Une banderole représentant le président syrien Bachar al-Assad et le président russe Vladimir Poutine et on peut lire "La justice prévaut", est affichée le long d'une autoroute dans la capitale syrienne Damas, le 8 mars 2022. (Photo par LOUAI BESHARA / AFP)
Qu’on se le dise, la guerre en Ukraine a assurément un impact sur l’environnement géopolitique de la Syrie. Démêler l’écheveau syrien tient forcément de la gageure ; mais essayons…
Si la Russie se maintient en Syrie, elle est malgré tout contrainte d’effectuer des ajustements tactiques et de consolider ses forces.
Cela passe notamment par le retrait de ses forces dans le sud-ouest et à l'extrême est de la Syrie, et par le redéploiement du système de défense aérienne S-300 en Ukraine ; il en va aussi de certains généraux qui quittent la Syrie pour être mobilisés en Ukraine.
Chacun notera qu’au cours de ces dix derniers mois, au moins trois pays ont le potentiel de remodeler le paysage du conflit en Syrie et bien au-delà …Dans cette perspective, on pense à la Turquie qui s’avére ragaillardie, prenant l’avantage sur la Russie ; à l’Iran, qui se révèle opportuniste exploitant un avantage tactique sur le terrain tout en approfondissant ses liens stratégiques avec la Russie ; et Israël qui se doit d’observer un équilibre qui demeure malgré tout fragile, afin de maintenir tout à la fois ses intérêts en Syrie et son soutien à l'Ukraine et bien sûr à l'Occident. Pour l’heure, Washington ne semble pas disposé à répondre aux attentes d’Israël ; A savoir réduire ses tensions avec la Turquie et en terminer avec les miasmes de Daesh en Syrie.À la suite de l'opération de la Russie en Ukraine, les États-Unis devraient anticiper l'évolution de la dynamique de pouvoir du conflit syrien. Cela signifie prévoir la possibilité que la Turquie, la Russie et Bashar El-Assad travaillent ensemble pour repousser les forces américaines loin du nord-est de la Syrie, ainsi que la possibilité d'une intensification des affrontements entre Israël et l'Iran sur ce territoire syrien.
La Turquie prend de l’assurance
Le président turc Recep Tayyip Erdogan sait bel et bien tirer profit de la guerre en Ukraine en se positionnant comme médiateur entre la Russie et l'Occident. Mais aussi armer l'Ukraine de drones, tirer parti de la Turquie membre de l'OTAN pour tenir en otage l'adhésion de la Suède et de la Finlande .Dans ce contexte Ankara a le vent en poupe, et ce vent favorable se joue au détriment de Moscou. C’est ainsi que Poutine aurait accepté de donner à la Turquie plus de latitude pour entreprendre des frappes de drones dans des zones du Nord-est de la Syrie protégées par les défenses aériennes russes, ciblant les hauts responsables militaires Kurdes et les combattants avec une plus grande intensité.Les élections turques étant annoncées le 14 mai 2023, on peut s'attendre à ce qu'Erdogan soit impitoyable envers les Kurdes et cela passera nécessairement par une nouvelle incursion – peut-être limitée – des forces turques en Syrie. Dans ce contexte, il est peu probable que la Russie empêche l'attaque.En effet, le désir de la Russie d'apaiser les inquiétudes de la Turquie en Syrie a peut-être été un facteur dans sa décision du 9 janvier 2023 visant à ne pas opposer son veto au renouvellement du passage frontalier humanitaire de l'ONU à Bab al-Hawa, dans le Nord-Ouest de la Syrie. Pour Ankara, le renouvellement du passage était une priorité essentielle, l'obstruction de son passage par la Russie aurait obscurci les relations bilatérales.Plus récemment, Erdogan a proposé une réunion trilatérale entre la Turquie, la Russie et la Syrie pour répondre aux préoccupations sécuritaires turques. Dès lors, l’hypothèse d’une normalisation entre Ankara et Damas, tout comme une nouvelle étape visant à démanteler le projet politique Kurde dans le Nord-est de la Syrie ne sont pas à exclure.De fait, le sommet du 28 décembre 2022 entre les Ministres de la Défense turc, syrien et russe tend à militer pour l'approfondissement d'une tendance à la normalisation.Dans ce contexte, il est fort à parier que les États-Unis devront intensifier leurs efforts diplomatiques avec la Turquie en vue de désamorcer les tensions turco-kurdes dans le Nord de la Syrie et de l'Irak. Faute de quoi, Washington pourrait faire face à la normalisation turque avec le pouvoir syrien et un effort tripartite - russe, turc et syrien - pour réduire et « neutraliser » les Kurdes. Somme toute, il s’agira pour cet effort tripartite de faire pression sur les États-Unis afin qu'ils se retirent de la Syrie.
Quid de l’Iran l’opportuniste ?
La Russie a joué un rôle de «régulateur» auprès de l'Iran, cherchant à réduire l'influence de Téhéran sur le terrain dans les zones sensibles et à minimiser le rôle des milices soutenues par l'Iran dans les structures de sécurité officielles de la Syrie. Aujourd'hui, la dynamique du pouvoir a changé, compte tenu de la guerre en Ukraine. De fait, alors que les capacités de la Russie en Syrie ont tendance à diminuer, les gesticulations iraniennes pourraient se montrer plus décisives. C’est ainsi que les analystes russes confirment que Téhéran a cherché à tirer avantage du retrait bien limité de la Russie de certaines zones syriennes, cherchant à combler les vides sécuritaires émergents, notamment dans le Sud-ouest, une zone d'importance stratégique pour Israël. Israël accuse volontiers l'Iran d'utiliser fréquemment les aéroports syriens pour transférer des armes sophistiquées au Hezbollah, son allié libanais. Dans une démonstration de l'interaction complexe entre les acteurs externes dans le conflit syrien, à des moments de tension particulièrement accrue avec l’État hébreu, Moscou a fermé les yeux sur ces empiètements iraniens.
La Russie et l'Iran ont, chemin faisant, approfondi leurs liens stratégiques bien au-delà de leur coopération en Syrie. Les Iraniens ont bel bien fourni à la Russie des drones dans sa guerre contre l'Ukraine et un partenariat de défense « sans précédent » se développe. Les deux pays cherchent également à créer un rempart contre l'Occident, coopérant pour éviter les sanctions, cherchant à étendre leurs liens économiques et à approfondir leur parenté idéologique éclairée par leur opposition à l'ordre international dirigé par les Américians. Cette alliance stratégique émergente entre la Russie et l'Iran - forgée en partie en Syrie - a dorénavant des implications régionales et mondiales.Les liens tissés entre Moscou et Téhéran resteront quelque peu limités par la volonté des Russes d'approfondir leurs liens avec l'Arabie saoudite et les pays du Golfe, tout en gérant leurs relations avec Israël et la Turquie.Dans le même temps, Washington devra réfléchir sans doute à une stratégie susceptible de répondre à la menace posée par l'approfondissement de la coopération russo-iranienne en matière de sécurité, notamment sur les drones, les missiles balistiques et même les armes stratégiques.
La guerre en Ukraine a créé un fossé entre la Russie et Israël
De fait, les tensions entre les deux pays se sont exacerbées sous l'administration de l'ancien Premier ministre Naftali Bennett puis surtout avec son successeur, Yaïr Lapid. Elles sont à l’origine d’une dynamique militaire croissante en Syrie. Stimulées par la colère de Moscou face à la position pro-ukrainienne de Lapid.Pour mémoire, les forces russes ont tiré des missiles S-300 sur des avions israéliens dans l'espace aérien syrien en mai 2022. Mais le retour de Benjamin Netanyahou aux affaires pourrait bien désamorcer les tensions entre la Russie et Israël, compte tenu de son réalisme et de ses liens personnels chaleureux avec Poutine. C’est ainsi que le nouveau ministre israélien des Affaires étrangères s'est récemment entretenu avec son homologue russe, promettant qu'Israël s'abstiendrait de condamner publiquement la Russie. Pour autant, « l'establishment de la sécurité israélienne » a laissé transparaître une inquiétude croissante devant le rapprochement militaire de Moscou et Téhéran, posant ainsi un défi épineux. De plus, Israël fait face à une pression continue pour fournir des systèmes de défense aérienne, à l'Ukraine comme aux pays voisins de l'OTAN - une décision qui pourrait provoquer des représailles russes contre Israël en Syrie.
On pourrait également s’interroger sur la réaction de Washington face à une poussée croissante de cette coopération entre la Russie et l'Iran, parallèlement à l'effondrement de l'accord sur le nucléaire iranien.
Quoi qu’il en soit, Moscou a peut-être davantage agi pour répondre aux intérêts d'Ankara dans ses relations avec la Syrie ces derniers temps. Mais la diminution de son influence en Syrie, compte tenu du conflit ukrainien ne saurait se traduire par un repli.De fait, le redéploiement du groupe Wagner des régions du Sud-ouest et de l'extrême est de la Syrie vers les combats ukrainiens, le transfert du système de défense antimissile S-300 basé en Syrie vers le Donbass et même le retrait éventuel de moyens militaires supplémentaires de la Syrie ne peuvent être analysés que comme de simples ajustements tactiques. Étant entendu que la Russie ne saurait brader son empreinte militaire en Syrie.Quant à l’Iran, il apparaît comme un facteur de stabilité, eu égard à la situation syrienne compliquée, de peur qu'une Turquie renforcée ne soit tentée d'étendre sa présence en Syrie. Par ailleurs, la Russie sait tirer parti de sa présence en Syrie pour encourager Israël à manœuvrer vaille que vaille dans son numéro d’équilibriste, ménageant ses intérêts en Syrie et son soutien à l'Ukraine et à l'Occident.