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Monde

Le président Xi-Jinping en Arabie saoudite : vers un basculement géopolitique du Moyen-Orient ?

Le Dialogue

Le président chinois Xi Jinping (à gauche) et le roi saoudien Salman bin Abdulaziz (à droite) assistent à la "Route vers la République arabe" - la cérémonie de clôture des artefacts découverts en Arabie saoudite, au Musée national de Chine à Pékin le 16 mars 2017. Xi a salué la visite du roi saoudien Salmane à Pékin alors que la Chine poursuit son offensive de charme vers le Moyen-Orient, une région où elle a longtemps gardé un profil bas. (Photo de Lintao Zhang / POOL / AFP)

 

 

Le président chinois était en tournée à Riyad du 7 au 9 décembre. Suivant la logique « win-win », Pékin fidélise son principal fournisseur d’hydrocarbures et devient peu à peu un acteur régional de premier plan. De leur côté, les pays du Golfe diversifient leurs alliances tout en se détachant quelque peu de Washington. 

Comme la nature a horreur du vide, le retrait progressif des Etats-Unis du Moyen-Orient laisserait-il la place à l’Empire du milieu ? Une chose est sûre, Xi Jinping a été reçu en grande pompe à Riyad, la capitale de l'Arabie saoudite, pour un déplacement de trois jours, du 7 au 9 décembre. Après 2016, c'est la deuxième fois que le président chinois foule le sol saoudien. 

Le voyage du président chinois dans le royaume wahhabite comprenait notamment trois sommets : le sommet Chine - Conseil de coopération du Golfe (CCG), le sommet Chine - Arabie saoudite et le sommet Chine - pays arabes. Il s'agit ni plus ni moins de «la plus grande activité diplomatique entre la Chine et le monde arabe depuis la création de la République populaire de Chine », a précisé le 7 décembre le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning. En effet, au cours de ces rencontres multilatérales, Riyad et Pékin ont signé 34 contrats pour un montant de 29 milliards de dollars

C’est seulement la troisième fois que le président chinois se rend à l’étranger depuis la crise du Covid. Ce déplacement revêt donc une dimension pluridimensionnelle pour les pays arabes et Pékin. 

 

Pékin plus important que Washington pour les relations commerciales 

Discrètes mais bien réelles, les premiers contacts entre les deux aires géographiques remontent à la bataille de Talas en 751 entre les armées chinoise et arabo-persane. A l’époque contemporaine, les relations sino-arabes se sont nouées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Jouissant d'une certaine popularité du fait de l’absence de passé colonial dans la zone, Pékin avait pu surfer sur la conférence des non-alignés à Bandung en 1955. Mais à cette époque, les pays du Golfe avaient pour leur part fait le choix d'un alignement inconditionnel sur Washington. 

L’intérêt chinois pour la région se manifeste lors du premier sommet sino-arabe en 2004. Dès lors, les échanges économiques n'ont eu de cesse d'augmenter entre les deux pôles. Les Chinois ont même supplanté les Américains en termes de relations commerciales avec les pays du Moyen-Orient. Rien que pour les échanges avec l'Arabie saoudite, il y a eu un chassé-croisé : les échanges bilatéraux entre le royaume saoudien et les Etats-Unis sont passés de 76 milliards de dollars en 2012 à 29 milliards en 2021, alors que les relations commerciales entre Pékin et Riyad ont augmenté jusqu'à atteindre aujourd’hui 65 milliards de dollars. Au total, les échanges entre les pays arabes et la Chine représentent désormais 177 milliards de dollars, dont 77 rien qu'avec les pays du Golfe. 

En tout état de cause, les dirigeants arabes regardent avec intérêt le projet pharaonique des routes de la soie, lancé en 2013 par le président chinois. Son ambition tentaculaire se subdivise en deux voies, l'une maritime et l'autre terrestre. Suivant la logique du collier de perles, l’axe maritime prend appui sur le port de Gwadar au Pakistan avant de rejoindre la base militaire chinoise de Djibouti sur la corne de l’Afrique pour aller vers l'Europe. La route terrestre transite par l’Asie centrale avant de passer par Téhéran jusqu'à Istanbul en passant par l'Irak et la Syrie. Ainsi, pour Pékin, la sécurité et la stabilité régionale et notamment les détroits de Bab el Manbed et le canal de Suez sont primordiales. 

 

Une aubaine pour MBS ?

Si le Moyen-Orient et notamment l'Arabie saoudite intéressent la Chine, c'est en grande partie pour l'or noir. Pour l'heure, Riyad pourvoit près d’un quart du pétrole consommé par Pékin, en contrepartie notamment du savoir-faire chinois dans certains domaines. Entre 2015 et 2016, les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, l’Iran, Bahreïn, la Jordanie, Oman, le Qatar, la Turquie et l’Egypte ont adhéré à la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, véritable structure financière concurrençant aussi bien le FMI, la Banque mondiale que l'influence occidentale. Des partenariats qui concernent des secteurs tels que le nucléaire civil mais aussi l'urbanisme, comme en témoigne l'implication d'entreprises chinoises dans la construction de la ville ultra-moderne saoudienne de Neom et la nouvelle capitale égyptienne voulue par le maréchal al-Sissi. 

Il y a donc une réelle convergence économique non négligeable entre les deux pôles. La Chine suit la stratégie «win-win», autour de laquelle chaque acteur est censé trouver son compte. La venue de Xi Jinping à Riyad était aussi hautement politique. Pour l'Arabie saoudite et notamment le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS), il s'agit de montrer aux yeux de l'Occident que le royaume est capable de diversifier ses alliances. La carte chinoise est une prise de distance vis-à-vis de la dépendance américaine. Boudé par l'administration Biden qui a voulu le marginaliser, l'homme fort du royaume saoudien fait le choix d'une indépendance géopolitique, sans nécessairement tourner le dos à Washington. 

Pour Riyad, ce déplacement du président chinois s’inscrit dans un nouveau paradigme géopolitique à l’aune du conflit ukrainien. Les pays du Golfe ne se sont pas alignés sur les sanctions occidentales. De surcroît en août dernier, la monarchie saoudienne avait tout bonnement refusé d’augmenter sa production de pétrole et ce, malgré les pressions de Washington. 

 

Riyad et Abou Dhabi bientôt dans les BRICS ? 

L’Empire du milieu et le Conseil de coopération du Golfe (CCG) travaillent activement pour former une zone de libre-échange. A ce titre, l’ambassadeur de Chine aux Emirats arabes unis, Zhang Yiming, a déclaré en novembre dernier que les négociations sur l’accord de libre-échange entre la Chine et le CCG étaient entrées dans «la phase finale et critique» et que les deux parties s’étaient «accordées sur la plupart des points». Riyad et Pékin ont même déjà évoqué la possibilité de contrats pétroliers en yuans.

L'élargissement des BRICS, le groupe rassemblant les économies émergentes du monde (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), est également au menu. L'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont plusieurs fois montré leur souhait d'intégrer l'organisation.

Même si la région reste sous parapluie américain, les ventes d’armes chinoises au royaume saoudien ont augmenté de près de 400% ces cinq dernières années. En 2017, Pékin avait accordé à Riyad une licence pour produire localement des drones chinois. En mars 2022, les industriels chinois et saoudiens ont uni leurs forces pour concevoir des drones dans le royaume. 

L’empire du milieu veut être un acteur pragmatique qui parle avec tous les pays. La Chine entretient de surcroît de bonnes relations avec les deux autres puissances régionales à savoir la Turquie et l’Iran. Suivant la diplomatie chinoise, Pékin prône le principe de non-ingérence dans les affaires internes des pays, le respect de la souveraineté de chaque Etat et les intérêts mutuels. De quoi satisfaire les pétromonarchies.