La réalité est le fruit de l’entendement et de l’appréhension de notre esprit. Elle n’existe que par les liens qu’elle tisse entre les données pour en déduire le savoir. On va même jusqu’à dire qu’elle est l’expression de l’imaginaire à un stade donné. La politique et la sociologie n’en font pas exception.
En 2015, j’ai répondu à l’invitation d’intervenir au sujet du « printemps arabe entre réel et imaginaire » au Forum tenu à ce sujet au sud de la France à Monte Carlo. Aujourd’hui alors que nous célébrons le douzième anniversaire de la révolution du 25 janvier, j’ai jugé pertinent de réviser cette présentation donnée à peine 4 ans après la survenue de ces incidents.
Le sociologue français Gustave Lebon avait procédé, en 1895, à l’étude de l’esprit collectif des foules et a illustré la présence d’une autre entité émanant de la fusion de tous les individus. Un champ magnétique est créé. Le comportement individuel de la personne s’estompe pour devenir une partie du tout collectif qui s’empare des idées, des croyances et des valeurs de l’individu. L’une de ses citations confirme que « L'individu en foule est un grain de sable au milieu d'autres grains de sable que le vent soulève à son gré.Il y fond, lui est imprimé un mouvement collectif et n’a aucune volonté à part. »
Il a détaillé trois opérations qui exercent leurs influences sur le comportement individuel dans la foule :
- L’identité anonyme
- La contagion
- La suggestibilité
L’anonymat de l’identité qui représente la première de ces opérations inculque à l’individu le sentiment de l’irresponsabilité, le rend plus barbare, émotionnel, délié de tout entrave et animé par un sentiment de puissance invincible.
Quant à la contagion, elle détermine un comportement donné en foule tels les actes de sabotage : casser les vitres ou jeter des pierres. L’individu prend l’initiative d’agir d’une certaine manière pour être suivi par les autres.
Enfin, la suggestibilité est l’outil qui favorise la contagion. Les cris proférés font que l’inconscient devient parfois raciste. La foule devient harmonieuse, flexible et réceptive de son fomenteur. Actuellement, les meneurs deviennent des influenceurs : Toute grande manifestation ou tendance à travers les réseaux sociaux pourrait être en grande partie prédéterminée.
L’introduction de mon intervention visait à donner un arrière-plan scientifique de ce qui s’est passé dans le monde arabe et se reproduit toujours jusqu’à nos jours.
Historiquement, ce terme remonte aux troubles survenus en Europe de l’est en 1989 lorsque les régimes communistes puissants ont commencé leur chute en cascade- telles les pièces dominos- sous le poids des protestations populaires collectives. Et, en un bref de laps de temps, les pays du bloc communiste ont adopté des régimes politiques démocratiques à économie libérale qui vont à contre-courant de ceux qui y régnaient autrefois et pour de longues décennies.
Les événements au Moyen Orient ont connu un tournant différent. L’Egypte, la Tunisie et le Yémen ont connu une période transitoire ambiguë ; la Syrie et la Libye ont connu la guerre civile ; Quant aux royaumes riches des pays du Golfe et le Maroc, ils n’ont pas été profondément touchés par ces incidents bien qu’ils ne soient pas démocratiques.
Pour ce qui est de l’emploi de l’expression du « printemps arabe » pour signifier des événements qui se sont réellement produits, nous la trouvons dans le magazine américain « Foreign policy ». Elle fut mise en exergue, par le journaliste Marc Lynch, dans ses articles sur les politiques étrangères américaines. Elle était impliquée dans la stratégie américaine de contrôle des actions et des objectifs en vue de les orienter vers l’exemple démocratique libéral américain (l’imaginaire) ou vers le désordre maîtrisé ( la réalité). Et, comme, de coutume, il est du droit du père de nommer son enfant, cette expression est une création américaine.
Ultérieurement, il a été dévoilé que plusieurs des jeunes dirigeants de ces manifestations ont reçu leur formation et financement en Europe de l’est par les services de renseignements de grandes puissances ( Les Etats Unis ou le Royaume uni). Une telle vérité n’a jamais été mentionné lorsque les révolutions ont réussi à renverser les régimes.
Les manifestants politiques dans les royaumes non démocratiques ont revendiqué la réforme des régimes tout en les gardant sous l’autorité de leurs mêmes dirigeants. Certains ont appelé à adopter une royauté démocratique alors que d’autres se sont contentés de promettre une réforme graduelle.
Pour les peuples vivant sous le joug d’un régime républicain comme en Egypte et en Tunisie, ils ont voulu destituer le président et renverser son régime ; mais ils ne savaient pas quoi faire ultérieurement hormis plus d’appels à la justice sociale.
Ils n’avaient pas la moindre idée de ce qu’ils devaient faire comme ces révolutions ne leur ont pas fourni la baguette magique pour réformer l’économie, mettre fin à la pauvreté ou avoir accès à la liberté sous un chaos.
Une fois la manifestation ou la révolution terminée, les authentiques sont rentrés chez eux et sont restés sur place les provocateurs et les profiteurs.
A vrai dire, l’Egypte et la Tunisie tout particulièrement étaient hautement placés en ce qui concerne leur orientation vers une économie saine qui accélère le développement et la croissance et qui peut mener à des mutations gigantesques.
Sur le terrain, les partis de gauche comme les syndicats ont revendiqué une augmentation de salaires, un recrutement sûr et une abolition des transactions de privatisation.
Pour ce qui est des Islamistes extrémistes, ils s’intéressaient davantage à l’application des règles strictes de la Charia islamique à travers leur propre exégèse. Ils ont cherché à remplir le vide politique rémanent après les révolutions qui a été partiellement ou complètement préparé avant l’éclatement de ces incidents grâce au soutien de services de renseignements occidentaux.
Le régime imposé par les Etats Unis et l’Occident dans les pays où a eu lieu ces révolutions est la démocratie et le respect des droits de l’homme (l’imagination et double poids double mesure) en considérant que ce régime politique n’est rien d’autre que les urnes tout en sachant que les périodes antérieures et postérieures aux votes et aux élections ne sont que leurre qui cause le déraillement de la démocratie de manière à ce qu’elle soit placée sous le contrôle de ceux qui détiennent le financement, l’organisation et les armes dans des pays où sévissent la pauvreté et l’ignorance comme leur ont été inculqué- et pour de longues années- l’idéologie religieuse salafiste que, dans de telles conditions, les résultats des élections sont connus à l’avance.
La question qui se pose est la suivante : le printemps arabe est-il un échec ou un succès ?
A cette époque où nous témoignons du flux des informations sur la toile et que « You tube » met à la disposition des utilisateurs une grande quantité de films vidéos qui projettent des informations probables et variées pour montrer chaque individu sous le profil d’un héros ou d’un méchant. La mixité entre la vérité et l’illusion a atteint un pic sans précédent. Avec ce flot d’infiltration , les masses commencent à mettre en question toutes les informations contradictoires qu’elles doivent apprendre ou même parce qu’elles se méfient de tout ce qui leur parvient.
La difficulté qui se pose aujourd’hui (en 2015) est de confirmer la vérité au milieu de la tromperie et du leurre, les rumeurs, les mensonges, les allégations, la propagande et la désinformation voire de faire sa part au complot comme au hasard.
Ce que j’ai cité ici n’est qu’une partie de mon intervention de 2015 prononcée à Monte- Carlo devant un parterre d’hommes politiques venus de divers pays européens. Sept ans après ce Forum et douze ans à compter de la révolution, est-ce que je maintiens toujours mon point de vue ou l’ai-je changé ? La bonne question est comment pouvons-nous évaluer l’événement ? par ses péripéties ? ses résultats ou son effet durable ?
Après douze ans, est ce que nous sommes économiquement mieux ?
Le bien-être des peuples s’est-il développé ? sont-ils devenus plus heureux ?
Les causes du déclenchement de la révolution ont-elles été résorbées ? ces causes qui avaient fomenté les jeunes qui ont revendiqué, à travers elle, la dignité, l’amour propre et la justice, avant qu’elle ne soit volée par les Frères musulmans ?
Avons-nous fixé les causes de la révolution ?
Pourrions-nous prévenir la reproduction de ses effets négatifs et bâtir sur son effet positif ?
Quelles sont les institutions qui avaient polarisé la colère des masses en janvier ?
A mon avis, c’était le parti national et les services de la sécurité de l’Etat. Le premier a disparu, a-t-il eu un semblable ou un remplaçant ? A vrai dire les organes de substitution n’étaient que des fantoches, creux et sans importance et nous le reconnaissons tous.
Moi, personnellement je soutiens le service de la sûreté de l’Etat comme je suis conscient de son importance tant qu’il est le cerveau de l’institution de sécurité comme je l’ai bien compris de mon beau père l’ex-ministre de l’intérieur, Hassan Abou Bacha qui m’a bien signifié que ce service exécutif ne sert jamais d’outil de répression entre les mains d’aucun régime contre ses opposants. La mission de cet important service consiste à sauvegarder -sciemment- la constitution et la sécurité du pays. C’est lui qui enclenche le signal d’alerte pour avertir le pouvoir exécutif des complots qui se trament en catimini contre la stabilité de l’Etat. A cet effet, les agents ont reçu la formation nécessaire et j’en suis sûr.
Je trouve parfois que les leçons que j’ai tirées de la révolution vont aux antipodes de celles apprises par d’autres au contact de ce même événement. Bien plus, ils reproduisent les mêmes actions dans l’attente de résultats différents.
Je pensais que la marge des libertés était infime, que la passation légitime du pouvoir était impossible alors que d’autres ont pensé que c’est cet espace restreint qui a encouragé les masses à se révolter et qu’il faut fermer ces accès afin que ces événements ne se reproduisent guère.
En rédigeant ainsi ma pensée, je vois un mouvement de masse sur les réseaux sociaux qui mènera la société vers une nouvelle sclérose culturelle. Selon la thèse du sociologue français Gustave Lebon, nous assistons à la création d’une nouvelle vague dangereuse contre l’Etat civil moderne qui teste l’esprit politique religieux des Frères musulmans qui a relativement changé au lendemain de la révolution du 30 juin. Une tendance qui cherche à enterrer les arts, la culture et les lumières et n’autorise nullement les divergences de points de vue en usant de la thèse de conduire le troupeau et de manipuler ses idées religieuses ; des faits qui se sont reproduits plus d’une fois. Je pense que le courant islamiste est en train de tâter le terrain de sa prochaine bataille alors que l’arriérisme et l’extrémisme rebroussent chemin des pays du Golfe alors que les agents trouvent malheureusement en Egypte un terreau fertile à de tels courants. Il faut donc toujours prendre ses précautions. La seule voie à emprunter est celle qui aboutit à l’Etat civil moderne, au soutien effectif des lumières et du modernisme, et toujours par l’acte et non seulement par la parole.