Reprise des relations diplomatiques entre l’Arabie Saoudite et l’Iran: un coup de massue contre la diplomatie des alliances et la guerre américano- israélienne. Fin de la stratégie de division de la région. Création d’une alliance militaire commune entre Israël et les pays sunnites arabes. Changement historique de la donne diplomatique au Moyen Orient : les dossiers du conflit sunnites/chiites à l’ordre du jour en vue d’un règlement sur la base de l’intérêt commun. Fin de la guerre et instauration de la paix au Yémen : un test de confiance primordial des relations entre l’Arabie Saoudite et l’Iran.
Prologue
Alors que l’homme fort de Téhéran l’admiral Ali Shamkhani, qui fait partie du cercle rapproché du guide suprême iranien Ali Khamenei préparait sa valise pour effectuer sa visite historique à Pékin, le secrétaire américain à la défense Lloyd Austin venait juste d’atterrir à la capitale jordanienne, Amman, au terme de huit semaines d’efforts diplomatiques américains intenses en vue de rebattre les cartes des alliances régionales au Moyen- Orient. Simultanément, le conseiller national saoudien à la sécurité Musaid Al Aiban s’apprêtait à partir pour Pékin en vue de faire part à des entretiens politiques qui allaient aboutir à des résultats susceptibles de changer aussitôt le visage du Moyen–Orient pour de longues décennies à venir si jamais tout se passait comme escompté. A Pékin, le haut responsable de la diplomatie chinoise, l’ex-ministre des affaires étrangères Wang Yi, chef du bureau des affaires étrangères du parti communiste chinois et membre du Bureau politique du Parti communiste chinois, la plus haute autorité gouvernante en Chine, révisait les principaux dossiers d’un accord- à publier quelques jours plus tard- qui allait changer la carte des alliances et des conflits au Moyen-Orient et ouvrir la voie au passage de la région de l’époque des troubles et des guerres à celle de l’accalmie et de la paix. Lloyd Austin s’est rendu dans la région au lendemain de la visite du chef d’Etat-Major des armées des Etats-Unis, le général Mark A. Milley, et de celles importantes effectuées l’une par le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères Antony Blinken et l’autre par le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan. Elles étaient toutes porteuses d’un même discours politique : s’allier avec Israël et l’intégrer dans la région. A peine quelques jours écoulés, est survenu le plus grand séisme politique au Moyen-Orient depuis les années soixante-dix, l’époque de la signature de l’accord de paix entre l’Egypte et Israël. Ce nouveau séisme a été enregistré, le dix mars dernier, par les observatoires mondiaux politiques et militaires. Il a été soigneusement concocté à Pékin, Riad et Téhéran.
Les entretiens
A vrai dire, l’accord politique au sujet de la reprise des relations diplomatiques entre Riad et Téhéran était architecturé et examiné avec grande sollicitude depuis plus de deux ans et au plus haut niveau entre Pékin et les deux capitales en question au Moyen Orient. C’est le président chinois, Xi Jinping, qui a lancé l’initiative de l’accord de Pékin alors que des entretiens saoudiens-iraniens se déroulaient sur deux trajectoires grâce à deux médiations différentes, respectivement d’Amman et de l’Irak. Le parcours pékinois s’inscrivait également dans le cadre de l’avancement réalisé sur les deux autres parcours. Néanmoins, le président chinois suivait de près, en personne, l’évolution des entretiens pour s’assurer de la réussite de son initiative. Et, c’est quand ils ont buté contre un obstacle majeur impossible à surmonter- à moins que par un certain degré de confiance réciproque- qu’il effectua sa dernière visite à Riad en décembre dernier au cours de laquelle il rencontra le roi Salman et le premier ministre le prince héritier Mohammed pour recevoir à Pékin, en février, le président iranien Ebrahim Raïssi. Bien que le communiqué commun publié à la clôture du sommet Riyad-Golfe-Chine, à la fin de la visite de Xi Jinping, ait suscité un certain degré de tension médiatique à Téhéran à cause d’une allusion faite aux trois îles émiraties, il importe de noter- à ce propos- que le conseiller à la sécurité nationale iranienne, et l’ancien chef de la garde républicaine iranienne l’admiral Hassan Shamkhani, qui est très proche du guide suprême iranien Ali Khamenei, a joué un rôle très important dans les coulisses afin de manipuler la tension et apaiser la situation, partant d’une appréciation objective du rôle de longue date exercée par la Chine dans la région et de son souci de faire réussir sa médiation secrète. Il était conscient que la Chine pourrait devenir la force internationale principale liée par des intérêts communs équilibrés à l’Iran et à l’Arabie Saoudite qui jouirait d’une grande crédibilité et serait fortement animée par le désir de contribuer à instaurer la paix dans la région.
L’ancien ministre chinois des affaires étrangères wang Yi est le superviseur clé de l’initiative du président chinois Xi Jinping et il a géré lui-même, avec le prince Mohammed Ben Salman à Riad et l’iranien Ebrahim Raïssi à Téhéran, le dossier portant sur les points principaux des négociations. Ses visites effectuées aux deux capitales, en mars 2021, représentent un jalon crucial sur la voie de son triomphe éclatant proclamé le 10 mars 2023. Wang Yi tenait fermement à ne pas hâter le pas, à faire mûrir, patiemment et calmement, les accords préliminaires et à prendre sérieusement en considération toutes les réserves émises des deux côtés; il a tenté de parvenir à un rapprochement solide des points de vue divergents - et combien nombreux- de manière à éviter que le doute soit soulevé au sujet d’un jugement partial au profit d’une des parties ou d’un intérêt spécifique et de l’application de la règle deux poids deux mesures. La crédibilité chinoise était le pont jeté entre les deux parties qui a concilié leurs différends et les a résolus d’une manière acceptable. Et, Wang Yi n’a pas eu de cesse de jouer, en tout temps et en tous lieux, un rôle crucial , en vue de rabattre les obstacles : jusqu’aux derniers mois de l’année dernière alors que se préparait la visite du président chinois en Arabie Saoudite ainsi qu’au cours des derniers jours avant la tenue de la séance des discussions finales en présence du secrétaire du Conseil iranien de la sécurité nationale et du conseiller saoudien de la sécurité nationale.
La déclaration de clôture des entretiens de Pékin, publiée le 10 mars dernier, semble indiquer que les trois parties en question ont tablé sur des principes solides en vue de reprendre leurs relations tout en contournant les facteurs de tension afin de les traiter avec un nouvel esprit sur la base de l’intérêt des deux parties, la confiance mutuelle et la crédibilité du médiateur chinois. Ce dernier élément a contribué brillamment à faire réussir l’initiative de Xi Jinping et actuellement la diplomatie chinoise dans la région, qui tient à son indépendance et à la stabilité de ses principes alors qu’elle a parfois affaire à des adversaires, à l’instar de l’Arabie Saoudite et de l’Iran. Ce n’est pas un hasard que la Russie a réussi , depuis 2017, à mettre autour de la même table de négociations l’Iran (chiite) et la Turquie (sunnite) à Sotchi sous l’égide du président russe Vladimir Poutine qui s’était rendu compte que sa tentative visant la détention et l’installation de la paix en Syrie ne pourra jamais avoir lieu sans le consensus Turquie-Iran. En cas de médiation chinoise entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, la confiance établie entre les trois pays pourrait s’accroître et exercer davantage d’influence positive sur la base des intérêts communs sur le marché de l’énergie, des projets d’infrastructure et du développement technologique. Une situation qui irait à contrecourant des tendances diplomatiques américaines dans la région qui sont basées sur le fait de faire prévaloir les intérêts nationaux des Etats Unis et Israël et d’impliquer les pays de la région dans des alliances militaires suspectes qui susciteraient les conflits et guerres et aggraveraient la souffrance et la peine des peuples de la région.
L’accord: avantages et défis
L’accord Arabie Saoudite-Iran n’est que le porte-flambeau du règlement des problèmes et des conflits en suspens entre les deux pays ou de nature régionale. Il est probable que la Chine poursuive l’accomplissement d’un rôle vital afin qu’aboutisse ce qu’on pourrait dénommer le dialogue « Arabie Saoudite- Iran ». Il est à noter que l’évaluation de la reprise des relations entre la Syrie et l’Iran revêt- très souvent- un aspect expéditif et rarement une opinion réfléchie qui –tout bien pesé- prendrait en considération la situation géostratégique ultra- compliquée sur les deux plans régional et international. Il n’ y a nul doute que la Chine ne soit le grand gagnant de cette question de reprise des relations entre l’Arabie Saoudite et l’Iran et qu’Israël ne soit le grand perdant. En outre, du point de vue moral, l’accord confirme que la Chine dispose de suffisamment de force douce pour conclure des transactions dans des régions turbulentes ou entre deux parties liées par des relations extrêmement tendues atteignant le niveau de guerre par procuration. Du point de vue financier, ce succès se concrétisera par des investissements économiques et technologiques, des échanges commerciaux et financiers ainsi que par une coopération au niveau des investissements couvrant tous les domaines. Il importe ici de signaler l’importance des interactions entre l’autorité économique chinoise antérieure et l’autorité politique postérieure. Quant à Israël, il n’y a nul doute qu’il a éteint- peut-être à jamais- son ambition de créer- sous sa direction- une alliance militaire contre l’Iran qui réunirait l’Arabie Saoudite. Israël est incontestablement dans un guêpier politique, militaire et stratégique à cause de cet accord qui fait revenir à la case départ son dessein d’intégration régionale globale.
Quant aux deux parties, l’Arabie Saoudite et l’Iran, l’on pourrait dire que leurs priorités se recoupent- pour la première fois- au sujet du Yémen. L’une comme l’autre aspirent à ce que la situation s’ y stabilise. L’intérêt de l’Arabie Saoudite, que le Yémen parvienne à une forte entente au sujet de la fin de la guerre et de la réalisation de la paix, est conforme à celui de l’Iran ; surtout que la libérer des charges financières et militaires et des pressions morales dues à la persistance de la guerre sur ses frontières, s’avère être un besoin existentiel afin qu’elle puisse se lancer dans la mise au point de projets ambitieux de développement et transformer le royaume en une force internationale économique, financière, technologique et commerciale. C’est pourquoi, mettre un terme à la guerre et parvenir à un règlement politique au Yémen est l’une des questions clés qui visent à ériger la confiance et à tester la volonté des deux parties à ouvrir une percée politique régionale qui ne pourrait jamais être aménagée sans leur entente. De plus, les négociations bilatérales ardues portant sur le Yémen pourraient être facilitées au cas où y participeraient des médiateurs crédibles de la part des deux parties.
Le programme nucléaire iranien sera un sérieux sujet de négociations entre les deux parties avec la participation de la Chine. Abstraction faite de l’avenir de l’accord nucléaire entre l’Iran et les grandes puissances internationales, l’Arabie Saoudite a besoin de garanties que la république iranienne ne possède pas d’armes nucléaires, d’un accord commun sur la nécessité de rendre exempte la région des armes de destruction massive. Une telle exigence pourrait exercer une certaine pression sur Israël qui détient des armes nucléaires : on lui réclamera de s’en débarrasser ainsi que d’autres armes de destruction massive et de rallier le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et le traité d'interdiction complète des essais nucléaires en réponse au désir ardent de la région de rendre ce pays complètement exempt des armes de destruction massive. Pourtant, l’Arabie Saoudite ne peut pas obliger l’Iran à ne pas produire des armes nucléaires, De plus, il est indispensable que les négociations concernant le programme nucléaire et le programme d’armement en missiles, en avions et en systèmes de drones militaires se passent dans un climat de confiance réciproque. La Chine pourrait être ainsi tentée de prêter main forte aux deux parties en vue de rédiger « une convention commune de sécurité » à laquelle y adhérent plus tard les pays du Golfe et d’autres pays tels l’Irak, la Syrie, la Jordanie et l’Egypte. Elle pourrait également être élargie pour intégrer des pays non-arabes comme la Turquie bien qu’elle soit membre de l’OTAN. Du reste, plusieurs autres questions relatives à la sécurité de la navigation, aux activités de déstabilisation régionale, à l’Irak, à la Syrie, au Liban et à la Palestine sans compter les relations bilatérales communes entre les deux pays qui pourraient se transformer en des domaines de coopération commune au lieu de demeurer source de conflits.
La position iranienne comprend en soi une évolution d’une extrême importance qui pourrait- à ce que je pense- exercer un rôle crucial dans le redressement des relations entre l’Iran et les pays voisins. Ce progrès porte sur le rôle de la garde révolutionnaire iranienne dans la politique régionale et étrangère et s’est fait sentir lorsque le secrétaire du haut conseil de la sécurité nationale l’admiral Ali Shamkhani a représenté le guide suprême et pris part à la cérémonie de signature de l’accord. Ce dernier entretient de très fortes relations avec les chefs de la garde républicaine et certes avec le guide suprême Ali Khamenei : une nouvelle donne politique qui rend probables les chances de succès et de viabilité de l’accord de reprise des relations saoudiennes-iraniennes.