Au nom du libéralisme, les Etats-Unis transgressent le nouvel ordre libéral multipartite: Des sanctions à contre-courant du libre- échange ; des subventions meurtrières de la compétitivité; un virement injuste de l’argent du contribuable vers les entreprises.
La fin de la guerre froide a remporté des fruits de grande importance dont- en premier lieu- la fin de la scission de l’économie mondiale, le lancement du libre-échange, la création de chaînes mondiales d’approvisionnement, la création d’un ordre de spécialisation et de division du travail selon la compétence et la compétitivité. C’était le tribut de la naissance d’un monde nouveau qui nous regroupe tous sans entraves ni frontières. Le monde nouveau a commencé de collecter les fruits de la paix et de mettre l’accent sur le développement. Le slogan d’antan « Adieu à la course de l’armement » a commencé de devenir une réalité, avec la signature du traité de contrôle des armements par les deux superpuissances. Néanmoins ce monde nouveau ouvert à tous n’a pas duré longtemps pour une pure et simple raison que les Etats Unis ont persisté à regarder le monde du point de vue de la guerre froide ; bien plus, ils ont cherché à le diviser de nouveau rien que pour contrecarrer l’action de nouvelles puissances qui avaient tiré profit de la réalité post-guerre froide : ils ont commencé donc à se débarrasser des effets de la guerre froide, à se purifier de sa souillure et à prendre le chemin de l’ascension. Au début, c’était le rêve d’unifier le vieux continent après la chute du mur de Berlin dans l’espoir que l’Union européenne devienne une nouvelle force mondiale au lendemain de sa division et de son émiettement du fait des guerres successives. Aussitôt ce fut la montée du dragon chinois. Néanmoins ces fruits de la paix n’ont pas tardé à tomber avant murissement. Le torrent de la guerre froide a commencé à gronder alors que l’axe de la puissance passait de l’ouest vers l’est. Et lorsque l’administration américaine s’est rendu compte que le libre-échange n’œuvre pas dans son intérêt, elle a choisi de lui rendre le chemin semé d’embuches en imposant les sanctions unilatéralement. Et, lorsque les Etats Unis se sont rendu compte que leurs entreprises n’ont pas la compétitivité nécessaire, ils ont pris la décision de les soutenir des impôts du contribuable, ce qui présente une contradiction flagrante avec les principes de l’Etat libéral qui croit à la libéralisation du marché et qui est conscient que le libéralisme politique passe par la liberté du marché et le respect du principe de « laisse le travailler…laisse le passer ! » la nouvelle guerre froide conduite par les Etats Unis est une guerre déclenchée contre le monde entier et non seulement contre la Chine et la Russie : décréter des sanctions contre le pays de Poutine a déclaré le feu aux crises de la sécurité alimentaire, de l’énergie et du financement dans le monde et les imposer contre le dragon asiatique mènera à une grave crise de stagnation inflationniste mondiale rien que parce qu’elles visent « l’usine du monde et l’un des maillons les plus importants des chaînes de fournitures mondiales. Au lieu de chercher à surpasser la Chine par la compétition à travers un marché ouvert, les Etats Unis entravent son progrès.
Les Etats Unis se renforcent par la coopération
De nos jours, le comportement politique des Etats Unis se rapproche de celui du « Bully » qui se déplace d’un lieu à un autre, pour imposer des tributs, menacer le récalcitrant, le harceler par ses subalternes et se parader de sa force et de son armement devant tout le monde afin qu’il acquiert la certitude qu’il n’existe que sous sa houlette et qu’il ne peut survivre qu’en se soumettant à sa force. Au cours des quelques dernières semaines, l’Amérique a adopté le ton de la menace et de l’intimidation contre la Chine tout en entreprenant des mesures frénétiques pour prolonger la guerre d’Ukraine dans le but d’épuiser la Russie et de l’abattre pour la deuxième fois au cours des trente dernières années : le première fois lorsqu’elle a chuté de son rang d’Etat-empire et la seconde fois d’après cette manœuvre en cours visant son écroulement du haut de son piédestal des grands pays européens nationaux. Avec le début de la deuxième année de la guerre d’Ukraine, les Etats Unis affichent une détermination farouche pour élargir le champs de confrontation dans le monde en enchaînant les guerres : une première déclarée contre la Russie et une seconde déclenchée contre la Chine. Par un tel engagement, il semble que le pays de l’oncle Sam passe sous silence le fait que la Chine n’est pas la Russie, comme il passe outre les conseils de certains grands politistes tels Henry Kissinger et Zbigniew Brzeziński - respectivement dans son livre « L’ordre mondial » (2014) et dans son article sur la mutation de l’ordre mondial paru dans la revue American Interest (2016)- qui avaient prévu que l’avenir de la puissance des Etats Unis réside dans la coopération étroite entre eux d’une part et ces deux Etats d’autre part. Ces deux penseurs sont d’accord pour dire que les Etats Unis doivent s’adapter à la tendance de la Russie de vouloir retrouver son passé impérial ainsi que d’œuvrer en vue de l’ascension politique, économique et militaire de la Chine ; sinon le monde ne jouirait jamais de la stabilité. Et, ce déséquilibre pourrait affecter négativement les Etats Unis et jouer, par contre, à la faveur des deux forces antagonistes surtout la Chine.
Actuellement la diplomatie américaine- politique, économique et militaire- agit dans le sens de la création d’une alliance internationale contre la Chine dont le noyau serait l’OTAN et AUKUS qui regroupe, outre les Etats Unis, la Grande Bretagne et l’Australie, ainsi que le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité « Quad » où les Etats Unis sont membres aux côtés de l’Inde, de l’Australie et du Japon et, en plus, Taïwan auquel les Etats Unis aimeraient assigner le rôle de l’Ukraine sur la scène militaire dans la région du sud-est asiatique afin de provoquer la confrontation militaire avec la Chine. Indirectement, l’alliance pourrait regrouper les Philippines qui ont conclu dernièrement une transaction militaire avec les Etats Unis, au cours de la visite effectuée par le secrétaire d’Etat américain à la défense Lloyd Austin, en vertu de laquelle elles seraient autorisées à utiliser quatre bases militaires et à faire naviguer des patrouilles navales communes dans la Mer de Chine méridionale qui comportent des navires de la septième flotte américaine et des bâtiments philippins, Une situation contre laquelle Pékin a fortement mis en garde. Les Etats Unis avaient essayé d’étendre cette alliance au groupe des vingt (G20) composé des pays aux économies les plus développées ; ils ont néanmoins fait long feu à deux reprises ; la première à la conférence des ministres des finances et chefs des banques centrales du Groupe et la seconde à la conférence des ministres des affaires étrangères. Dans le premier comme dans le second cas, Washington achoppa sur la publication d’un communiqué accusant et culpabilisant la Russie et la Chine.
Un recoupement de points de vue entre les Démocrates et les Républicains
Il n’ y a nul doute que la politique américaine actuelle contre la Russie et la Chine n’est pas le fruit de certains rebondissements. Les deux stratégies de sécurité nationale des Etats Unis, publiées successivement par Donald Trump , en 2017, et par Joseph Biden en 2021, mettent la Russie et la Chine en tête de liste de leurs adversaires qui comptent l’Iran, la Corée du nord, Cuba, le Venezuela et un grand nombre d’ « Etats voyous ». En outre, les deux administrations se sont accordées sur le fait que si jamais la menace directe leur parvenait de la part de la Russie, l’autre plus dangereuse qui se manifesterait à long terme arriverait de la part de la Chine. Même si le cadre théorique stratégique de la sécurité nationale est identique chez les Républicains et les Démocrates, des différences persistent au niveau de la diplomatie, des plans politiques et des tactiques appliqués actuellement par l’administration Biden par rapport à la diplomatie de Trump qui visait à contenir la menace russe à travers l’établissement de fortes relations avec Poutine afin de concentrer la majeure partie des efforts déployés sur le face à face avec la Chine. Le point d’intersection principal entre les deux stratégies des Démocrates et des Républicains consiste à réduire l’exposition des Etats Unis aux conflits du Moyen-Orient et du Golfe et à tenter d’inciter à agir dans le sens d’un système régional de défense dirigé par Israël. Les Démocrates et les Républicains sont convenus de décréter des sanctions contre la Chine et de les intensifier au niveau mondial de manière à l’isoler et lui causer des pertes structurelles qui mèneraient au flétrissement de sa force et au rétrécissement de son rôle mondial d’avoir le statut d’un empire à travers des outils telles l’initiative de « la ceinture et la route » à celui de n’être qu’un Etat national dans la région du sud-est asiatique. Le dilemme qu’affronte actuellement la stratégie américaine est que le ternissement du rôle de ce qu’on peut nommer « l’usine chinoise » dans l’économie mondiale représente une menace avérée braquée contre les Etats Unis eux-mêmes ce qui signifierait la flétrissure de l’économie mondiale elle- même.
Le centre du pouvoir du monde se déplacerait-il pacifiquement ?
Tant que l’OTAN alimente effectivement une guerre par procuration en Ukraine contre la Russie, nous sommes des témoins oculaires des résultats des provocations menées par la politique américaine. La diplomatie des sanctions économiques ne cause plus uniquement de peines économique et sociale mais met le feu aux provocations politique, économique et militaire qu’elle déclencherait une guerre armée. Le monde entier est témoin actuellement d’une escalade de la provocation américaine adressée contre la Chine. Alors que ses réactions- à ce propos- sont- jusqu’à maintenant- calculées et inférieures au niveau des provocations exercées contre elle, elles pourraient sortir de leurs gonds pour se manifester par une action partielle et limitée qui viserait à donner une leçon sévère aux Etats Unis non loin des frontières chinoises afin qu’ils apprennent- et ceux qui agissent avec eux par procuration- que la provocation n’est pas gratuite et que son prix est douloureux. A vrai dire, la diplomatie des sanctions économiques et des provocations politiques et militaires qui est l’échine dorsale de la politique américaine actuelle contre la Chine représente le choix délibérée des Etats Unis en vue de résoudre le dilemme généré par ce que nous pouvons qualifier de « discordance entre l’hégémonie américaine et l’évolution des potentialités effectives de la Chine sur les plans politique, économique et militaire ». Les Etats Unis s’efforcent de garder leur hégémonie sur le monde sur la base de sa victoire dans la deuxième guerre mondiale et la première guerre froide. Mais, cette emprise se heurte actuellement à la vérité du changement de la répartition des forces dans le monde. Cette nouvelle donne conduirait indubitablement à une guerre dévastatrice dont la première des victimes serait les Etats Unis. La solution objective de ce dilemme consiste dans l’adaptation impérieuse à cette nouvelle répartition des forces au niveau mondial et dans la coopération avec la Chine et la Russie et non dans leur soumission à de nouvelles sanctions ou dans la tentative d’asséner des coups à chacune d’elle par le truchement de l’autre. Bien que Kissinger et Brzeziński l’ont confirmé plus d’une fois au sujet de la Chine, les services de fabrication de l’opinion publique et les think tanks officiels de l’opinion publique en Occident en général passent outre la question de discuter des faits réels mais exportent un discours hostile et insensé qui crée un climat de chantage politique contre les adeptes du point de vue opposé à la guerre qui prône la coopération et la paix. Nonobstant, nous remarquons que certains pays occidentaux dont l’Allemagne et la France expriment encore des réserves à l’endroit des Etats Unis incités à mener une guerre économique contre la Chine.
Cette insistance à méconnaître le changement survenu sur la carte de répartition des forces et à dénier la vérité que l’axe de la force s’est déplacé effectivement vers l’est est un fait acquis confirmé, depuis l’avènement de notre siècle, dans les ouvrages de Peter Daikin et notamment dans son ouvrage portant sur le virement mondial. Cette dénégation signifie que le monde avance, les yeux bandés, vers un destin inéluctable qui est la guerre. Le déterminisme historique nous apprend que l’empire ottoman a abattu, par la force, l’empire byzantin pour la pure et simple raison que ce dernier n’a pas reconnu la vérité du changement du monde : c’est ainsi que l’empire ottoman a ingurgité du même verre dans la Grande Guerre et que la Grande Bretagne s’est trouvée acculée à faire de même dans la guerre de Suez. Bien que le changement de l’ordre mondial - par la force - ne soit pas inéluctable- et c’est ce qui s’est passé avec le transfert transatlantique de l’axe de la force de l’Europe vers les Etats Unis-la contradiction persistante et irrésolue entre l’ordre ancien basé sur la légitimité de la victoire des Etats Unis en 1945 et les réalités de la répartition actuelle des forces pourrait pousser le monde au bord de la guerre. Et je ne pense pas que les Etats Unis soient prêts à en assumer les retombées.