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Anne Fornier : "Plus de 60% des volcans ne bénéficient pas d'une surveillance régulière et optimale"

Le Dialogue

Anne Fornier est la fondatrice de La Fondation Volcano Active, une fondation internationale à but non-lucratif dont l’objectif principal est de soutenir la recherche scientifique, le développement et la diffusion des résultats sur l’activité des volcans, leurs risques à l’échelle mondiale, l’atténuation des risques volcaniques et le soutien à l’accroissement de leurs connaissances par le biais de projets sociaux.

Née en 1978, (Annecy Haute-Savoie France), Anne est une humaniste, géographe et spécialiste en gestion des risques. Elle est engagée sur les problématiques de résilience en terres volcaniques.

Elle a une maîtrise en recherche en géographie physique et analyse des risques volcaniques sous la Direction de Gérard Mottet, Directeur du Laboratoire de Géographie Physique Université Jean-Moulin Lyon III et sous la direction du climatologue Marcel Leroux, directeur du Laboratoire de Climatologie, Risques et Environnement, Théorie sur la dynamique du temps et du climat, AMP, à l’Université Jean-Moulin, Lyon III

Dans son livre« Volcanique : une femme au cœur des volcans » - 500 millions de personnes sous la menace de volcans actifs : mon combat pour l'humanité, paru chez Bold, en 2021, Anne Fornier a ressenti le besoin et le devoir de faire connaître l'importance de l'atténuation des risques volcaniques aussi bien pour les habitants que pour les enjeux environnementaux.

Propos recueillis par Angélique Bouchard

 

Le Dialogue : Anne Fornier, dans ce livre, vous nous présentez dans un style très simple et direct, votre parcours. Votre vocation, votre intérêt pour les volcans, sont presque nés d’un concours de circonstances ? 

Anne Fornier : En effet, une partie de cette vocation est liée à un contexte circonstanciel. Je citerais mon inscription à l'université, par exemple, ou le fait d'avoir eu Marcel Leroux comme professeur. Cependant, j'opterais plutôt pour une chaîne d'événements qui ont tous des vecteurs communs : la nature, l'aventure, la réflexion et le non-conformisme. 

J'ai toujours considéré Annecy comme un lieu privilégié.  C'est une région où il fait bon vivre et où l’on peut s'émerveiller devant le spectacle de la nature, comme le décrirait Spinoza, en faisant référence à la nature immanente comme force et beauté d'une essence philosophique de la vie. Je crois que lorsqu'on décide de partir, c'est pour réaliser une vocation.

Comment est née cette vocation ? Cette quête d'aventure m'a amené à découvrir le monde, les montagnes puis les volcans. Au début, cette aventure était très égoïste, comme toute ascension sportive, où l'individu domine un élément de la nature. Le "je" contre l'ascension physique d'un sommet.  Mais très vite, la célèbre phrase de Maurice et Katia Krafft a eu un impact beaucoup plus important. Ils disaient : nous aimons les volcans parce qu'ils sont indifférents à la vanité humaine.  Et à juste titre. Au cours de mes voyages et de mes recherches, j'ai découvert qu'il existe une certaine vision ou philosophie que j'appellerai volcanique. La valeur de l'être prédomine sur celle de l'avoir. Je l'explique très simplement dans le programme Volcano School. Toutes les choses matérielles ne peuvent pas être sauvées lors d'une évacuation, en revanche nos valeurs intrinsèques seront toujours avec nous. En général, l'attachement aux choses matérielles est moins important dans une zone volcanique et l'incertitude quant au lendemain prédomine, de sorte que la relation au temps et aux choses est différente. La phrase du célèbre couple Krafft implique que la force même de la nature nous rend tous égaux et humbles.

 

Comment avez-vous vécu, pour vos 20 ans, votre première éruption au Piton de la Fournaise ?

Comme toutes les éruptions effusives, le spectacle est impressionnant. Le bruit de la terre nous envahit et nous découvrons un spectacle hypnotique de feu, de coulée de lave, sous un ciel étoilé. Cependant, il faut savoir que ce "spectacle" est spécifique à certains volcans. 

Le Piton de la Fournaise a été ma première expérience dans le monde volcanique et sur le terrain. Comme tout baptême, il est un point de départ vers d'autres expériences. 

Mon expérience à Hawaï a été un baptême différent, même si le type de volcan est comparable. Cette expérience m'a permis de mettre à l’épreuve mon insouciance juvénile. 

Chaque expérience sur le terrain m’a permis d'apprendre, mais aussi de faire face à différentes problématiques. La réalité de terrain est tellement différente de l'apprentissage stricto sensu en classe qu’il me parait difficile de parler de volcanisme sans avoir vécu de véritables éruptions. 

Aujourd'hui, les jeunes étudiants passent leur temps devant l'ordinateur à faire de beaux modèles en 3 ou 4 dimensions, mais personne ne va sur des volcans et encore moins actifs. La véritable erreur est de créer des modèles de risques sans tenir compte du comportement humain, des habitudes et les coutumes des communautés proches du volcan. 

 

Vous évoquez votre parcours de femme, de mère de famille. De votre vie en Savoie dans un petit village, à Barcelone. Vous avez décidé de vivre selon vos valeurs et vos engagements. Qu’est-ce qui vous a poussé à créer votre fondation « Volcano Active Foundation » ? 

C'est mon sens du devoir qui m'a conduit à créer la Fondation Volcano Active. Quand on est conscient de certains risques, on a une certaine responsabilité. Je voudrais me référer à une notion que le célèbre Haroun Tazieff évoquait au cours de sa carrière sur l'absence d'un code d'éthique pour les scientifiques en la matière.  Certaines professions ont un code de déontologie comme les médecins, mais dans les sciences de la terre, il n'y en a pas. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des volcanologues sont employés par un État et il n'y a pas de contre-experts. D'un point de vue objectif, nous avons une vision unilatérale. Même si nous devons la nuancer avec des alliances inter-observatoires et inter-pays, nous sommes toujours dans la même dynamique de recherche. Plusieurs jeunes scientifiques des pays d'Afrique et d'Amérique latine se plaignent également de la prédominance de la recherche nord-européenne et américaine.  Nous sommes dans ce que Simone Weil (1909-1943, philosophe) appelait la science à l'état de dogme, où les résultats des analyses sont envoyés directement dans les centres américano-européens et où les scientifiques "locaux" ne peuvent bénéficier des résultats que quelques mois ou années plus tard à travers la publication d'un jeune doctorant. 

 

Dans votre ouvrage, vous dénoncez les mauvaises pratiques des États, des multinationales, des narcotrafics, des pressions, et même des manipulations de certains scientifiques. Comment avez-vous fait face à la fragilité de ces écosystèmes, à la vulnérabilité des peuples, vous, qui avez soif de justice sociale ? 

Soif de justice sociale est un bien grand mot, je dirais plutôt essayer de rétablir un ordre logique des choses. En effet, les terres volcaniques sont des terres au contexte géopolitique fort et cela en surprend plus d'un. Notre méconnaissance nous rend incrédules face à ces terrains de jeux politiques.  Il ne s'agit pas de pétrole, mais de métaux rares, de diamants, des terres les plus fertiles du monde, qui préservent 80% de la biodiversité de la planète. Longtemps abandonnées aux communautés indigènes, les nouvelles mutations économiques font de ces terres les eldorados de demain. Oui, mais il faut aussi être conscient des risques encourus. 

Il semble facile d'exproprier, de vendre les terres il n’y a pas de contre-expertise.  

Je rappelle à ceux qui n'ont pas lu mon livre qu'il s'agit de volcans dits "gris explosifs", souvent situés dans des zones de subduction. Chaque volcan est identique et il existe plusieurs types de volcanisme. On ne peut donc pas généraliser, mais séparer les problèmes en fonction de chaque zone. 

 

Quelles sont les solutions concrètes pour travailler sur les facteurs de vulnérabilité dans les zones volcaniques ? 

L'objectif est de mettre en œuvre une politique de gestion de la réduction des risques de catastrophes. Celle-ci comprend un plan de prévention et d'analyse des risques, un plan d'atténuation impliquant l'action des citoyens et les acteurs locaux, et un programme d'éducation en partenariat avec les écoles.

Laissez-moi vous donner un exemple très simple. Une éruption volcanique un dimanche n'aura pas les mêmes problèmes que si elle se produit un lundi à 15 heures. Le lundi, nous aurons un pourcentage plus élevé d'accidents de la circulation, de routes coupées, de difficultés d'accès au centre de secours et de paralysie des ronds-points près des écoles, avec une augmentation des « mauvais » comportements. Dans le cas où nous n'aurions pas de plan de gestion, les parents iront directement chercher leurs enfants à l'école dans un délai très court, multipliant les embouteillages et rendant difficile leur évacuation.

Ce qui nous rend vulnérables, c'est notre manque de prévention. Nous ne pouvons pas empêcher un volcan d'entrer en éruption, mais nous pouvons anticiper et nous préparer à réduire les impacts sociaux.

Il s'agit d'être prêt et de ne pas attendre qu'une catastrophe se produise pour réfléchir à ce qu'il faut faire. 

« En réalité, je découvre, sans le savoir, ce qu'est la résilience, ce phénomène qui consiste à se reconstruire une vie acceptable après un échec ou un traumatisme ». C’est le grand enjeu de votre livre… Pensez-vous que nos sociétés sont prêtes à livrer ce combat pour réduire leur vulnérabilité sociale et structurelle ?

La question plus fondamentale à mon avis est la suivante : nos sociétés veulent-elles se battre pour réduire leur vulnérabilité sociale et structurelle ? Pour l'instant, j'en doute.   Même si elles commencent à se rendre compte qu'en termes économiques, il est peut-être plus rentable de planifier que de reconstruire à chaque fois. Cela nous affaiblit et les coûts deviennent de plus en plus importants (les coûts de construction sont de plus en plus élevés par rapport à ce qu'ils étaient il y a 50 ans). Deuxièmement, il y a ce que j'appelle le "syndrome Marvel" (ou super-héros). Anticiper et prévenir a moins de "valeur" et d’impact médiatique que de se déguiser en super-héros dans un champ de ruines où l'on promet un nouvel avenir aux familles endeuillées.  Il faut rappeler que prévoir une éruption est possible, mais que plus de 60% des volcans ne bénéficient pas d'une surveillance régulière et optimale. 

 

 « Je comprends surtout, en découvrant leurs histoires, qu'adaptation ne veut pas dire soumission ». On décèle, avec cette phrase tirée de votre livre, une femme de combat, de caractère. Êtes-vous une insoumise ou une passionnée ?

Je ne suis pas insoumise ou passionnée. Je suis simplement en accord avec les valeurs qui sont les miennes, rien de plus. Malheureusement, il m'est difficile d'être passionné quand on connaît le sort tragique de certaines familles par manque de prévention. Je ne suis pas en colère, j'ai fait ma part de responsabilité. Mon caractère, il doit venir des Alpes, on dit que nous sommes têtus. 

Sur le terrain, j'ai rencontré tant de personnes bonnes, courageuses, honorables, des hommes et des femmes respectables et sages, comme j'appelle ces véritables héros inconnus que cette force me vient d’eux. Je crois qu'avec ces rencontres on peut forcément prendre cette énergie pour mieux comprendre notre terre et les risques possibles. Ce n’est donc pas un combat, sinon une continuité de cette philosophie que l’on trouve sur les sols volcaniques.