Accueil recherche MENU

Editos

OPEP, Russie, Iran, Chine… : L'Arabie saoudite prend ses distances avec Joe Biden, et l'imperium américain avec

Le Dialogue

Malgré les pressions américaines, le cartel de l’OPEP mené par l’Arabie saoudite avait déjà décidé il y a quelques mois de réduire sa production de pétrole. Ce fut une véritable humiliation pour Biden… et un véritable cadeau pour Poutine. Dernier coup de théâtre et nouveau revers pour l’impérium américain : Riyad et Téhéran, les vieux rivaux régionaux du Moyen-Orient, qui avaient rompu leurs liens il y a plus de sept ans, viennent d’engager, de manière très officielle et en grande pompe, des pourparlers et ont annoncé il y a quelques jours, la réouverture de représentations diplomatiques dans les deux mois…Tout ceci sous l’égide de la Chine !  

Les rapports entre Moscou et Riyad se sont grandement améliorés et approfondis depuis 2016 et les accords OPEP+Russie. En octobre dernier, la décision du cartel pétrolier de réduire sa production de pétrole de 2 millions de barils par jour pour le mois de novembre, alors que Washington et Paris réclamaient une hausse, n’avait fait que confirmer cette nouvelle inflexion géostratégique et historique.

C’était surtout un véritable bras d’honneur lancé par Mohammed ben Salman (MBS), le prince héritier saoudien et plus que jamais l’homme fort du royaume, à ses alliés occidentaux et, surtout, aux présidents américain et français. 


Biden et Macron réhabilitent MBS
En effet, cette décision fut un nouveau camouflet pour Joe Biden et Emmanuel Macron, qui avaient pourtant, toute honte bue et pitoyablement, mis en sourdine leurs critiques et condamnations envers MBS l’ «assassin» (dans l’affaire Khashoggi), pour ensuite le réhabiliter (par la visite de Biden à Djedda mi-juillet et la réception à l’Élysée du jeune prince héritier fin juillet) dans le contexte de leur guerre larvée contre la Russie via l’Ukraine.

Dans son conflit en Ukraine, le Kremlin a besoin que le prix du pétrole reste élevé. Depuis février 2022, Moscou aurait engrangé des centaines de milliards d’euros grâce à ses exportations. C’est pourquoi Washington et Paris avaient tout intérêt à faire les yeux doux à MBS, pour que l’Arabie saoudite, l’un des principaux producteurs de pétrole et véritable leader de l’OPEP, augmente sa production afin de faire baisser les prix du brut et ainsi freiner l’inflation en Occident. Le tout pour fragiliser et « saigner » la Russie, comme l’avait fait en son temps Ronald Reagan et le roi Fahd contre l’URSS… 

Or les temps ont changé. Comme je l’expliquais dans mon livre Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020) depuis 2016 et les accords OPEP+Russie, Moscou et Riyad ont entrepris un rapprochement et un renversement géostratégique historique. Les liens personnels entre Poutine et MBS ne faisant que se renforcer depuis. Notamment du fait que le maître du Kremlin sera le seul et dernier dirigeant occidental (après la défaite de Trump) à soutenir le jeune prince lors de l’affaire liée à l’assassinat du dissident saoudien Jamal Khashoggi, proche des Frères musulmans (organisation interdite et considérée comme terroriste en Russie). 

A la fin du mois de septembre 2022, MBS avait endossé le rôle de médiateur puisqu’il avait réussi à faire libérer des prisonniers occidentaux – dont deux Américains et cinq Britanniques – détenus par les Russes. Il avait démontré ainsi que ses bonnes relations avec Poutine pouvaient servir les Occidentaux…  

Le futur roi d’Arabie saoudite, vainqueur de ce bras de fer diplomatique de deux ans avec la Maison Blanche, avait surtout rappelé qu’il fallait compter sur lui et son pays, un allié précieux et un puissant État pétrolier, dans la crise énergétique actuelle. Il affichait surtout son absence de crainte quant aux poursuites judiciaires outre-Atlantique et en France l’accusant de complicité de torture et de disparition forcée en lien avec le meurtre de Khashoggi. Enfin, les dernières décisions de l’OPEP furent également une manière pour le jeune prince d’exprimer, avec une certaine satisfaction, son mépris pour des dirigeants qui, il y a encore un an, le considéraient encore comme « infréquentable » ou pire, voulaient le « punir », et qui à présent aux abois, lui ont déroulé le tapis rouge… MBS avait d’ailleurs refusé de prendre les appels téléphoniques du président américain avant la visite de ce dernier en Arabie saoudite cet été ! 

 

Un Occident de plus en plus décrédibilisé
A présent, les Occidentaux luttent chez eux contre une inflation galopante, tirée par les prix de l'énergie. D’où la fureur, après les dernières décisions de l’OPEP, de l’administration Biden, très en difficulté lors des dernières élections américaines de novembre. En outre, en Europe comme aux États-Unis, cette réduction de la production mondiale risque d'annihiler une partie des coûteuses politiques mises en place pour juguler les prix de l'énergie et l'inflation. D’autant que, puisque le cours mondial du brut remonte fortement, l’Inde et la Chine, très dépendantes en hydrocarbures, risquent fort de taire leurs dernières mais non moins prudentes réserves vis-à-vis de la Russie et de sa guerre en Ukraine, pour de nouveau se ranger derrière Moscou.

De même, avec les idéologues démocrates et Joe Biden, l’hyperpuissance américaine semble marquer le pas dans sa domination mondiale. La politique de sanctions maximales contre la Russie s’avère un échec cuisant. L’hégémonie mondiale des États-Unis semble même connaître son crépuscule. Seule l’Europe obéit encore aveuglément et stupidement aux ordres de la Maison Blanche et ce, contre ses propres intérêts. 

Si dans un premier temps, l’opération russe en Ukraine permet aux Américains de confirmer leur mainmise politique, énergétique et militaire sur une Europe définitivement inféodée à Washington, la politique viscéralement antirusse de l’administration Biden sera assurément, à long terme, une erreur géopolitique majeure pour les États-Unis face à leur véritable menace existentielle : la Chine.

C’est pourquoi aucun des grands pays d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie n’a suivi l’hystérie américaine et européenne contre la Russie, préférant respecter leurs agendas et intérêts, sans obéir à l’ancien gendarme et «boussole» du monde. C’est aussi la raison pour laquelle, ignorant les pressions de Washington dans sa croisade antirusse et au grand dam des Occidentaux, l’Arabie saoudite mais également la plupart des pays arabes et du Golfe, membres de l’OPEP+, refusent encore de rompre avec leur allié russe et le condamner. Concernant les rapports entre Moscou et Riyad, le demi-frère de MBS et ministre de l’Energie du royaume saoudien, Abdelaziz ben Salman, l’avait très bien rappelé : « Ce n’est pas juste un mariage de circonstances » ! 

Les relations internationales ne se résument pas à des considérations commerciales, idéologiques ou émotionnelles (surtout à géométrie variable !). Ce sera toujours le réalisme mais également des questions psychologiques qui prévaudront. A l’inverse de ce qu'était le pragmatisme politique de Trump, Biden et ses homologues progressistes européens n’ont cessé de critiquer les régimes autocratiques arabes pour leur gouvernance, avec des airs de supériorité morale qui exaspèrent tant la région mais aussi le reste du monde. Aujourd’hui, l’Arabie saoudite, et avec elle d’autres États arabes, ne font que nous rendre, tragiquement, la monnaie de notre pièce. Cela s’appelle la realpolitik ! Même si l’Égypte, en difficulté financière et par crainte des sanctions américaines, avait suspendu (pour l’instant) son récent accord avec Moscou à propos de l’adoption du système de carte de paiement russe MIR dans ses stations balnéaires et ses hôtels, d’autres n’entendent plus se laisser dicter leur politique par Washington ou les Occidentaux en général.

Le Maroc a signé, à la fin de l’année dernière, un accord bilatéral avec le Kremlin en matière de coopération nucléaire civile (nouvelle preuve de défiance vis-à-vis également de Paris). Autre signe des temps, les Émirats arabes unis dont le président, Mohammed ben Zayed (MBZ) avait rencontré, en octobre à Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine. Officiellement, MBZ s’était rendu chez le « paria » russe afin de proposer sa médiation et une « mission de paix ». En réalité, il s’agissait surtout de parler pétrole. Cette visite remarquée était révélatrice du changement de l’axe de gravité géopolitique mondial en cours. Elle confirme surtout, malgré les tensions internationales actuelles, la consolidation des relations entre la nouvelle « République de Venise » du Moyen-Orient, puissance militaire mais surtout diplomatique et d’influence devenue incontournable dans la région, et la Russie, initiée déjà depuis quelques années (cf. Poutine d’Arabie).
 

Revenir au temps long

Il n’est dès lors guère étonnant qu’une adhésion aux BRICS soit toujours envisagée par l’Égypte, les EAU et… l’Arabie saoudite. Cette dernière a déjà bien entamé des pourparlers avec Pékin pour abandonner le dollar américain au profit du yuan dans les transactions pétrolières, ce qui va dans le sens de la dédollarisation souhaitée par Moscou...
Pour les observateurs non occidentaux et les 4/5e du monde, cette guerre en Ukraine entre Européens, Américains et Russes est autodestructrice et un véritable suicide géopolitique et économique pour l’Occident. Pour eux, à tort ou à raison, elle ne fera que précipiter le déclin moral et matériel, déjà bien engagé, de cette Amérique et de cette Europe en qui ils n’ont plus aucune confiance et dont ils méprisent les leaders, totalement discrédités et toujours prêts à toutes les humiliations et compromissions pour quelques dollars ou euros. 

Les régimes arabes préfèrent dès lors se détourner de l’Ordre mondial américain et miser plutôt sur la Chine et même la Russie. Car cette dernière, en dépit des erreurs et difficultés actuelles en Ukraine, a démontré ce dont elle était capable depuis dix ans et dans toutes les crises et conflits, desquels elle est d’ailleurs toujours sortie victorieuse. Notamment en Syrie, même si les deux conflits ne sont pas de même nature ni de même ampleur. 

Les dirigeants de la région MENA semblent imperméables à l’extraordinaire propagande atlantiste qui inonde et sature les médias occidentaux. Ils ne croient absolument pas en une défaite russe ni même à la chute de Poutine. Ils font apparemment confiance à la résilience de cette nation qui joue à présent sa survie et dont les responsables ont toujours démontré une maîtrise historique parfaite et éprouvée du temps long et surtout des guerres d’usure.

En attendant, les Chinois accélèrent également leur influence toujours plus grandissante dans la région. Dernier coup de théâtre et nouveau revers pour l’impérium américain : Riyad et Téhéran, les vieux rivaux régionaux du Moyen-Orient, qui avaient rompu leurs liens il y a plus de sept ans, viennent d’engager, de manière très officielle et en grande pompe, des pourparlers et ont annoncé il y a quelques jours, la réouverture de représentations diplomatiques dans les deux mois, tout ceci sous l’égide… de la Chine !