Judaïsme, christianisme, islam : des héritages religieux qui ont leur responabilité dans le statut des femmes.
Femmes et religions, le sujet est immense et souvent passionnel.
L’idée d’une responsabilité particulière des religions dans le « statut des femmes » est assez répandue.
Les religions auraient largement contribué à la domination masculine sur le deuxième sexe, pour reprendre l’expression de Simone de Beauvoir, il y a plus d’un demi siècle .
On ne peut nier la part prise par les traditions religieuses dans l’inégalité entre les sexes. La marque d'une culture patriarcale est réelle dans le judaïsme, le christianisme et l'islam, religions du Livre et du Dieu unique, pensé au masculin.
On la trouve dans l'interprétation des grands textes fondateurs, dans la méfiance à l'égard des femmes, dans le monopole masculin du pouvoir religieux et de l'accès au sacré. Pourtant des femmes ont pu accéder à des possibilités d'expression et d’action, dans un cadre religieux ou du fait de leur culture religieuse.
Moniales musiciennes du Moyen-Age, religieuses missionnaires, aventurières de Dieu, supérieures de congrégations catholiques du 19e siècle aux réels pouvoirs, femmes protestantes engagées autour de 1900 dans le combat pour l'émancipation des femmes et, plus près de nous, théologiennes féministes revisitant la Bible : autant de situations, au fil des siècles, qui nuancent la vision critique du rôle des religions dans le « malheur des femmes », même si les paradoxes ne manquent pas -dans le monde catholique par exemple. Quant aux femmes qui se disent féministes et musulmanes, elles bousculent les représentations habituelles et témoignent d'une relation pleine de surprises entre femmes et religions.
Dans l’Europe des années 1960-1970, marquée par la deuxième vague du féminisme, on a vu fleurir des critiques très sévères à l’égard de « l’héritage judéo-chrétien ». Avec les années 1990-2000, la question des contraintes imposées aux femmes par une injonction religieuse a resurgi en France et en Europe autour du foulard islamique .
L’inégalité entre les sexes est une réalité historique attestée dans l’ensemble des sociétés. Parmi le faisceau de causalités à l’origine de ce qui semble un invariant universel, les religions ont, à l’évidence, leur place.
Faut-il pour autant envisager le rapport entre femmes et religions sous le seul angle de la soumission et du silence ?
Nous verrons d’abord comment les grandes traditions religieuses qui ont marqué l’histoire de l’Europe depuis des siècles, ont été partie prenante d’un système patriarcal qui n’a commencé à être réellement ébranlé qu’au 20e siècle. Il est question ici du christianisme, du judaïsme et de l’islam, ces religions dites du Livre, envisagées sous l’angle du message transmis par la tradition et de leur dimension institutionnelle. C'est l'occasion d'une rapide remontée vers des temps lointains, bien avant les deux derniers siècles. Puis nous changerons de focale en allant voir du côté des pratiques et des acteurs et surtout des actrices du champ religieux. Où l'on voit que les femmes, dans le cadre religieux, ont pu avoir, à des degrés divers et selon les époques et les confessions religieuses, des possibilités non négligeables d’expression et d’action.
La distinction et la hiérarchie entre les sexes est bien présente dans ces traditions religieuses qui ont traversé le temps depuis plus de vingt siècles. Ce message a été transmis à partir de grands textes fondateurs, la Bible et le Coran qui ont fait l’objet de multiples interprétations et nourri l’imaginaire des sociétés. Parmi les figures bibliques qui peuplent églises et musées d'Europe et d'autres régions du monde, on trouve d'ailleurs beaucoup de femmes.
Le premier récit de la Genèse (au début de la Bible), évoquant la création du monde par le dieu unique, texte qui peut être lu comme un grand poème, énonce clairement la dualité du genre humain: “Dieu créa les êtres humains à sa ressemblance. Il les créa homme et femme”. Cette dualité, sans hiérarchisation explicite dans le texte, est soulignée aujourd’hui par des théologiens et théologiennes, spécialistes d’exégèse. Mais c’est le second récit qui a été retenu par la tradition juive puis chrétienne, celui qui met en scène la création du premier homme, Adam, puis de la première femme, Eve, comme aide et compagne de cet homme. L’interprétation qui en a été faite pendant des siècles a été celle de la subordination de la femme à l’homme. Un autre élément de ce récit mérite d'être souligné : l’existence, dans la tradition biblique, d’un couple homme-femme à l’origine de l’humanité. C'est un scenario que l'on ne retrouve pas toujours dans d'autres grands récits mythiques de création du monde. Ainsi, dans la Grèce antique, le mythe de Pandore évoque l'arrivée de la première femme dans un monde d'hommes vivant jusquà là entre eux .
« Point d’homme sans femme » dit le Talmud des Juifs.
Cette valorisation du couple bisexué dans la tradition hébraïque puis chrétienne, peut expliquer le poids de la norme hétérosexuelle dans les rapports entre les humains et le rejet de l’homosexualité qui a longtemps été la règle dans les sociétés fortement marquées par les religions du Livre. Un interdit que l'on retrouve d'ailleurs dans d'autres contextes sociaux et culturels.
« Il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme » écrit l'apôtre Paul dans l’épître aux Galates du Nouveau testament, cet ensemble de textes qui fondent la tradition chrétienne.
La différence des sexes ne semble pas, d'après ce texte, incompatible avec l’idée d’égalité des humains devant Dieu.
Mais cette ontologie égalitaire, également présente dans certains versets du Coran, est contredite par la réalité historique. Il faut rappeler que les religions du Livre et du Dieu unique sont apparues et se sont développées dans une aire géographique allant de la Méditerranée orientale au Golfe arabo-persique, dans des sociétés patriarcales, au sens strict du terme. Des sociétés d'abord nomades, guerrières, où la richesse des chefs de clans se mesurait au nombre de leurs femmes et de leurs bêtes.
L'islam, apparu dans la péninsule arabique au septième siècle de l'ère chrétienne, avec le prophète Muhammad, a d'ailleurs à ses débuts amélioré le sort des femmes, même si celles-ci sont demeurées sous tutelle masculine. A cette inégalité entre hommes et femmes, s’ajoute, surtout dans la tradition chrétienne, l’affaire de la « faute originelle » attribuée à la première femme dans le récit biblique. Une interprétation qui a traversé le temps et marqué l'imaginaire des sociétés, même si aujourd'hui, l'exégèse remet fortement en cause cette version de la faute d'Eve.
Les trois religions du Livre ont eu longtemps en commun une vision de la femme tentatrice et dangereuse d’où des obligations, des interdits spécifiques pesant sur elles, et une exclusion du deuxième sexe des lieux du pouvoir religieux. Aux premiers temps du christianisme, les Pères de l’église (expression qui traduit bien le caractère patriarcal, au sens propre, de cette tradition) ont insisté sur la responsabilité d’Eve qui, en désobéissant à Dieu, aurait provoqué la chute de l'homme (au sens du genre humain) et le début de la difficile condition humaine. On pourrait ajouter que c'est aussi le début de l'histoire. Cette représentation de la faute de la première femme, transmise au fil des siècles par la tradition orale et écrite et par l'iconographie religieuse du monde chrétien, a nourri une réelle suspicion à l’égard des femmes, de leur sexualité et même de la sexualité en général.
Le christianisme, ou du moins la tradition chrétienne telle qu'elle s’est transmise durant des siècles, a eu très longtemps une vision négative de la sexualité, avec pour conséquence la valorisation de l'abstinence sexuelle. Cela s'est traduit par le célibat consacré des hommes et des femmes de Dieu qui n'a pas d'équivalent dans le judaïsme et l'islam, lequel valorise au contraire la sexualité humaine. La méfiance à l’égard des femmes se retrouve aussi dans les traditions juive et musulmane, avec le motif fréquent de la ruse et de la “tromperie féminine”. Cette suspicion entourant le sexe féminin s’est traduite par des obligations comme le port du voile et des interdits spécifiques, tel l’impossible accès à la gestion du sacré.
Le voile des femmes, mentionné dans la Bible et le Coran, doit cacher la tête et le corps des femmes, en particulier des femmes mariées, pour les soustraire au regard d’autres hommes que leur époux. Ce voile qui est sensé les protéger a aussi pour effet de les séparer, voire de les exclure dans des sociétés où le code l’honneur est très strict. En effet tout écart de conduite (réel ou supposé) d’une femme rejaillit sur le groupe auquel elle appartient avec comme conséquences terribles, ces crimes d’honneur toujours d’actualité dans le monde de ce début du 21e siècle. Il est cependant bien difficile de démêler ce qui est d’ordre proprement religieux dans des pratiques comme le crime d’honneur ou le port du voile. La composante religieuse a sans doute sa place parmi d'autres éléments d'explication à ces traditions profondément inscrites dans les usages sociaux. On peut rappeler que le fait, pour les femmes, d’avoir la tête couverte en public, a été de règle en Europe jusqu’au 20e siècle. Il est vrai que l'obligation a perduré jusque récemment quand il s'agissait, pour une femme, d'entrer dans une église d'un pays d'Europe du sud. Cette même obligation demeure aujourd'hui pour l'accès des femmes aux mosquées.
L'exclusion des femmes des territoires du sacré est un révélateur de la hiérarchie entre les sexes dans le champ religieux. Dans les trois religions du Livre, la figure de Dieu, même lorsqu'elle n'est pas représentée – cas des traditions juive et musulmane – est en réalité masculine.
On parle de Dieu « père » dans la tradition chrétienne. Ce sont les hommes qui, au long des siècles, ont eu la charge des rituels et célébrations, de la conduite des prières, des prêches, de l'administration des sacrements et de la manipulation des objets sacrés. On pense aux prêtres du temple de Jérusalem et aux rabbins de la diaspora juive, au clergé chrétien catholique ou orthodoxe, aux pasteurs protestants jusqu'aux années 1950-1960, ainsi qu'aux imams et docteurs de la loi en islam.