La France a une double tradition géopolitique, européenne et terrestre, maritime et mondiale. D’une logique de conquête (Napoléon / la colonisation), elle est passée au XXème siècle à une logique partenariale dont l’UE et la francophonie sont les deux avatars modernes.
L’un des défis géopolitiques pour l’hexagone serait de stabiliser son influence dans ces deux sphères, ce que j’appelle une géopolitique « de l’angle droit » avec une relation de confiance d’un côté avec la Russie, contre-poids de l’Allemagne et des Etats-Unis, et de l’autre avec l’Afrique, cœur de la francophonie mondiale et futur carrefour des enjeux stratégiques mondiaux (stabilisation des migrations vers la Méditerranée, marché émergent qui peut servir de débouché naturel pour les entreprises françaises…).
Or, c’est exactement l’inverse qui est en train de se produire. Après l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie, la France a basculé d’une position distanciée de médiateur à celle, plus risquée, de co-belligérant, avec l’envoi de matériels de plus en plus sophistiqués. Politiquement, elle semble accréditer le discours de Zelensky qui cherche à transformer une menace pour la paix liée à la violation de la Charte des Nations Unies, en bataille pour les « valeurs occidentales » contre une Russie rejetée hors de l’espace européen. Cette rhétorique, très en phase avec celle des faucons américains, fait l’impasse sur deux siècles d’ancrage civilisationnel russe en Europe et ne peut que pousser Poutine dans les bras de la Chine.
Pendant ce temps-là, ce sont la Chine et la Russie qui sont en train de mettre à la porte la France de sa zone d’influence en Afrique. La « Russafrique » repose sur les méthodes du groupe Wagner, mélange habile de brutalité et de fake-news. Alors que la France a toujours été aux cotés de ses anciennes colonies dans les premiers stades du décollage économique de l’Afrique, elle risque de s’en couper au moment où le continent pourrait devenir l’avenir économique de l’hexagone. Comme un bleu.
Alignée sur Washington sur le continent européen, la France risque d’assister à la soumission industrielle, au plan militaire et énergétique, de l’UE et à son incorporation à une espèce d’imperium occidental où l’adhésion à l’OTAN serait le corollaire naturel de l’appartenance à l’UE. Rallumer la guerre froide avec un possible risque que cela dégénère en affrontement mondiale est tout sauf notre intérêt.
Marginalisée en Afrique, la France pourrait perdre son relais francophone et être condamnée à devenir un petit acteur régional. Quand les pays africains ouvriront les yeux et constateront que le mercantilisme chinois ou le soutien russe aux militaires ne peuvent suppléer une stratégie partenariale de long-terme, il sera trop tard. Si l’Afrique ne décolle pas économiquement, les côtes méditerranéennes seront rapidement submergées.
Voilà pourquoi la France doit repenser ses objectifs géopolitiques et dans un univers mondial compliqué renouer des relations franches et respectueuses avec les pays d’Afrique en leur proposant un véritable accord de codéveloppement humain, tout en rééquilibrant sa relation russe.