Abdoulaye Bathily (C), Représentant spécial des Nations Unies pour la Libye et chef de la Mission d'appui des Nations Unies en Libye (UNSMIL), arrive pour une réunion de simulation électorale dans la capitale Tripoli le 5 novembre 2022. (Photo de Mahmud Turkia / AFP)
L’Etat libyen a été renversé en 2011 sous les coups d’une ingérence militaire aveugle avec la participation de l’OTAN- avec toute sa puissance- et l’alliance d’un grand nombre de pays de la région dont des pays arabes. Il s’est ensuivi l’introduction de la Libye dans une période de chaos qui n’est qu’une application à la lettre de la théorie du « chaos créatif » prônée par l’ancienne secrétaire d’Etat américaine aux affaires étrangères, Condoleezza Rice: les institutions militaires et sécuritaires ont été quasiment détruites, des lois excentriques ont été décrétées et en vertu desquelles plus du tiers des citoyens ont été privés d’accéder à des postes clés ou de participer aux élections en tant que candidats ou électeurs !
Aussitôt a été donc rédigée une déclaration constitutionnelle qui a été adoptée par le Conseil Constitutionnel - qui comptait trente membres- et dont la moitié reste anonyme jusqu’à nos jours. Ils ont été nommés par l’ancien président français Sarkozy et appartiennent dans leur majorité à la confédération des Frères musulmans. Cette déclaration n’a pas été soumise à référendum mais est entrée en vigueur par la légitimité du fait acquis.
A la moitié de l’année 2012, des élections ont été tenues et remportées par l’alliance des forces nationales; néanmoins, un stratagème satanique a écarté les vainqueurs aux élections pour les remplacer par d’autres qui ne l’étaient pas et plus appartenaient au courant islamiste. Un article ajouté à la loi électorale disposait qu’en cas de vacation de siège pour une raison quelconque, il sera occupé par l’élu suivant dans le classement. Les milices dominantes ont donc contraint les vainqueurs de l’alliance à démissionner pour imposer à leurs places des éléments islamistes extrémistes même s’ils n’étaient pas classés deuxièmes par le nombre de voix remportées!
En 2013, l’action populaire a culminé face à la Conférence nationale dont le mandat avait expiré. Suite à des atermoiements, le comité de février a été constitué et a rédigé un document constitutionnel qui a été adopté par le Conseil national et c’est en vertu de cet instrument que des élections ont été tenues à la moitié de l’année 2014. Selon les urnes électorales, le courant islamiste lié à l’Occident a essuyé une cuisante défaite : en dépit du pouvoir de ses milices et de ses fonds corrompus, il n’a remporté que 12 des deux cents sièges du Conseil national. Une guerre dévastatrice baptisée « Fajr Libya » a aussitôt été déclenchée : L’un de ses épisodes les plus importants a été l’incendie de l’aéroport international de Tripoli. Cette guerre a débouché sur l’extension de l’emprise des milices islamistes extrémistes sur l’ouest libyen.
Le Conseil des députés élu a tenté de se réunir mais il en a été interdit : ses membres ont donc été obligés de se réunir dans la ville de Tobrouk alors que douze islamistes d’entre eux se sont déclarés absents !!
L’Occident- qui pratique la démocratie de la majorité simple- a refusé de reconnaître le conseil des députés et en a conditionné sa reconnaissance au retour des députés qui l’avaient boycotté. C’était la levée du rideau sur la première scène de la pièce de théâtre du dialogue national libyen qui se joue toujours !
Le chef de la mission de soutien des Nations Unies en Libye, l’espagnol Bernardino León Gross a imposé le dialogue entre les boycotteurs et le Conseil des députés en observant la règle de parité : 4 représentants des boycotteurs versus 4 représentants du Conseil, alors que le nombre des boycotteurs n’était que douze. Ceci n’était que le premier maillon d’une longue chaîne de dialogues qui a épousé plusieurs trajectoires, de par le monde, jusqu’à débarquer en fin de compte dans la ville de Skhirat au Maroc. Au bout d’un an jour pour jour, Bernardino León Gross a sorti de sa poche la formule de ce qu’il a appelé un accord politique avec un annexe et un conseil présidentiel constitué de 9 personnes dont la nomination répondait à des critères que nous ignorons jusqu’à nos jours. Le mandat du Conseil et du gouvernement est d’un an et demi suivi d’élections. Néanmoins, la moitié nommée des membres du Conseil a démissionné. Seuls restent Fayez el-Sarraj et ses collaborateurs qui se sont cramponnés au pouvoir pour une période de cinq ans. Le gouvernement de l’entente nationale s’est transformé en autorité de discorde nationale qui a conduit à une guerre acharnée qui a duré pour encore deux ans qui ont pris fin avec l’occupation des deux villes de Tripoli et de Misrata réciproquement par les forces turques et italiennes !
Le projet du dialogue national a été proposé- de nouveau- par l’envoyé spécial de l’ONU en Libye, Ghassan Salamé et son adjointe Stéphanie Turco Williams. Ils ont chargé un sous-traitant, le suspecté Centre du dialogue humanitaire à Genève, de gérer le dialogue. De la capitale suisse, un nouveau marathon de négociations a pris son chemin vers Tobrouk, la Tunisie, Lausanne et Istanbul. Au bout de deux ans, il a accouché du dialogue de Genève auquel ont participé 75 personnes dont les deux tiers sont comptés du courant islamiste et d’autres d’affiliation méconnue et non identifiée. Le gouvernement de l’union nationale a pris naissance sous la direction de Debeiba et son conseil présidentiel fantoche. Il s’est engagé à tenir des élections dans un délai d’un an, d’unifier les institutions et de reconstruire le pays. A peine deux ans après sa naissance, il est devenu uniquement le gouvernement de Misrata et de Tripoli pour débourser en seulement 24 mois l’équivalent des dépenses assumées tout le long du règne de l’ancien régime. Le pays a été pris dans l’étau de graves conventions conclues avec les Turcs et les Italiens et a été mis au bord de l’abîme d’une nouvelle guerre qui a rendu inaccessible l’objectif de la tenue des élections.
Parallèlement à cette série de dialogues politiques absurdes, d’autres dialogues ont été lancés depuis des années dont le Dialogue militaire 5+5 qui vise –théoriquement parlant- à unifier les institutions militaires et sécuritaires entre le quartier général des forces armées qui monopolise les armes dans les régions de l’est et du sud et l’état-major à l’ouest et qui ne possède des armes que leur nom sans compter sa soumission- sur le plan pratique- à l’emprise des milices dans la zone ouest. Malgré les bonnes intentions des militaires, ce dialogue est absurde : L’ouest de Tripoli est divisé - pratiquement parlant- en plusieurs parties subissant l’emprise de diverses milices, certaines d’entre elles sont régionales telles les milices de Misrata, Zentan et Zouara alors qu’ils sont idéologiques dans leur plupart comme c’est le cas pour certaines milices de Misrata, Tripoli et Zaouïa. Il va de soi que nous ne pouvons pas évoquer l’idée de retirer les armes aux milices alors que le dernier mot est celui des chefs de milices dont Kara, Gheneiwa, Bakara, Far, Dawi, Beiga, Hossan, Ben Ghachir et Badi et autres.
Après le succès remporté par les militaires par le lancement de l’opération Al-Karama et le désarmement, par force, des gangs armés, ont été restructurées les forces armées à l’est comme au sud. Il est carrément illogique de négocier avec ceux qui ne détiennent pas de pouvoir effectif exercée sur les milices ou de réclamer leur engagement de se désarmer. Il en est de même si l’on demandait d’évacuer les milices et les forces étrangères. A l’ouest, chaque milice a ses propres mercenaires comme elle dépend d’un État étranger qui la soutient militairement et financièrement et lui présente la protection politique.
Non moins étrange ce dialogue qui se déroule depuis voilà des années au sujet de la base constitutionnelle et qui vise à parvenir à un certain consensus entre le Conseil des députés et l’État au sujet d’une loi électorale ; d’autant plus, que des élections ont été tenues dans le passé selon des lois qui n’ont jamais constitué de pierre d’achoppement sur leur parcours, que la Constitution du fait acquis existait et que le Conseil des députés avait promulgué une loi électorale l’année dernière qui aurait failli servir de base à leur tenue si « l’ambassadrice britannique » n’était pas intervenue en tant que force majeure pour les arrêter à la dernière minute et avant le lancement du vote.
Le dialogue au sujet de la base constitutionnelle est devenu presque un dialogue de sourds tant que chacune des deux parties cherchait à élaborer une base qui exclut l’autre et bien plus, autorise seul à l’une des deux parties de se présenter aux élections et de les remporter !!
Une question se pose : cette idée de dialogue proposée par la mission des États Unis est-elle la bonne solution pour remédier à la crise libyenne ou peut-être est-elle juste un divertissement pour prolonger la crise et la gérer au lieu de la résoudre ?
De prime abord, la crise libyenne- à vrai dire- n’a pas été engendrée par un conflit libyco-libyen qui aurait pu être résolu par le dialogue et l’entente, elle est- dans son essence- la résultante de l’intervention étrangère et ne peut être résolue que par l’évacuation étrangère non seulement de la scène libyenne mais surtout de l’équation politique. C’est à ce moment bien précis que la concorde pourrait facilement régner entre tous les Libyens.
Deuxièmement, le dialogue en Libye se déroule d’une manière bizarre et incongrue. C’est la mission qui fait tout : elle détermine les parties au dialogue, leurs représentants, les sujets à aborder, les déductions et même les résultats qu’elle impose. Alors que l’abécédaire du dialogue exige qu’il ait lieu entre des parties au conflit bien précises qui nomment leurs représentants et créent les concordances !
Le processus adopté reflète uniquement que l’Occident baptisé communauté internationale ne veut pas résoudre la crise libyenne tant qu’il en est l’artisan dans tous ses détails ; bien plus, c’est ce même Occident qui a imposé les personnalité éminentes en Libye que la plupart des responsables aujourd’hui y sont des étrangers d’origine libyenne ; l’Occident veut maintenir le statu quo et les dialogues dits nationaux ne sont que des illusions d’optique pour divertir le peuple et l’empêcher de détenir les rennes de son propre pouvoir !