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Monde

La Turquie en Syrie et au-delà

Le Dialogue

Un membre d'un clergé arméno-américain participe à une veillée de paix aux chandelles organisée par des dirigeants arméno-américains après la récente attaque contre des civils et des soldats arméniens en Artsakh par le gouvernement azerbaïdjanais, devant l'hôtel de ville de Los Angeles, Californie, le 12 avril 2016. L'Azerbaïdjan et les séparatistes arméniens du Haut-Karabakh ont annoncé un cessez-le-feu après quatre jours d'effusion de sang, alors que les puissances internationales se précipitaient pour mettre fin aux pires violences depuis des décennies dans la région contestée. (Photo de Mark Ralston / AFP)

 

Alexandre Goodarzy, qui a été notamment pris en otage par une milice islamiste chiite en Irak, est professeur d'histoire-géographie français descendant d'Iraniens et cadre de l'association SOS Chrétiens d'Orient, nous livre ici un témoignage édifiant, à la fois sans concession et complet, sur la question des Chrétiens d’Orient. On lui doit entre autres un ouvrage-témoignage remarqué : "Guerrier de la Paix", publié en 2021, qui tire la sonnette d'alarme sur le drame en cours des chrétiens d'Orient.

 

On pense souvent à tort que le Croissant Fertile (zone géographique allant de la Mer Méditerranée au Golfe Persique) est une terre peuplée exclusivement de musulmans. Les conflits qui minent la région depuis plusieurs décennies ont déstabilisé des pays où l’Islamisme était combattu avec velléité par les Chefs d’Etat arabes qui maintenaient l’unité nationale au moyen de l’Arabisme et qui promouvaient le socialisme et la laïcité. Les exemples les plus significatifs de la région sont la Syrie et l’Irak. C’est dans ce contexte de tensions, de guerre et parfois d’horreurs que la question chrétienne refait surface. On se rappelle non seulement qu’ils existent mais aussi qu’ils sont les descendants directs des habitants souches qui peuplent ce territoire depuis l’Antiquité. Aujourd’hui en voie d’extinction, depuis 2003 le nombre des chrétiens d’Irak a été divisé par 10 et depuis 2011, celui des Syriens a été réduit de deux-tiers.

En effet, les guerres à répétition menées par les Etats-Unis et les restrictions économiques qui s’y ajoutent affaiblissent les Etats arabes générant un vide politique qui est de facto comblé par l’Islamisme. C’est le cas de l’Irak où après la chute de Bagdad en 2003, le pays (excepté au Nord) a été immédiatement ravagé par deux islamismes rivaux : un opérant pour le compte de la République islamique d’Iran, l’autre pour celui de l’Arabie Saoudite. Si en Irak, l’islamisme résulte de la destruction de la nation irakienne, en Syrie c’est le Printemps arabes et ses débordements qui lui a donné l’occasion de sortir du bois. Evoluant depuis près d’un siècle dans l’arrière-pays, les campagnes, les zones désertiques et les banlieues des grandes villes, les frères musulmans ont patiemment attendu leur heure. Profitant du mécontentement national, les Islamistes ont noyauté l’opposition et remplacé les revendications démocratiques par des revendications chariatiques. Comme en 1979 en Iran, on assiste à un hold-up des islamistes confisquant la contestation générale pour en faire une révolution islamique. Ainsi les manifestants de la première heure n’ont plus qu’à se résigner et à désormais s’accrocher au pouvoir qu’ils combattaient et qui devient finalement leur seule garantie de survie face à l’islamisme. 

            En Irak comme en Syrie, des razzias menées par les djihadistes sur les populations poussent les chrétiens à la fuite. Si les djihadistes font montre d’une forme de clémence envers les chrétiens, c’est parce que trois choix s’offrent à eux : la conversion à l’Islam, la dhimmitude par le paiement de la djezya (la taxe dont l’infidèle doit s’affranchir s’il veut rester chrétien en « terre d’Islam ») ou bien l’exil. En revanche, si les combattants d’Allah décident du sort des chrétiens en se référant aux versets médinois alors la suite devient plus tragique : meurtre des hommes par décapitation ou crucifixion, esclavage sexuel pour les femmes et enlèvement des enfants pour assurer la relève du califat de demain. Rien de nouveau sous le soleil, leurs prédécesseurs mamlouks, janissaires, barbaresques etc en faisaient autant. C’est la raison pour laquelle durant les premières manifestations en Syrie on pouvait entendre à la sortie des mosquées après la prière du Vendredi « Les Alaouites au tombeau et les Chrétiens à Beyrouth ». Il ne leur fallait pas beaucoup de temps pour durcir le ton puisque la semaine suivante le slogan devenait « Elargissez le tombeau des Alaouites pour y jeter aussi les Chrétiens ! » Ainsi du statut de dhimmi à celui de condamné à mort le chrétien obtenait un sursis d’à peine 8 jours.

     Dans ce retour en force de l’islamisme, des grandes puissances régionales vont jouer leur partition. On pense souvent à l’Iran chiite et à l’Arabie Saoudite sunnite mais on oublie que les victoires chiites et son expansionnisme dans la région sont directement dus aux échecs répétés du nationalisme arabe face à l’Occident, face à Israël mais également du fait des divisions au sein des forces (sunnites) en présence qui se disputent le leadership du monde musulman sunnite depuis la chute du califat ottoman. Les wahhabites et les frères musulmans sont les principaux antagonistes de cette lutte interne de pouvoir sunnite. Ainsi, la Turquie, le Qatar et l’Arabie Saoudite essaient chacun de tirer profit des fragilités du cœur du monde arabe : c’est-à-dire la Syrie et l’Irak.

 

La Syrie, un carrefour stratégique

Le 15 mars 2011 commence une révolution en Syrie sur le modèle des printemps arabes. Les vrais problèmes commencent réellement en été 2011 lorsque la Syrie fait le choix d’un partenariat économique avec l’Iran et la Russie. L’Europe devait être approvisionnée en gaz depuis le Golfe Persique ; soit par la main des Russes, soit par celles des Turcs. Cette source gazière est à cheval sur le territoire maritime iranien au Nord et sur l’espace qatari au Sud. La Syrie se trouve au croisement de deux trajectoires possibles pour l’acheminement de ces gazoducs: 

1) - Qatar – Arabie Saoudite – Jordanie – Syrie – Turquie

2) - Iran – Irak- Syrie – Mer Méditerranée (via le port russe de Tartous en Syrie).

Deux chemins possibles, deux voies d’acheminements ; par conséquent, deux alliances politiques et économiques distinctes. Tous les pays traversés par les gazoducs toucheront des subsides, une nouvelle source de revenue non négligeable. Si la Syrie fait le premier choix, alors la Turquie aura la main sur les vannes et possédera un nouveau moyen de pression sur l’Europe… 
La Syrie va choisir la 2ème option. Ce partenariat économique va définir de facto la trame politique régionale et précipiter le pays, déjà en proie à de violentes manifestations, dans une redoutable guerre. Pour inverser le rapport de force, les combattants syriens de l’opposition vont ouvrir les portes du pays à des djihadistes venus des quatre coins du monde musulman et du monde entier. Les pays voisins en profitent pour vider leurs prisons et nourrir les rangs de l’opposition. Ainsi l’opposition syrienne dite Armée Syrienne Libre accouchait de Jabhat al-Nosra, la version syrienne d’Al-Qaeda. Leurs principaux bailleurs de fonds : la Turquie, le Qatar et l’Arabie-Saoudite qui entendent faire payer à la Syrie son alliance avec la Russie et l’Iran. Si la France est un des ennemis de l’Etat Islamique en Irak, elle reste le soutien des membres d’Al-Qaeda en Syrie. Elle ne limitera pas son soutien aux tribunes médiatiques qu’elle accorde aux terroristes mais elle rompt en plus ses relations diplomatiques avec le Gouvernement syrien qu’elle ne reconnaît plus et participe activement aux sanctions économiques qui affament le peuple syrien. En 10 ans, la guerre en Syrie a fait environ 500.000 morts.





Au Nord-Ouest : La poche d’Idlib ou le chantage turc

Jusqu’en 2018, les poches de djihadistes éparpillées sur tout le territoire syrien sont fermées une à une par l’armée arabe syrienne et ses soutiens russes et iraniens. Généralement un siège précède une reddition où les terroristes déposent les armes lourdes et sont autorisés à poursuivre les combats en emportant leurs armes légères dans des bus qui les mèneront sur une autre zone de guerre : Idlib et Jarablous. Les Turcs qui contrôlent ces zones, assurent une protection à ces djihadistes et en profitent pour étendre leur présence en Syrie. Très vite, Idlib devient le réservoir du djihadisme international, une province où sont entassés tous les islamistes du pays et de l’étrangers. La Turquie sanctuarise la zone adossée à sa frontière en érigeant des tours d’observation sur tout le pourtour de la poche, empêchant ainsi les Syriens de déloger ceux qu’ils avaient combattu les semaines et mois précédents. Depuis l’été 2019, les combats ont diminué entre Idlib et le reste de la Syrie. La solution n’est plus sur le champ de bataille au bout d’une arme, mais dans les bureaux d’Astana et de Sotchi. Les conflits entre l’armée syrienne et les djihadistes du Nord devenus les mercenaires de la Turquie avaient cessé pour laisser place à des négociations entre les grandes puissances régionales et mondiales.

            L’armée syrienne aura bien tenté de finir le travail de pacification de la région en nettoyant la poche d’Idlib et ainsi reformer l’unité territoriale du pays mais les Turcs empêchent la reconquête syrienne. En effet, si la Turquie n’obtient pas satisfaction sur la question kurde qui sévit comme une menace au Nord et à l’Est du pays, alors la Syrie ne récupérera pas Idlib.

 

 A l’Est de l’Euphrate :  Le prétexte kurde

Dès 2012, les Kurdes se voient confier la sécurité de la Jezire (Nord-Est syrien) par le Gouvernement syrien. L’armée arabe syrienne masse le gros de ses troupes à Alep, deuxième ville du pays qu’elle espère sauver de l’invasion islamiste. Les Kurdes sensés assurer le relai de l’armée et du pouvoir syrien dans le nord-est du pays profitent finalement de l’affaiblissement de Damas pour former un proto-Etat kurde. Le conflit syrien entraîne un séparatisme kurde que veut difficilement admettre le Gouvernement syrien. Si le sujet reste tabou en Syrie, la question n’en demeure pas moins préoccupante pour Damas et Ankara. Même décriées par le Gouvernement syrien, les interventions militaires turques dans le Nord-syrien pour contrer la formation d’un Kurdistan sont secrètement approuvées par Damas. L’avenir nous dira si la Syrie recouvrera les territoires que les Turcs n’ont pas l’air de vouloir rétrocéder.

Côté syrien, avec seulement un million de Kurdes pour 22 millions d’habitants, la minorité kurde ampute à la Syrie près du tiers du territoire syrien le plus fertile. Historiquement et géographiquement, les Kurdes sont une communauté minoritaire mais importante en différents points de la frontière turco-syrienne (Afrin – Kobane – Qamishli). Aujourd’hui ils sont bien loin de leur implantation d’origine puisqu’ils occupent politiquement et militairement quasiment tout l’espace syrien situé à l’Est de l’Euphrate, soit le tiers de la Syrie. Cette domination politique et militaire kurde débordant largement en territoire arabe relance des rivalités ancestrales opposant tribus Kurdes et tribus Arabes. La présence américaine qui favorise ce déséquilibre ajoute encore davantage de frustration chez les Arabes qui vivent cette situation comme un déshonneur qu’il faudra laver tôt ou tard. Le contexte économique misérable dû aux sanctions économiques qui sévissent depuis le 17 janvier 2020 (Plan César) favorise la réémergence de l’Etat Islamique dans les territoires Est de la Syrie. Les terres spoliées aux Arabes sur tous les territoires situés à l’Est de l’Euphrate avec l’aide des Etats-Unis et ce dans un contexte économique exécrable, incite les tribus arabes locales dépossédés de leurs biens et de leur fierté à tisser des liens avec les membres de l’Etat Islamique.

            Ce sont des frustrations du même ordre qui habitent les populations arabes parties trouver refuge en Turquie et qui vivent depuis près de dix ans dans des camps de fortune, attendant désespérément le jour où ils vont pouvoir reprendre possession de leurs terres, spoliées par les Kurdes pour alimenter le parti (PKK/PYD). Les Turcs sauront instrumentaliser ce ressentiment à leur profit.

Côté turc, impossible de laisser se former un Kurdistan sur sa frontière. Les Kurdes de Syrie et de Turquie sont parents. Beaucoup d’entre eux ont rejoint la lutte armée contre Ankara en adhérant au PKK turc ou à sa branche syrienne, le PYD. Depuis des décennies déjà, les combattants kurdes de Turquie frappent tout ce qui représente le pouvoir central turc et se réfugient au nord de la Syrie pour échapper aux représailles turques. Ankara ne permettra pas la formation d’un semblant de Kurdistan en Syrie, ce qui augmenterait les ambitions politiques kurdes et ses revendications sur le territoire turc. Ainsi, pour stopper ce que la Turquie considère comme une menace kurde, Erdogan lance progressivement 5 grandes opérations militaires au Nord de la Syrie, tout le long de la frontière turco-syrienne :

- l’Opération « Bouclier de l’Euphrate » lancée en août 2016

- l’Opération « Rameau d’Olivier » lancée en janvier 2018

- l’Opération « Source de Paix » lancée en octobre 2019

- l’Opération « Bouclier de Printemps » lancée en mars 2020

- l’Opération « Griffe Epée » lancée en novembre 2022

            Exceptés les territoires nord de la Syrie occupés par la Turquie à la suite de ses opérations successives, les Kurdes, forts du soutien des Etats-Unis, occupent toujours la majeure partie des terres situées à l’Est de l’Euphrate. Il s’agit des zones les plus fertiles, les plus agricoles du pays mais aussi des plus riches en hydrocarbures. Pour les Etats-Unis, la présence kurde sert de barrage à l’expansionnisme iranien qui cherche, entre autre, à atteindre la Mer Méditerranée pour désenclaver économiquement la République islamique d’Iran. La Syrie, la Turquie et l’Iran sont d’accord sur un point, le Kurdistan doit disparaître et les Etats-Unis doivent débarrasser le plancher. Raïssi ne laissera pas le fantasme kurde faire obstacle à la politique régionale iranienne. Assad n’acceptera pas de perdre un kilomètre carré de son Etat et devoir continuer à acheter son propre pétrole aux Kurdes et aux Américains. Erdogan ne peut accepter que la situation syrienne aie une incidence sur les 20 millions de Kurdes présents en Turquie, soit un quart de la population turque (80 millions environ). La revendication territoriale menacerait quasiment la moitié du territoire turc.        

Le rapport de force est définitivement en faveur d’Ankara qui turcise le Nord de la Syrie. La conquête ne se limite pas à des prises territoriales, il est question d’y implanter tous les arabes syriens de l’opposition qui ont trouvé refuge en Turquie et qui sont désormais plus fidèles à Erdogan qu’à Assad. Ces syriens de l’opposition préfèrent un islamiste turc à un socialiste alaouite prônant la laïcité d’Etat…

La Syrie en 2020 selon Syria Intelligence

Légende :

En rouge, les positions de l’Armée Arabe Syrienne.

En vert, les positions des islamistes de Hayat Tahrir ach-Cham et/ou leurs affidés : 
La zone verte au Nord-Ouest de la Syrie (Idlib) est une zone djihadiste sous contrôle turc.
La zone verte au Sud-Est de la Syrie(al-Tanf) est une zone djihadiste sous contrôle étasunien. 

En jaune, les Forces Démocratiques Syriennes (alliance entre Kurdes et membres de l’opposition arabe souvent anciennement proches de groupes djihadistes). Ces FDS sont appelées aussi Forces Kurdes comme sur la carte qui suit.

En turquoise, les positions turques. 

En orange, les positions russes visant à endiguer le débordement turc en territoire syrien.
En bleu foncé le Golan syrien annexé par Israël depuis 1967.

Le Projet turc



Légende : 

Toute la zone hachurée en rouge représente l’objectif visé par la Turquie : une bande de trente kilomètres de profondeur en territoire syrien tout le long de la frontière turco-syrienne où Recep Tayyip Erdogan veut renvoyer les 3 millions de syriens entassés dans des camps de réfugiés en terre turque. 


Le néo-ottomanisme ou l’expansionnisme turc

Auréolé d’une assistance humanitaire, Erdogan a su attirer à la Turquie l’aide financière internationale prévue pour les 3 millions de réfugiés syriens sur le sol turc. Les subsides des Organisations internationales sont employés aussi pour la formation militaire d’un bon nombre de ces réfugiés sous l’autorité des officiers turcs. Membres de l’opposition syrienne combattant à Idlib contre le Gouvernement syrien ou bien civils frustrés de la domination territoriale kurde en Jezire (Nord-est syrien) et de toutes les spoliations qui en ont découlées, ces Arabes sont employés par la Turquie pour la « reconquête » des territoires nord de la Syrie. Ils ne sont plus des réfugiés mais des mercenaires.

Dans ces territoires désormais sous contrôle turc (Idlib, Jarablous et la bande de terre qui va de Tal Abyad à Ras al-Ain), la Turquie a construit ses tours d’observation, y a déployé son armée, frappé sa monnaie et placardé ses couleurs. Le turc est désormais enseigné dans les écoles et le réseau téléphonique ne se fait plus via Syriatel mais via Türkcell. Un morceau du territoire syrien est déjà devenu turc. Cette annexion du nord syrien par Erdogan et l’implantation de populations arabes hostiles à ces kurdes dans ce qui ressemble à une zone tampon vise à défaire l’unité géographique kurde répartie sur les Etats syrien et turc et in fine, à sécuriser l’Etat turc en formant un glacis protecteur sur sa frontière sud.

A cette annexion territoriale, la Communauté internationale a beau contester, Erdogan fait comprendre à l’Europe que si on ne laisse pas à la Turquie le soin de gérer son flux migratoire et sa politique sécuritaire comme elle l’entend, alors elle lui transférera le problème en lui envoyant les réfugiés qu’elle lui demande de garder. Il est intéressant de rappeler que la Turquie avait subi en 2015 de nombreux attentats meurtriers à Istanbul et à Ankara et qu’à cette époque Erdogan avait déjà ouvert les vannes, causant une vague migratoire meurtrière sans précédent en Europe et notamment en France : attentats du bataclan, de Nice, Charlie Hebdo etc.

 

L’Histoire se répète

Durant la période ottomane, l’axe Alep – Raqqa – Mosul constituait une ligne de défense intérieure qui protégeait les turcs de l’empire des invasions arabes bédouines venues du Sud, c’est-à-dire des plaines et des déserts actuellement situés au nord de la Syrie. Ainsi, le projet turc visant à créer un couloir tout le long de la frontière turco-syrienne signifie un retour sur le Traité de Lausanne finalement jamais digéré par les Turcs. Et pour cause, cette annexion territoriale vient s’ajouter aux précédentes. 

En 1938, durant le Mandat français (1920-1946), l’indépendance était donnée au Sandjak d’Alexandrette en faveur de la Turquie qui l’annexera l’année suivante pour devenir le Hatay turc. Les minorités turkmènes présentes au Proche-Orient depuis un millénaire avaient orienté le vote en faveur de la Turquie, au détriment de la Syrie. Ainsi, la France achetait la neutralité de la Turquie dans le deuxième conflit mondial qui semblait déjà inéluctable. La région d’Antioche, jadis capitale de la Syrie romaine, une des composantes de la Pentarchie où fut bâtie une des premières Eglises chrétiennes et où l’on avait nommé « chrétiens » les disciples de Jésus pour la première fois, abandonnée aux Turcs, une vingtaine d’années après le génocide qu’ils avaient perpétré envers leurs minorités syriaques, assyriennes, chaldéennes et arméniennes. 

Actuellement à Idlib, également sous occupation djihadiste, Erdogan a recruté de nombreux combattants venus d’Asie centrale en échange de terres syriennes. Ici aussi, l’Etat français continue de fermer les yeux durant une décennie de conflit en nommant « rebelles modérés » ou « combattants de la liberté » des hommes qui retiennent tout une population en otage, notamment les quatre villages chrétiens de Yaqubiyeh, Ghassaniyeh, Knayeh et Jdeideh qui vivent sous le règne de la charia, de la terreur, des pillages, des meurtres, et des viols.

 

Conclusion

Si la Turquie a su employer des djihadistes pour empêcher la formation d’un Kurdistan sur ses frontières, elle sait aussi les utiliser à des fins panturquistes. La Turquie recycle son vivier de djihadistes en une sorte de légion étrangère utile à son expansionnisme et à son influence. Dans son viseur, l’Arménie chrétienne dont la présence se vit comme un caillou dans la chaussure turque. Cette « anomalie » représente un obstacle à l’unité géographique du monde turc qui va de l’Asie mineure à l’Asie centrale. Un siècle après le génocide arménien, syriaque, assyrien, chaldéen et grec perpétré par les turcs, ces derniers récidivent en envoyant des islamistes arabes récupérés en Syrie égorger des Arméniens en Artsakh pour le compte des Azéris qui souhaitent annexer cette région à l’Azerbaïdjan. Les mutilations, les décapitations perpétrés envers les civils de cette région historiquement arménienne ont lieu en ce moment-même dans le plus grand calme car nulle en Europe n’a envie de courroucer les Turcs avec qui nos Etat européens signent de gros contrats gaziers. 

En Grèce, Erdogan ne se contente pas de masser ses réfugiés syriens, djihadistes déguisés en « migrants », à leur frontière pour faire pression sur l’Europe ; il menace également le pays d’invasion. Très récemment, Erdogan a demandé aux Grecs de se souvenir de Smyrne : « nous pourrions venir dans la nuit » les a-t-il menacés pour leurs faire comprendre que les îles grecques n’avaient d’autre vocation que de devenir turques… Elles pourraient connaître le même sort que Chypre dont le tiers de l’île la plus fertile avait été annexé par la Turquie en 1974, dans l’indifférence générale.

            Jusqu’où s’étendra l’expansionnisme neo-ottoman ? Avec l’échec des frères musulmans en Syrie et en Egypte sur lesquels la Turquie avait beaucoup misé, Erdogan a vu son champ d’influence au Proche-Orient sunnite se réduire. L’Europe et en particulier la France qui abrite déjà des millions de personnes d’origine turque et de façon plus large, une population musulmane héritière de la mémoire des peuples colonisés, constitue une nouvelle zone d’influence. L’adhésion des musulmans d’Europe à Erdogan est massive. La renaissance arabe incarnée par des tyrans et à laquelle le monde arabe s’est longtemps accroché paraît finalement dépassée face à un Erdogan respectueux du processus électoral et qui finalement apparaît comme un modèle de démocrate musulman. Il séduit en dénonçant ouvertement la politique israélienne et divise le champ politique européen avec la question de l’Islam. 

Entre temps, le djihad international perpétré par Hayat Tahrir ach-Cham et ses affidés a cessé de s’opérer sous l’autorité d’Al-Qaeda (depuis 2016) pour passer sous celle de l’Etat turc ; un djihadisme d’Etat au service d’un califat en devenir. Cette « cosaquerie turque » semblerait n’avoir aucune limite dans ses appétits de conquêtes et l’immigration musulmane d’Europe constituerait déjà le cheval de Troie idéal pour ses ambitions hégémoniques…