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Afrique

Pierre Masquart, Charles -Stéphane Marchiani. Avocats : “ l’inauguration de l’Agence spatiale Africaine est un évènement historique”

Photo : Sherif Khairy
Photo : Sherif Khairy

De gauche à droite : Me. Charles-Stéphane Marchiani et Me. Pierre Masquart, fondateurs du cabinet d'avocats français « KIMIA »

 

 

Fondateurs du cabinet français « KIMIA », Pierre Masquart et Charles-Stéphane Marchiani sont avocats et experts en droit spatial. Invités à l’occasion de l’inauguration de l’Agence Spatiale Africaine qui se tient aujourd’hui au Caire, ils partagent dans cette interview leur point de vue sur les enjeux juridiques et la coopération en matière d’activités spatiales sur le continent africain.

 

Le Dialogue: Vous assistez en tant qu’invités à la cérémonie d’inauguration de la première agence spatiale panafricaine. Comment percevez-vous cette nouvelle étape en tant que juristes ?

 

Pierre Masquart : Notre cabinet d'avocats, basé à Paris, intervient sur des questions juridiques liées au droit spatial — un domaine en plein essor, aussi bien en Afrique qu’ailleurs dans le monde. Nous avons été invités par l’Agence Spatiale Africaine, via son président M. Tidiane Ouattara, en raison de l’intérêt que nous portons aux problématiques juridiques liées aux activités spatiales. Il accorde une grande importance à l’élaboration de cadres législatifs adaptés à chaque pays africain. Notre présence s’inscrit dans cette volonté de contribuer au développement de réglementations africaines cohérentes et pertinentes dans le domaine spatial.

Charles-Stéphane Marchiani : Notre présence aujourd’hui est aussi très symbolique, car nous assistons à un événement historique. La création d'une agence spatiale africaine marque l’aboutissement de l’engagement de plusieurs pays africains dans les activités spatiales depuis plus d’un quart de siècle. L’Égypte, le Nigeria, l’Algérie ou encore le Maroc sont déjà des acteurs importants dans le domaine, notamment en matière de satellites. En tant que cabinet, être présents ici est très significatif pour nous. Les pays africains n’ont pas attendu l’Europe pour développer leurs compétences dans ce secteur, et c’est donc avec beaucoup d’humilité que nous nous rendons sur place, témoignant de l’intérêt que nous portons à l’Afrique et à l’avenir du spatial sur le continent.

 

 

Quel est votre rôle en tant qu’experts juridiques dans le domaine spatial, dans l’accompagnement du développement des activités spatiales ?

 

Pierre Masquart : Il est vrai que le développement des activités spatiales en Afrique est relativement récent. Dans certains pays, notamment en Afrique subsaharienne, ce domaine ne figure pas toujours parmi les priorités, les gouvernements étant confrontés à des enjeux plus urgents. Néanmoins, le droit spatial et les activités spatiales connaissent un essor mondial, marqué notamment par le passage d’une dynamique publique à une dynamique privée, comme le montre le rôle déterminant joué par Elon Musk. Cela prouve combien l’espace représente un enjeu stratégique, et l’Afrique doit y affirmer ses ambitions.

Les États africains prennent conscience des retombées positives de ce développement, notamment dans des secteurs clés tels que l’agriculture, la météorologie, la couverture Internet ou encore la sécurité des frontières. Ces usages spatiaux favorisent un développement économique et industriel basé sur les données satellites. Ils encouragent aussi des coopérations régionales pour le lancement de satellites. Bien entendu, tout cela représente un coût élevé, mais il est crucial d’attirer l’attention des pays qui ne disposent pas encore de législation sur l’importance de se doter d’un cadre juridique adapté.

En plus des traités internationaux en vigueur depuis les années 1970, de nouvelles problématiques apparaissent, notamment en matière de responsabilité juridique. Prenons le cas du Kenya, où des débris spatiaux sont tombés en décembre dernier : cela soulève immédiatement la question des responsabilités et des indemnisations. L’Agence Spatiale Africaine joue un rôle important de sensibilisation. De notre côté, en tant qu’experts, nous pouvons intervenir auprès des gouvernements pour les accompagner dans l’élaboration de projets de lois ou de textes réglementaires, en collaboration avec des confrères africains spécialisés. La formation est aussi un enjeu essentiel, non seulement pour les juristes, mais aussi pour tous les acteurs concernés par les activités spatiales.

 

Charles-Stéphane Marchiani : Les gouvernements africains sont déjà bien sensibilisés à l’intérêt des activités spatiales, en raison de leurs implications concrètes dans des domaines comme le climat, la gestion des ressources naturelles, la déforestation, la désertification, les flux migratoires, ou encore la défense.

Ce qui est essentiel aujourd’hui, c’est de sensibiliser également les populations africaines à ces enjeux. Il est nécessaire de leur montrer les retombées positives du spatial. Beaucoup de pays africains disposent d’une jeunesse nombreuse, bien formée, notamment en ingénierie, en mathématiques ou en physique. Malheureusement, cette jeunesse peine souvent à trouver un emploi valorisant, ce qui engendre des tensions et participe à l’augmentation des migrations vers l’Europe.

Le développement des activités spatiales peut être une opportunité pour sortir de cette impasse, en valorisant les compétences locales. Car au-delà du lancement de fusées, toute une chaîne de valeur – recherche, développement, sous-traitance, fabrication d’équipements – peut se structurer et générer des emplois pour cette jeunesse désireuse de s’investir pour son pays.

 

Quelles sont les principales problématiques juridiques auxquelles les États africains devront faire face dans les années à venir en matière de droit spatial ?

 

Pierre Masquart : Dans le programme de l’inauguration de l’ASA, on remarque déjà la participation d’agences spatiales africaines qui existent déjà. Et l’ASA jouera certainement un rôle dans la mobilisation des différents pays africains dans la création de leurs agences spatiales. En tant qu’experts, nous pouvons par contre intervenir dans la coopération entre ces pays comme c’est le cas déjà en Europe, où les pays coopèrent ensemble pour pouvoir lancer des satellites. On constate également la présence de représentants des agences spatiales européenne, américaine et russe qui vont signer des partenariats avec l’Agence Spatiale Africaine et qui vont venir aussi à l'appui de ses activités. D'un point de vue juridique, l'Agence Spatiale Africaine va justement permettre de définir une vraie politique juridique des activités spatiales en Afrique, en incitant chaque pays à reconnaître les traités internationaux dans le domaine du droit spatial, et de participer davantage aux activités de l'ONU et ses différentes commissions, et participer à l’élaboration des législations à l’échelle internationale. J’ai évoqué tout à l’heure les traités internationaux qui datent des années 1970, où les pays d’Afrique n’étaient pas présents au moment de leur élaboration. Aujourd’hui ces textes ont besoin d’être revus et les pays africains doivent sans doute avoir un rôle dans la révision de ces traités, par le biais de l’ASA, pour qu’ils soient adaptés aux problématiques d'aujourd'hui, qui accompagnent cette évolution, notamment avec l’avènement des entreprises privées ou encore la question de la militarisation de l'espace qui est interdite par ces mêmes traités. Autre aspect que j’avais souligné avant, et que l'ASA va certainement jouer un rôle important, c'est la formation juridique qui pourrait aider à définir quel type de réglementation un pays africain doit-il mettre en œuvre pour justement permettre le développement des activités spatiales. Je vous donne aussi l’exemple des entreprises privées comme SpaceX qui lancent des satellites capables de diffuser sur la région africaine comme sur d’autres régions du monde. Cela pose la question sur quelle relation juridique et la réglementation dont dispose un pays pour autoriser la connexion avec SpaceX ou l'interdire, surtout qu’aujourd’hui, il y a cette possibilité de développement avec la création d’entreprises locales qui peuvent offrir de meilleures connexions Internet. Donc on voit bien que le droit est un outil au service de la politique juridique pour les activités spatiales.

 

Considérez-vous que la formation juridique est un enjeu prioritaire pour le développement spatial en Afrique ?

 

Pierre Masquart : Absolument. Nous avons récemment rencontré le président de l’Agence Spatiale Africaine, M. Ouattara, à Paris, et nous avons évoqué ensemble les pistes de collaboration que nous pourrions initier en tant qu’experts, aux côtés de nos confrères africains. La formation dans le domaine du droit spatial est en effet un maillon essentiel, car elle permet de structurer une véritable politique juridique à l’échelle continentale.

Aujourd’hui, ce sont principalement les universités, certains centres de recherche et quelques entités spécialisées qui commencent à se saisir de ce sujet. Mais il faut aller plus loin : former des juristes, des ingénieurs, aux enjeux juridiques du spatial est indispensable pour construire une base solide.

 

Charles-Stéphane Marchiani : M. Ouattara incarne aussi une réalité fondamentale : celle d’une diaspora africaine hautement qualifiée, présente en Europe, en Amérique du Nord, ou encore aux États-Unis. Ces talents formés à l’étranger constituent une véritable richesse pour le continent. Le développement du spatial africain peut être une opportunité pour cette diaspora de contribuer au développement de leur pays d’origine ou de l’Agence Spatiale Africaine, en apportant une expertise acquise ailleurs.

La formation, dans ce contexte, peut devenir un vecteur de coopération renouvelée entre les pays africains et leurs partenaires internationaux. Cela concerne bien sûr les aspects techniques ou scientifiques, mais aussi – et surtout – les volets juridiques et réglementaires. Car c’est par la formation que les pays africains pourront élaborer leurs propres lois.

 

L’Égypte est l’un des pays africains qui montre un intérêt majeur pour les activités spatiales. Quels seront, selon vous, les défis juridiques à surmonter ?

 

Pierre Masquart : L’Égypte a toujours été un pays visionnaire et est considérée à juste titre comme un leader africain dans le domaine spatial. L’installation de l’Agence Spatiale Africaine au Caire en est la preuve. Les efforts déployés par l’Égypte pour accueillir cette institution témoignent de son engagement envers le développement spatial en Afrique. Le pays a déjà ratifié les traités internationaux.

Cependant, il convient de noter que les législations dans le domaine spatial restent récentes, même dans des pays comme la France, où la législation date des années 2000. L’Égypte, en tant que pays pionnier dans le domaine spatial, devra mettre en œuvre une législation nationale à la hauteur de ses ambitions. 

 

Les sociétés privées jouent-elles un rôle important dans le développement des activités spatiales en Afrique ?

 

Pierre Masquart : Il est évident que les sociétés privées auront un rôle clé dans le développement des activités spatiales en Afrique. En instaurant des législations spécifiques et adaptées aux défis du secteur spatial, les gouvernements africains pourront encourager l’investissement privé, tant national qu’international. Ces entreprises peuvent jouer un rôle dans des domaines aussi divers que la construction de satellites, le lancement de fusées ou le développement de technologies liées aux télécommunications.

Il existe également des possibilités de partenariats public-privé. Un exemple est celui de Djibouti, qui a mis en place des projets d’infrastructure de lancement. Aujourd'hui, aucun pays africain n’a encore la capacité de lancer des satellites, mais des initiatives comme celles de Djibouti, qui bénéficient d’un climat favorable et d’une localisation stratégique près de l’équateur, sont un excellent point de départ. Ces projets peuvent non seulement renforcer la capacité des pays africains à développer leurs propres activités spatiales, mais aussi créer de nouveaux emplois et stimuler l’innovation dans la région.

 

Charles-Stéphane Marchiani : En effet, le rôle des entreprises privées est crucial. Ces sociétés peuvent non seulement développer des technologies spécifiques aux activités spatiales, mais aussi générer un écosystème local de sous-traitance, de formation et d’innovation. Toutefois, pour que ce développement soit efficace, il est nécessaire que les pays africains coopèrent entre eux. Cela pourrait se faire, par exemple, dans des domaines comme l’agriculture ou la gestion des ressources naturelles, où l’utilisation des satellites.

Les gouvernements africains doivent également envisager des incitations fiscales pour encourager ces entreprises à investir dans des projets spatiaux. Cela pourrait se traduire par des crédits d’impôt ou d’autres formes de soutien financier, afin de créer un environnement propice à l’essor des industries spatiales locales.