Le monde post- guerre ukrainienne ne ressemblerait jamais à celui qui l’a précédée. Le conflit en cours actuellement en vue de retracer la carte géostratégique du monde laisse zéro option aux deux belligérants : ou remporter la victoire et tout obtenir ou essuyer la défaite et tout perdre. Je ne signifie pas, par les deux parties en conflit, la Russie et l’Ukraine mais plutôt le camp ouest présidé par les Etats Unis et le camp de l’est sous la houlette de la Chine. C’est ce duel entre ces deux parties qui représente le conflit géostratégique principal qui s’échauffe, depuis plus d’une décennie et qui se concrétise par le transfert de l’axe du pouvoir de l’ouest vers l’est. Il a éclaté dernièrement pour se montrer au grand jour sur les frontières ouest de la Russie causer une escalade de la confrontation à Taiwan (L’est de la Mer de Chine) et au sud-est de l’Asie (Le sud de la Mer de Chine) face au territoire principal de la Chine. Ce premier déclenchement a eu lieu sur le front est de l’OTAN comme si c’était un choix délibéré de la part de l’administration du président Biden contrairement à l’autre choix que préparait l’ex-président Trump qui tentait de s’entendre avec la Russie et de concentrer ses efforts sur la confrontation avec la Chine. Poutine a sombré dans le piège américain tendu en Ukraine comme auparavant Léonid Brejnev en Afghanistan. Quant à Xi Jinping, il se donne à un jeu de longue haleine et planifie, également, pour un nouvel ordre international au lendemain de la guerre d’Ukraine même si les Etats Unis choisissent la confrontation armée à l’est ou à l’ouest de la Mer de Chine ou même les deux à la fois.
Les axes de la planification américaine :
L’analyste habile n’a vraiment pas besoin de regarder dans la boule de cristal ou d’être expert en chiromancie pour relever des déductions au sujet des fortes convulsions qui traversent le corps de l’ordre international ou des symptômes qui les accompagnent. Tout ce qu’il lui faut c’est de lire minutieusement les faits et les données, examiner les relations entre eux dans une tentative de dévoiler le caché afin de recomposer toutes les pièces de la mosaïque, avoir une image complète de la réalité et entrevoir les perspectives futures. Les dernières évolutions survenus ces dernières semaines nous présentent un trésor de faits et de données qui met au grand jour les grandes lignes de la répartition du pouvoir dans le nouvel ordre international au lendemain de la guerre d’Ukraine et les lignes qui vont à son encontre. Nous commencerons ici par les Etats Unis pour nous rendre compte de leurs actes entreprises et leurs paroles proférées au sujet du volet ukrainien et d’autres dossiers porteurs d’intérêts et de menaces.
A l’occasion du premier anniversaire de l’invasion russe en Ukraine, les Etats Unis, par la voix de leur président et d’un grand nombre de leurs responsables, ont prononcé un grand nombre de communiqués dont en premier lieu les déclarations de Biden à la chaine télévisée ABC, le communiqué officiel du ministère des affaires étrangères, le communiqué prononcé par la vice-présidente des Etats Unis Kamala Harris à Munich, les déclarations de la secrétaire au Trésor Janet Yellen dernièrement à Kiev, sans omettre de vue les déplacements du secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Antony Blinken et ses nombreuses déclarations données contre la Russie et la Chine. Tout cela allait de pair avec un grand nombre de procédures dont la déclaration d’une série de sanctions économiques contre la Russie, la Chine, l’Iran et un nombre d’entités et de personnes appartenant à ces pays et autres. Y compris la menace d’élargir le champ d’action des sanctions pour y inclure des Etats et des entités du monde entier, A cela s’ajoutent des stimulus économiques, militaires et politiques offerts à l’Ukraine dont un don militaire d’une valeur de 500 millions de dollars, déclarés par Biden lors de sa visite à Kiev et un programme de soutien économique d’une valeur de 9,9 milliards de dollars dont la première tranche atteint un total de 1,3 milliards de dollars a été déboursée lors de la visite de Janet Yellen à Kiev, sans compter des aides financières énormes visant à financer le budget global de l’Ukraine lors de l’année en cours. Ces multiples actions étaient entreprises parallèlement à la campagne diplomatique acharnée contre la Russie qui a atteint son comble à la tenue d’une conférence extraordinaire de l’assemblée générale des Nations Unis au cours de laquelle 140 pays ont approuvé un communiqué condamnant la Russie et lui réclamant de se retirer de l’Ukraine.
Le transfert du centre de prise de décision
Une lecture minutieuse de ces faits illustre que les Etats Unis tracent la carte de l’équilibre des forces stratégiques dans le monde au lendemain de la guerre ukrainienne à travers de nouveaux axes de leur politique extérieure dont : la neutralisation des Nations Unies, le transfert du centre de prise de décision politique international en dehors de l’organisation internationale, de même que chercher à établir un nouvel ordre économique mondial basé sur l’émiettement du monde à travers un système illégal de sanctions, consacrer le rôle de l’OTAN en tant qu’alliance militaire unique dans le monde située sous son emprise et marginaliser et contenir les forces émergentes en développement.
Nous traiterons ici du processus engagé par les Etats Unis de transférer le centre de prise décision mondiale des Nations Unies au G7 placé sous l’égide des Etats Unis. Car en fait garder le centre de prise de décision aux Nations Unies se trouve confronté au droit de veto détenu par la Russie et la Chine à l’intérieur du Conseil de Sécurité des Nations Unies, cette instance onusienne chargée de sauvegarder la paix et la sécurité dans le monde. Ce rôle s’est réduit au cours des dernières années telle une peau de chagrin en raison de l’enchevêtrement des fils de la lutte au pouvoir dans le monde, surtout au Moyen-Orient. Il s’en est suivi une marginalisation délibérée du rôle du Conseil qui de tribune de prise de décision péremptoire est devenue un coin de prononciation de discours à l’instar de « Hyde Park ». Et, dans ce contexte, le Conseil de Sécurité se contente de prononcer des communiqués politiques présidentiels par le président même de cet organe pour être adoptés par les Etats membres et qui s’arrêtent au minimum des dispositions antérieures du Conseil et même moins.
Nous avons assisté, le 20 février courant, à une prise de décision effective de la part du Conseil de Sécurité au sujet de la politique de colonisation sioniste, de la destruction des habitations des Palestiniens, de leur déplacement et de la confiscation de leurs territoires. Le communiqué présidentiel s’est substitué au projet de décision des Emirats Arabes Unis qui comporte des paragraphes qui confirment de nouveau les dispositions de la décision 2334 du Conseil de Sécurité qui condamnent la politique colonialiste d’Israël - en la considérant comme illégitime et illégale et représentant une pierre d’achoppement sur le chemin de la solution des deux Etats- et réclament son arrêt immédiat par Israël.
« Le communiqué présidentiel » est le fruit des pressions américaines exercées, contre le projet de décision émirati dès sa soumission au Conseil. Et, c’est grâce à la réussite des pressions exercées par les Etats Unis et à l’alliance du Royaume Uni, de la France, de l’Allemagne et de l’Italie que le projet de décision a été retiré pour être remplacé par un communiqué présidentiel décrété par le Conseil qui ne comporte aucune condamnation du colonialisme mais se contente d’exprimer l’inquiétude des Etats membres vis à vis des mesures israéliennes. De plus, marginaliser le rôle du Conseil de Sécurité dans le processus de prise de décision signifie-sur le plan pratique- marginaliser le rôle de la Russie et de la Chine au niveau de la politique internationale : c’est, en fait, le but recherché par les Etats Unis pour servir ses intérêts au sujet du transfert du centre de prise de décision politique internationale vers le groupe fermé « le G7 » afin qu’il devienne progressivement « le conseil d’administration du monde ». Il importe ici d’éclaircir ce point : à vrai dire, les Etats Unis ne visent pas directement, par leur politique à détruire les Nations Unis et à les abattre - comme il en était le cas avec la communauté des nations avant la deuxième guerre mondiale- mais l’acculent à s’adapter en quelque sorte au système des intérêts américains et de les servir. Il est même probable que les Etats Unis poursuivent le processus de marginalisation des organisations et groupements internationaux qui vont à leur encontre dont, à titre d’exemple, le G20, le BRICS et l’OPEP.
La gestion et non la résolution des crises
Dans le cadre du transfert du centre de prise de décision politique internationale loin du Conseil de Sécurité des Nations Unies, on fait prévaloir la diplomatie de la gestion des crises et non de leur résolution. Il s’avère donc que la diplomatie de la gestion des crises maintient vive la compétence de manœuvre des Etats Unis et renforce leur rôle à les gérer dans leurs propres intérêts et de les orienter dans la direction qui leur convient. La preuve en est la situation en Libye : le Conseil de Sécurité des Nations Unies a promulgué, en 2021, trois communiqués présidentiels qui tournent tous dans le cadre de la gestion et non de la résolution de la crise politique dans ce pays. Il en est de même pour le Yémen, alors que le Conseil de Sécurité adopte la politique qui décrète des décisions inutiles de prise de sanctions contre les Houthis. De plus l’analyse des données présidentielles émises par le Conseil de Sécurité- qui concernent la question palestinienne, la Libye, le barrage de la renaissance, les sanctions contre le Yémen- montre que les Etats Unis interfèrent dans ces questions pour adopter la politique de double poids double mesure et pour servir uniquement leurs propres intérêts et non d’œuvrer selon les critères qui visent à garantir la paix et la sécurité dans le monde. A titre d’exemple, les Etats Unis et les sept principaux pays industrialisés ont décidé d’imposer l’embargo sur l’exportation des composants des drones iraniens après leur utilisation par la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine ; alors que les Etats Unis et leurs alliés n’avaient même pas pensé à proposer cette même mesure au lendemain des attaques contre le site pétrolier saoudien d’Aramco par ces drones en 2019.