L'analyse des relations entre les femmes et l'univers religieux a renouvelé, depuis quelques années, la représentation courante d'un monde de contraintes et d'oppression des femmes, même si cet aspect ne peut être évacué.
A travers quelques exemples, pris dans des époques parfois éloignées dans le temps, on voit se dessiner un paysage un peu différent.
On s'aperçoit alors que des femmes ont pu, dans un cadre religieux, trouver des possibilités d'action, d'expression que n'avaient guère les femmes de leur temps.
Le cas des communautés religieuses féminines catholiques est intéressant. Les nonnes et moniales des temps médiévaux ou modernes étaient soumises, comme le clergé masculin, à la règle du célibat consacré, règle qui a suscité l'étonnement voire le scandale aux premiers temps du christianisme et, beaucoup plus tard, de la part des réformateurs protestants. Dans la France de la fin du 18e siècle et du 19e siècle, le regard porté sur ces femmes a oscillé entre la vision très noire de l'enfermement des jeunes filles au couvent et l'évocation, par la littérature catholique, des héroïnes, « martyres » de la Révolution française. Une autre figure l'emporte au début du 20e siècle, celle de la « bonne soeur » dont la tradition anticléricale se moque volontiers. Mais cette manière familière de nommer les religieuses suggère aussi que celles- rendaient des services non négligeables. On sait le rôle important joué par les congrégations enseignantes et soignantes qui se sont multipliées dans la France et l'Europe du 19e siècle.
Si l'on remonte plus haut dans le temps, des recherches ont montré comment les couvents des temps médiévaux et modernes ont pu être des lieux d’accès à l’étude, à la musique, et parfois, une manière d'échapper à la tutelle conjugale et familiale. Il y eu des itinéraires étonnants de femmes religieuses, comme ces abbesses, appartenant aux élites sociales du temps qui dirigeaient des communautés et exerçaient de réels pouvoirs. C'est le cas de Hildegarde de Bingen dans l’Allemagne du Moyen-Age. Cette femme aux multiples talents, pratiquait la musique et la botanique. Elle correspondait avec de grandes figures de son temps et a laissé de nombreux textes. On la considère comme l'une des premières compositrices de l'histoire de la musique européenne et aussi comme une lointaine ancêtre de la pensée écologiste. Aurait-elle eu les mêmes possibilités en étant épouse et mère y compris dans le monde aristocratique dont elle était issue ? La même question peut être posée à propos de Thérèse d’Avila, grande figure de la mystique catholique dans l’Espagne du Siècle d’Or et de la Contre-Réforme. Elle aussi a beaucoup écrit et entretenu une correspondance avec Jean de La Croix, autre grand nom du mysticisme catholique. Très cultivée, issue d'une famille de juifs convertis, Thérèse d’Avila était en même temps une femme d’action, véritable entrepreneuse en religion, qui a sillonné l’Espagne pour réformer les Carmels. Reconnue en son temps par les autorités religieuses, elle fut la première femme reconnue docteur de l’église catholique, au 20e siècle... Parmi ces religieuses aux itinéraires étonnants, il y a celles qu'on peut qualifier d’aventurières de Dieu, ces femmes que les grandes congrégations missionnaires ont envoyé dans le monde entier, dès le 17ème siècle et surtout au 19ème siècle. Elles ont eu une vie fort éloignée de celle des femmes de leur temps, avec des « supérieures générales » dont les responsabilités n’avaient pas d’équivalent dans la vie civile comme l'a montré l'historien Claude Langlois.
Un autre aspect mérite d'être souligné, le fait que l’entrée dans une congrégation religieuse pouvait être un moyen d’échapper à la misère matérielle et à la tutelle familiale et conjugale, pour des jeunes filles des campagnes pauvres de l'Europe du 19e siècle, un phénomène repérable en France dans certaines régions du Massif central. La décision de devenir religieuse obéissait sans doute à de multiples causalités dont une ne peut être éludée, celle de la foi religieuse.
Vivre sa foi religieuse passe par des pratiques de dévotion qui ont pu être l'occasion de formes d'expression individuelle ou collective de femmes, religieuses ou non. C'est le cas au 17ème siècle, période encore fortement marquée par le dynamisme de Réforme catholique, avec le développement de la dévotion à l'Enfant Jésus par des femmes comme Madame Guyon, qui tentent, mais sans succès, de contourner la médiation des hommes d’église . Plus près de nous, au 19ème siècle, c'est autour du culte marial impulsé par l’église catholique que les femmes se retrouvent même si elles n'en sont pas les seules pratiquantes. Il arrive toutefois que des femmes s'approprient ce culte de la Vierge et le pratiquent entre elles, y compris dans l'Europe contemporaine. Dans la Grèce orthodoxe d’aujourd’hui, les femmes sont les seules à accéder à une icône très précieuse, dans « l’intimité de la Vierge » lors d'un grand pèlerinage populaire dans un ile du Dodécanèse . Les hommes, pendant ce temps, assurent les tâches matérielles liées à l’accueil de la foule des pèlerins. Une occasion ici de s’interroger sur le « genre de la dévotion ». Dans un contexte religieux très éloigné, des femmes protestantes luthériennes d’Allemagne réinventent à la fin du 20e siècle des rituels et une forme de spiritualité qui se veulent d’inspiration féministe, en pratiquant ce que les sociologues des religions appellent « les nouvelles formes du croire ».
De nouveaux horizons ont pu s'ouvrir, pour les femmes, de manière relativement précoce, dans le monde protestant. Au 19e siècle, on constate une réelle avance des sociétés marquées par la culture protestante dans la manière de penser les femmes comme des sujets capables d’exercer leur liberté. L’accent mis, dès le 16e siècle, sur l’accès des fidèles au texte de la Bible a entraîné un véritable investissement protestant dans l’éducation, y compris dans celle des filles. Dans la France, l'Angleterre ou l'Allemagne du début du 20e siècle, les jeunes protestantes issues des classes moyennes ou aisées ont, comme jeunes filles de familles « israélites », comme on disait alors, une instruction plus poussée que les jeunes catholiques. Parmi les directrices des lycées français de jeunes filles, autour de 1900, les protestantes sont nettement surreprésentées. Ces femmes sont sensibles à l'idée d'’émancipation des femmes qui chemine alors dans les sociétés européennes et il n'est pas surprenant de les retrouver dans les premières organisations féministes des années 1900-1910, qui ont des liens avec les réseaux féministes anglo-saxons où l’on est aussi de culture protestante. Quelques décennies plus tard, dans la France des années 1950-1960, on retrouvera une présence protestante non négligeable parmi les promoteurs de la « régulation des naissances. ».
Beaucoup de militantes du Mouvement protestant Jeunes Femmes, né en 1946, ont participé activement aux débuts du Mouvement Français pour le Planning Familial. Rappelons que l'attachement à la liberté de conscience et à la responsabilité personnelle est un élément fort de la culture
protestante. Une autre étape se dessine, du côté des protestants, étape cette fois directement liée au champ religieux avec l’accès des femmes à la fonction de pasteur dès les années 1930 dans l’église luthérienne puis au milieu des années 1960 dans l’église Réformée de France. Les études de théologie protestante s’étaient ouvertes aux femmes dès le début du 20e siècle dans plusieurs pays d’Europe et la pénurie de pasteurs au lendemain de la Première guerre mondiale avait incité à faire appel aux femmes. C’est une petite révolution même si l’activité d’un pasteur n’a pas de dimension sacrée comme celle du prêtre catholique. Cette arrivée des femmes coïncide d’ailleurs avec une évolution de la manière d’exercer le ministère pastoral, les femmes pasteurs prenant leurs distances avec le modèle traditionnel du prédicateur.
On retrouve le même phénomène avec l’arrivée de femme rabbins dans le judaïsme.
La fin du 20e siècle a vu de plus en plus de femmes, d'abord protestantes mais aussi catholiques et orthodoxes investir le domaine de la théologie. Elles sont nombreuses sur les bancs des facultés de théologie dans l'Europe du début du 21e siècle. La relecture des textes a pu les conduire à des questions sur les interprétations classiques dominantes. Une vision critique des énoncés du message religieux est portée par des théologiennes qui entreprennent de dépoussiérer, dans une perspective féministe, un héritage religieux où subsistent des traces importantes d'une culture patriarcale. Elles mettent ainsi en valeur des figures féminines de la Bible et de la tradition juive et chrétienne. Marie, mère de Jésus de Nazareth (le Christ), est débarrassée de l’imagerie mièvre que le 19e siècle en a souvent donnée. Le fait que dans les évangiles, des femmes soient de véritables interlocutrices du Christ et qu’elles aient été les premières messagères de la nouvelle inouïe de la résurrection est volontiers souligné. Cette forme de réappropriation d'un héritage longtemps réservé aux hommes de Dieu, cette relecture critique des textes, sont des phénomènes qui émergent aujourd'hui aussi du côté du judaïsme et de l’islam. Ainsi, des femmes musulmanes n’hésitent pas à invoquer des sourates du Coran pour contrer les déclarations des imam et mollah conservateurs, à faire référence Fatima, la femme vaillante, fille du prophète, pour défendre, elles aussi, les droits des femmes.
La question religieuse liée à la réflexion sur la laïcité s’inscrit aussi dans le féminisme dit de la troisième vague du tournant des 20e et 21e siècles, dans une période où les femmes des pays du sud, sont confrontées parfois brutalement à cette question. On peut dire, pour conclure, que les religions ont joué un rôle important dans le maintien des femmes dans un statut d’infériorité tout en leur offrant aussi des possibilités d’expression et des perspectives que la société du temps ne leur donnait pas. Rappelons que le féminisme comme pensée de l’émancipation des femmes, est né dans des sociétés anglo-saxonnes de culture chrétienne protestante. Un paradoxe mérite d'être souligné du côté du monde catholique. Le discours de l’église catholique est bien souvent en décalage avec l’évolution des sociétés contemporaines en ce qui concerne les femmes. Le refus de la contraception dite « non naturelle » en est un exemple. Quant à la critique très sévère du concept de genre venu du monde anglo-saxon et d’usage courant dans les sciences sociales, elle révèle une inquiétude particulièrement développée du côté des autorités catholiques, concernant le risque de confusion entre les sexes. Mais il y a sans doute aussi le refus de voir changer les rôles dans l'église. En même temps, ce sont des femmes qui permettent aujourd'hui à l'église de fonctionner. Elles effectuent nombre de tâches comme la catéchèse qui assure la transmission de la foi et de la culture religieuse, les célébrations en l’absence de prêtres puisque ceux-ci se font rares. Elles occupent des postes de responsabilité dans l’administration des diocèses et, on l'a vu, participent activement à la recherche théologique. L'institution tourne largement grâce aux femmes mais la parole publique et le gouvernement de l'église demeurent affaire d'hommes.
La situation est différente du côté des protestants où la parole des femmes pasteures est de plus en plus audible. Et puis, depuis peu, une autre parole commence à se faire entendre. Celle de femmes musulmanes, désireuses de pratiquer leur religion dans la fidélité à une culture parfois décriée. Mais, dans le même temps, elles remettent en cause l'inégalité entre les sexes souvent justifiée par des références religieuses quelle n'hésitent plus à contester. En ce début du 21e siècle, des femmes se présentent comme féministes et musulmanes lors de colloques et de rencontres internationales comme celles qui se sont tenues à Paris en septembre 2006 et à Barcelone en novembre de la même année. Voilà qui bouscule nos représentations habituelles et oblige à réfléchir sur cette relation complexe et pleine de surprises entre femmes et religions.