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Invités d’honneur

Samira Benturki Saidi : "L’histoire géopolitique du bassin méditerranéen a été réduite à des actes de piraterie"

Le Dialogue

Samira est une intellectuelle algérienne, cinéaste, journaliste, écrivaine, chercheuse indépendante dans le domaine de l'histoire. Elle est la fondatrice et directrice générale de la maison d'édition et de production audiovisuelle WW&I (Worldwide Words& Illustrations). 

Auteure de nombreux livres et articles, elle a également réalisé des émissions télévisées. Ses domaines de prédilection comprennent l'histoire maritime, l'archéologie, la linguistique, l'anthropologie de même que l'art, la photographie, l'illustration de livres. 

 

Elle consacre ses travaux à la reconstitution et à la restitution de l'histoire de la civilisation arabo-musulmane, mais aussi africaine et amérindienne. Son champ de recherche couvre à la fois l'apport des civilisations arabes et arabo-musulmanes au monde, notamment au Moyen Âge, et les connaissances que les Arabes avant l'Islam, puis les Arabo-musulmans, ont transmises aux communautés humaines présentes sur les cinq continents depuis des millénaires.

 

 

Le Dialogue : Avant de discuter de vos livres à paraître, parlez-nous de vos autres projets. Vous en avez un particulièrement important visant à déterrer l’histoire de l’Algérie en tant que puissance maritime ayant soumis les plus grandes puissances européennes et les États-Unis d’Amérique. Pourriez-vous nous en parler?

 

Samira Benturki Saïdi : Effectivement, c’est la création d’un parc d’attraction mettant en exergue cette puissance maritime algérienne qui a été ignorée par les livres d’histoire. Notamment ceux rédigés par les historiens de ces anciens empires qui furent sommés de verser tribut à l’Algérie afin de pouvoir naviguer en mer Méditerranée et sur l’océan Atlantique.

Je l’ai proposé récemment à de potentiels investisseurs chinois à Paris, mais je recherche des investisseurs algériens. Cela concerne notre patrimoine historique et j’ambitionne de le faire connaître au plus grand nombre. C’est par ce type de moyens que l’on peut remettre les chapitres de notre histoire à leurs places. Aux grands maux liés à l’ignorance que nous avons de notre patrimoine historique, les grands moyens. Disney a exploité notre héritage culturel des Mille et Une Nuit dans l’intérêt des États-Unis, puisque c’est un impérialisme culturel qui s’est retourné contre nous. J’aimerais renverser la situation en rappelant que la US Navy a été créée dans le but de faire face à la marine algérienne et que le Président Jefferson voulait éloigner les Algériens de la mer et changer leur personnalité liée à leur puissance maritime vers des hommes tournés vers l’agriculture et tournant le dos à la mer.

 

Vos projets sont révolutionnaires et rappellent le fait que l’Algérie est la Mecque des révolutionnaires !

Je pense que nous vivons une période de notre histoire qui va remettre les pendules à l’heure sur bien des plans dont celui de l’Histoire. Nous avons laissé notre héritage se perdre à travers les livres qui ont été écrits sur nous sans nous consulter ni prendre en considération notre version et notre perspective. À force de maintenir la caméra sur un axe, le réalisateur lasse le spectateur, et c’est exactement ce qui s’est passé. Le spectateur ou plutôt le lecteur s’est lassé de tous ces mensonges diffusés de manière éhontée. Les européens sont toujours représentés comme les acteurs principaux et les autres populations mondiales comme des figurants. Ce temps est révolu et les réseaux sociaux se sont retournés contre eux et leurs mensonges, à nous de faire le reste.

 

Vous considérez-vous comme étant une révolutionnaire?

Eh bien, je me suis levée à l'âge de 12 ans pour clamer à ma prof d'histoire qu'elle mentait. On m'a donnée plusieurs surnoms dont celui de Guerrière Apache, Cheval de Guerre, Hassiba ben Bouali de l'histoire. Je laisse le soin à l'Histoire future de mettre en avant ce que je suis ou que j'aurais été.

 

Vous avez été éditée par une maison d'édition faisant partie d'un grand groupe suisse et anglo-américain. Cette publication scientifique est une reconnaissance de vos recherches qui sont maintenant disponibles dans les plus grandes librairies américaines. Ce fut un long parcours!

En effet, ce fut un combat long d'une trentaine d'années et il est aujourd'hui reconnu que des chapitres entiers de notre Histoire se sont dissipés avec le temps grâce à l'encre qui était utilisé par les historiens dans le but d'effacer notre patrimoine et notre apport à l'humanité. Les langues commencent enfin à se délier. En outre, ces deux chapitres dont je suis l'auteure et qui font partie de cet ouvrage collectif scientifique international puisque des chercheurs originaires de différentes régions du monde dont l'Asie du Sud-Est, Nord-Est dont la Chine, l'Indonésie, l'Inde, la Corée, le Ghana, l'Espagne, ont vu le jour grâce au Dr. Robert D. Crane qui a suggéré mon nom aux éditeurs.

 

J'ai vu que vous étiez sur le point de publier un ouvrage sur les relations maritimes sino-arabes. De l'Amérique, vous êtes passée à l'Asie. Pour quelle raison?

En réalité, je passe par l'Asie pour me rendre vers l'Amérique précolombienne car les textes chinois mettent en exergue des chapitres méconnus des voyages entrepris par les navigateurs arabes depuis le Maghreb vers l'Amérique plusieurs siècles avant Christophe Colomb. En outre, des pans entiers de l’héritage arabo-musulman liés aux échanges avec la Chine ont également été passés sous silence. À titre d’exemple, le rôle joué par les musulmans sous la dynastie Ming.

 

Vous restez toujours dans le domaine maritime. Qu’est-ce qui vous a menée vers ces recherches maritimes plus précisément?

J'emprunte les routes maritimes cependant je me base aussi sur des disciplines telles l'anthropologie, l'archéologie, la linguistique afin de déterrer notre Histoire. Par ailleurs, il m’était difficile d’accepter que les Peuples d’Amérique aient été isolés du reste du monde ou de penser qu’ils n’aient pas eu accès à une révélation divine. Cela relève de l'impossible.

 

Pourquoi de nouveaux livres d'histoire? Considérez-vous que ceux qui existent sur les sujets que vous traitez sont rares?

En fait, je me suis aperçue très tôt que la désinformation historique relative à tout ce qui a trait à l'histoire de la civilisation arabo-musulmane était très répandue. Aussi ai-je choisi de m'appuyer sur mes propres recherches, en tenant compte des versions qui étaient avancées et en comparant les données. J'ai pu distinguer les unes des autres tout en lisant entre les lignes. Par la suite, il m'a été possible de constater qu'il s'agissait d'une question d'historiographie. Dès que l'on sélectionne d'autres sources historiques, on a accès à une histoire qui donne inévitablement un point de vue divergent. 

 

Pourquoi des recherches maritimes?

C’est par les échanges maritimes que j’ai pu reconstituer les routes empruntées par les Arabes car c’était le moyen de transport de l’humanité durant des millénaires. Il y avait donc des éléments à analyser qui n'avaient pas forcément été pris en compte par les historiens, car ils se copiaient les uns les autres et n'avaient pas toujours le courage de remettre en cause la version officielle. Ils recherchaient un diplôme et à faire carrière, ils ne voulaient surtout pas offenser leurs employeurs...

J'ai donc repris toute l'histoire de la navigation et paradoxalement, tout convergeait vers des régions qui avaient toujours été habitées par les Arabes. Cela m'a incitée à explorer d'autres disciplines telles que l'archéologie, l'anthropologie, la linguistique, l'étude comparative des religions, y compris celles des peuples d'Amérique. J'ai été surprise par les découvertes et j'ajouterais même choquée car je ne m'attendais certainement pas à trouver les Arabes sur le continent américain, avant l'avènement de l'Islam et dès le premier siècle de l'Hégire.

 

Vous consacrez une série d'ouvrages aux navigateurs arabo-musulmans, y compris ceux de la Régence d'Alger, que l'on qualifie injustement de pirates, m'avez-vous dit.

En effet, ils représentaient un état, l'état algérien, qui soit dit en passant n'est pas venu au monde grâce à la France puisqu'il existait déjà bien avant la conquête française. C’était bien à l’état algérien que des tributs étaient versés par les puissances européennes qui étaient impuissantes face à l’Algérie. Et pour ce qui est de la jeune nation américaine, elle a fondé la US Navy afin de faire face à la marine algérienne, composée de marins hors pair. Les récits au sujet de l'inexistence de l'Algérie avant 1830 relèvent de la propagande qui suit son cours et d'un point de vue "scientifique" cela en devient burlesque.

J'ajouterai que je me suis penchée sur l'histoire maritime de l'Algérie avant l'invasion française en essayant de replacer les évènements politiques dans leur contexte de l’époque « tenir la mer pour dominer la terre ». L’histoire géopolitique du bassin méditerranéen a été réduite à des actes de piraterie décrits comme étant des déprédations subies par les européens de la part des puissances maritimes nord-africaines, qu’elles décrivent de manière péjorative, en se projetant sur les pages d’une histoire préfabriquée, en victimes d’actes qualifiés de barbares lorsqu’il s’agissait d’une perspective sud-nord et de défense maritime lorsqu’il s’agissait de traduire les positions nord-sud, qui voulaient s’inscrire dans une mission civilisatrice. Les états d’Afrique du Nord auxquels ils se devaient de donner une « correction bien méritée » étaient des « états voyous » dont il fallait conquérir les territoires afin d’y déplacer le surplus de populations européennes.

Cette histoire préfabriquée ignore les dimensions politiques, économiques et commerciales. Elle n’en oublie pas moins de souligner ses dimensions militaires tout en exagérant sa dimension ou portée religieuse dans le but de manipuler le lecteur d’aujourd’hui aussi bien que les populations d’hier dont on craignait qu’elles n’affluent vers l’Afrique du Nord, la terre où le pauvre pouvait trouver refuge et espérer évoluer socialement dans les sociétés musulmanes. Il fallait donc éviter la parade séductrice et tenter de les influencer par l’exercice d’une idéologie dont les outils propagandistes étaient pourtant évidents. Le « Algerian Dream » était « l’American Dream » des populations européennes.

 

Vous considérez que l'Histoire se doit d'être reconstituée et vous êtes en désaccord sur le comité composé d'historiens des deux rives, chargé de la réécrire. Pourquoi?

Je l'ai dit et réitéré, à défaut d'un retour à une Histoire maritime et à une Histoire sans complaisance, sans concessions, nous courons le risque de perdre notre héritage historique. Toutefois il est encore temps de le préserver si nous gardons à l'esprit que l'histoire des peuples n'est pas une recette destinée à satisfaire les palais de tous les convives. Elle se doit d'être objective, dans le respect des droits et de la mémoire de ceux qui ont travaillé, exploré, inventé ou qui sont morts pour la construire. On ne rédige pas l'histoire dans une cuisine, quand bien même elle serait écrite par des chefs étoilés. 

 

A combien d'années remontent vos recherches?

Je fais des recherches dans le domaine maritime depuis une trentaine d’années et contrairement à ce que l’on croit, beaucoup reste à écrire. En revanche, le croisement des données ne pouvait se faire sans proposer une nouvelle historiographie, ce que j'ai fait. L’expansion européenne a balayé d’un revers de la main tout ce qui avait été accompli avant les européens. Leur version de l’histoire ne pouvait qu’être biaisée. 

À titre d'exemple, l'un des ouvrages à paraitre intitulé "Les Relations Maritimes Sino-Arabes (avant & après l’avènement de l’Islam)", met en exergue des aspects de ces relations méconnues ou ignorées mais que des universitaires chinois musulmans ont révélé quant au rôle exceptionnel joué par les Arabes et leurs descendants direct non seulement dans le domaine commercial mais aussi au sein de l'administration chinoise, de son armée, de son élite politico-culturelle mais également à la tête de la dynastie Ming. Pour ce qui est du domaine maritime, vous seriez surpris d'apprendre que l'Amiral Zheng He était un descendant direct du Messager d'Allah, pbsl. Je ne me suis pas reposée sur une seule perspective historique mais plusieurs et ce, qu'elles soient chinoises, arabo-musulmanes, occidentales ou autres.

 

On sait que le mot Amiral est constitué du titre arabe Amir Elbahr - cela veut-il dire que nous étions les maîtres des mers à une certaine époque?

On peut plonger dans le fond du sujet par cette simple référence au terme arabe Amir-El bahr, qui est l'officier au rang militaire le plus élevé dans la marine. Alors que je visitais le Musée de la US Navy à Washington D.C., dans le cadre de mes recherches, la personne à l'accueil ne comprenait pas à qui je faisais référence lorsque je la questionnais au sujet de la Régence d'Alger et de la partie du musée qui lui était consacrée. Lorsqu'enfin, cet homme a compris, sa réponse a été surprenante: "Ah, vous voulez dire les pirates?". La mienne l'a surpris tout autant car j'ai aussitôt répliqué "Parlez pour vous. Lorsque vous parlez de vos marins vous utilisez un terme arabe "Amiral" et quand il s'agit de parler des nôtres, vous en parlez comme étant des pirates. Je ne suis pas d'accord. C'étaient de grands navigateurs et nos officiers de la marine". Il a souri tout en ajoutant que c'était ainsi qu'on le leur enseignait.

On jette le discrédit sur un peuple ou sur sa marine alors que la géopolitique de l'époque soulignait ce que la plupart des historiens feignent d'ignorer, c'est-à-dire la puissance maritime des Arabes avant l'avènement de l'Islam et jusqu'au début du 19ème siècle, car nous étions les maitres des mers. Nos navigateurs avaient exploré le globe terrestre et sont parvenus jusqu'en Amérique et en Australie, comme cela a été mis en évidence par l'archéologie et la linguistique, pour ne citer que ces deux disciplines. Ces connaissances maritimes remontaient très loin dans le temps et sont soulignées par la carte dessinée par l’amiral et géographe turc ottoman, Piri Reïs, au début du 16ème siècle. Une carte qu’il avait  offerte à Suleïman le Magnifique et qui indique que même l’Antarctique était connu des arabo-musulmans.

 

Est-ce donc vrai que les arabo-musulmans ont découvert l'Amérique avant Christophe Colomb? Y a t-il des traces ? 

C'est aussi vrai que le fait que Christophe Colomb n'ait jamais découvert ce continent. Les informations au sujet de l'Amérique étaient disponibles dans la bibliothèque où il a vécu pendant plusieurs années, au sein du Monastère de la Rabida, dans le sud de l'Espagne. Car 150 ans avant la soi-disant découverte du continent américain, un moine franciscain a effectué un voyage transatlantique avec les Arabes du Maghreb et il a visité plusieurs îles des Caraïbes. À son retour en Espagne, il a écrit un ouvrage intitulé "El Libro del Descubrimiento" (Le Livre de la Découverte), où il relate son voyage.

Par ailleurs, des documents chinois datant du 12ème et début du 13ème siècle soulignent ces voyages transatlantiques effectués par les Arabo-Musulmans à cette même époque, tout en précisant qu'ils les accomplissaient à bord de très grands navires. Lors de mes recherches, j'ai retrouvé un ancien texte écrit par un historien français qui faisait référence au gigantisme des navires arabes qui longeaient les côtes atlantiques françaises.

Ainsi, d'un point de vue matériel, les Arabes avaient les moyens de traverser l'océan et ils accomplissaient leurs traversées à bord d'embarcations de différentes tailles. Par ailleurs, nous devons ajouter que contrairement à ce qui est diffusé dans de nombreux livres d'histoire, ils n'étaient pas frileux à l'idée de mettre à la voile pour des voyages en haute mer et ne se contentaient pas de barboter dans l'eau. Ils étaient les inventeurs et constructeurs des caravelles dont l'étymologie arabe est visible "Al Qarib". Ils étaient également les inventeurs de la plupart des instruments de navigation dont la boussole qui n'est en aucune manière une invention chinoise. D'ailleurs les chinois eux-mêmes avouaient qu'ils n'en étaient pas les inventeurs.

Pour ce qui est des traces, elles sont visibles dans différentes régions d'Amérique.

 

Vous avez un parcours atypique. Vous travaillez dans le domaine de l'audiovisuel aussi bien que dans celui de l'édition. Pourquoi?

Effectivement, j'ai un parcours dans le domaine cinématographique et culturel de manière générale mais l'histoire de la Civilisation Arabo-Musulmane m'a depuis toujours attirée au point que j'en ai fait la base fondamentale de mon métier dans mes deux domaines de prédilection.  C'est une passion que je suis ou que je poursuis.

Par ailleurs, j’ai une expérience dans le domaine cinématographique car j’aime l’art et le septième art en particulier. J’ai eu l’occasion de travailler avec des grands noms du cinéma ou de la chanson, tels Anthony Quinn ou Warda El Djazaïriya. Je vous avouerais que l’acteur américain est le seul avec lequel j’ai pris plaisir à travailler. Il dégageait un respect et une aura incontestables. Il était à la hauteur de son mythe et d’une grande humilité. Le milieu du cinéma ne reflète pas l’image qu’il projette sur les écrans et je m’en suis éloignée avec le temps. J’ai fondé ma société de production et d’édition dans le but d’exploiter cet art pour transmettre le savoir.

 

Qu'est-ce qui vous a attiré vers le domaine historique?

Depuis l'âge de dix ans, je me suis penchée sur la version Arabo-Musulmane de l'Histoire car celle qui nous est transmise à l'école est biaisée. On parle de nous comme étant des "barbares", de "nouveaux venus en France et en Europe". On oublie de préciser que les Arabes ont fondé plusieurs villes du sud de la France, dont Marseille, qui étymologiquement indique que c'est un port "Marsa-El", le port de Dieu. La version faisant des grecs ses fondateurs sous le nomde Massalaia est aussi ridicule que de retirer le "r" pour faire oublier "Marsa". Il suffit de gratter pour découvrir la vérité.

En outre, on nous décrit comme étant arriérés, on évoque la femme musulmane comme étant l'esclave de l'homme, comme étant maltraitée par la religion. Or toutes ces descriptions ne correspondaient pas au point de vue que j'en avais en tant que femme Arabo-Musulmane, appartenant à l'orient et à l'occident de ce monde car mes ancêtres étaient originaires du sud de la péninsule arabique aussi bien que d'Irak ou de Turquie. Je suis Algérienne et je vis en France, je suis africaine et asiatique tout en étant européenne car le mot "Europe" découle du nom de la princesse Europa, fille du Roi Agénor. Europa n'est autre que 'Uruba, et signifie Arabe, une femme arabe aimante. En réalité, lorsque certains insistent sur leur origine européenne et qu'ils disent "Nous sommes Européens, ils ne savent pas qu'ils affirment leur Arabité, par la même occasion", cela m'a toujours fait sourire...

 

Parlez-nous de votre objectif de restaurer notre patrimoine culturel, archéologique et historique: comment peut-on y arriver ?

Récemment j’ai créé un recueil de contes intitulé « Les Contes de Radjae » dans lequel je prépare le jeune public à une autre vision de l’Histoire et au sein duquel j’inclus les apports des Peuples d’Amérique. Par ailleurs, je rends hommage à ma jeune soeur, Radjae, qui m’a beaucoup apportée dans la vie car elle a été une échelle de valeurs me permettant non seulement de distinguer entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas mais aussi de souligner l’apport incontestable des personnes soufrant de handicaps à une meilleure compréhension de la vie et appréhender les évènements qui nous touchent.

 

Cela se fera également par le biais de publications scientifiques aussi bien que par l'édition d'ouvrages de vulgarisation à destination du grand public. Cependant, j'ai créé il y a de nombreuses années un jeu de société composé de plusieurs milliers de questions reprenant l'histoire de la Civilisation Arabo-Musulmane. Ce jeu s'intéresse à la diffusion de la connaissance de notre Histoire et a pour objectif de mettre en exergue notre patrimoine. 

 

L'objectif est également de mettre en place la Journée Mondiale Pour Restaurer le Patrimoine Historique et Archéologique Arabo-Musulman et Africain. D'ailleurs, le terme "restaurer" a été inspiré par le Dr. Robert Dickson Crane, ancien ambassadeur américain et conseiller aux Affaires Étrangères du Président Richard Nixon, avec lequel j'ai travaillé depuis 2019 jusqu'à son décès survenu en décembre 2021. Nous travaillions à restaurer ce qui avait disparu des annales historiques américaines tout en proposant une autre historiographie destinée aussi bien au grand public qu'aux chercheurs. Le Dr. Crane était par ailleurs le petit-neveu de l'un des derniers Imams de la Nation Cherokee, Franklin Joseph Bever, qui était donc de confession musulmane comme une partie des Natifs d'Amérique avant la date fatidique de 1492.  J'ajouterai que plusieurs mois avant sa disparition, le Dr. Crane m'a léguée tous ses ouvrages, documents, emails en m'écrivant qu'il savait que j'en ferai bon usage. En effet, je me bats depuis plusieurs dizaines d'années afin que soit reconnue l'histoire arabe et arabo-musulmane de l'Amérique avant 1492. Les Arabes étaient sur ce continent avant l'ère chrétienne et les musulmans dès le premier siècle de l'Hégire. En définitif, c'est d'une logique implacable car nul n'est sensé ignorer l'existence d'Allah, même les Peuples d'Amérique...

 

Vous étiez récemment en Algérie !

Effectivement, en février 2023, j'ai pu donner une conférence à Alger, organisée par Monsieur Badis Sabeur au siège d'un parti politique algérien, puisque nous constatons que l'histoire de l'Algérie et celle de la civilisation arabo-musulmane prennent désormais tout leur sens car on a fini par en comprendre la mesure. Nous nous devons tous d'apporter notre pierre à l'édifice. J’ajouterais que ceux et celles qui pensent qu’en semant d’embûches ma route et en m’empêchant de prendre la parole se trompent lourdement car de plus en plus de voix s’élèvent pour me soutenir. Ce sont les voix de chefs d’états, d’hommes et de femmes de culture, du grand public de plusieurs continents.

 

Il y a une part de cette transmission de notre héritage culturel qui commence d'ores et déjà à se faire par le partage de projets afin de préparer la relève. Ainsi, parmi les nouvelles générations, l'auteure Amira Benbetka Rekal, qui travaille à déterrer notre patrimoine pour la jeunesse en s'inspirant des Mille et Une Nuit ou de Kalila wa Dimna, tout en écrivant des livres qui mettent en avant cet héritage littéraire que nous avons ignoré. J'espère que ses livres seront adaptés par le grand écran car elle s'inspire du passé tout en l'adaptant au monde moderne. Cela est d'une très grande richesse pour le lecteur contemporain. Nous nous devons de travailler sur l'héritage à transmettre à la jeunesse, afin de mettre à portée des enfants ce patrimoine Arabo-Musulman que tous les studios américains ont exploité sauf nous. On se réapproprie notre héritage pour le leur léguer.

 

Il faut souligner le fait que la recherche dans le domaine du patrimoine historique a pour dessein de lier et non d'opposer. De relier les continents par l'organisation d'évènements culturels avec un fonds historique fondamental pour signaler que les continents et les peuples n'étaient pas isolés, comme on l'a trop souvent prétendu. Cette perspective-là est purement chrétienne et est fondée sur les connaissances géographiques limitées des européens. Tant qu'on n'aura pas compris que cette version de l'histoire ayant pris possession de notre mémoire ne prend en considération que leur expansion, on continuera de diffuser une désinformation historique et non l'Histoire. Or l'Histoire avec un grand "H" met en avant les connaissances maritimes supérieures des Arabo-Musulmans alors que les manuels d'histoire les ignorent.

 

Quelle importance cela aurait-il de déterrer cette version historique du passé de la civilisation arabo-musulmane? Ne devrions-nous pas songer plutôt à l'avenir?

La version qui nous en a été servie a eu de nombreux effets secondaires car basée sur une idéologie que certains voudraient diffuser comme une vérité incontestable. Or, la recherche savante est quant-à-elle, une médecine sans effets secondaires, qui élargit les horizons si nous en saisissons le principe civilisateur. Tout au moins en respectant les engagements pris en tant que scientifiques ayant la responsabilité de la transmission du savoir. Ils relèvent du serment que chaque historien devrait prêter en matière d'authentification des sources, mais également les critères qu'il se doit de respecter en s'engageant dans la rédaction de ses textes. Il se devrait d'exercer son métier en respectant les principes fondateurs de sa profession tel un médecin, en se soumettant à un code de déontologie.

 

Pourquoi selon vous la montée de l'islamophobie en Europe notamment en Hongrie et en France?

Je répète depuis longtemps que la méconnaissance de l'histoire serait à l'origine de nombreux maux. Celui qui n'a pas de passé n'a pas de présent ni de futur. Il n'a aucun droit de citer. Or, si nous ignorons l'importance de notre patrimoine, cela a un effet dévastateur sur la personnalité même de l'enfant puis de ce jeune adulte qui fera partie de cette société multiculturelle d'aujourd'hui. Je m'explique, en prenant l'exemple de la France. La majeure partie de la population française ignore que les Arabes étaient présents dans plusieurs régions de France et les fondateurs de cités longtemps avant l'ère chrétienne telles Toulon, Marseille, St-Tropez, Monaco. Ils ignorent le fait que les Arabo-Musulmans faisaient partie de ses habitants dès le 8ème siècle.

 

Vous m'avez parlé de l'esclavage au sein des sociétés arabo-musulmanes et vous avez souligné un point que je n'avais jamais entendu jusque-là, pourriez-vous nous en dire un mot?

Je pense qu'il est important de retourner à l'histoire, la vraie version de l'histoire et alors on réalisera que le racisme n'était pas aussi répandu dans le monde Arabo-musulman qu'on le prétend. Prenons le cas de l'Afrique du Nord et l'histoire nous apprend que les familles slaves rêvaient de voir ses enfants en esclavage chez les Arabes car ils étaient assurés d'avoir une meilleure vie. Par ailleurs, parmi les corsaires d’Afrique du nord, nombreux étaient ceux qui avaient fui leurs vies de chrétiens pour choisir l'Islam, car ils étaient assurés d'évoluer dans les sociétés nord-africaines et nombreux étaient ceux qui soulignaient qu'ils étaient mieux traités par les musulmans que s'ils avaient été pris par des chrétiens. l'Algérie était l'American Dream.

 

Quels sont vos autres projets futurs?

La Fondation de ATHAR Foundation dont l'objectif est de mettre en œuvre des actions ou des initiatives culturelles visant à la création et à la promotion de la civilisation arabo-musulmane en encourageant la création de passerelles culturelles entre les peuples,  ce qui contribuera à améliorer une connaissance mutuelle. J'en profite pour ajouter que c'est un projet qui servira les intérêts des générations futures et qu'un soutien financier est fondamental pour le mener à bien.

Je suis également membre d'une jeune organisation internationale, PANGEE, fondée par Nathalie Kessler, une franco-coréenne. Cette ONG est reconnue par les Nations-Unies et j'en suis l'une des représentantes officielles à Genève. Mon rôle, en tant que telle, consiste à souligner le droit des peuples à adopter une perspective historique distincte de celle des Européens.