de l’huile sur le feu ne change rien sur le fond de cette détestation que vouent les islamistes à la France. Le problème n’est pas l’huile mais bien le feu.