Réda Dalil est parti très tôt, sans avoir le temps d'achever ses projets ambitieux et de voir le Maroc dont il rêvait depuis son jeune âge. Son sourire manquera.
Son enthousiasme manquera. Son écriture romanesque manquera. Notre carte littéraire est trouée désormais à cause de son départ. Un départ tombé comme un couperet. Il luttait contre la maladie et voulait même écrire et continuer alors qu'il était alité. Quel esprit stoïque. Il a toujours voulu être plus fort que le mal dont il souffrait en silence et triompher par la force du sourire et la résilience de la plume. A 45 ans ! Mais derrière lui un legs littéraire et des éditos que tant de lecteurs attendaient. Tout le monde est triste aujourd'hui. Les réseaux sociaux témoignent de ce deuil collectif de toutes les couleurs et de toutes les appartenances. Les journalistes, les écrivains, les hommes politiques, les amis, les lecteurs, s'accordent pour avouer que Réda était un grand homme amoureux de son pays.
Il écrivait, comme s'il était pressé. Son premier roman primé en 2014 (Le Job) lui a causé un tarissement momentané et de ce tarissement était né le deuxième : Best-seller. Et je suis étonné de le voir partir sans pouvoir finir son troisième roman. Et bien d'autres à venir.
Le parcours de Réda est très particulier :
Né en 1978 à Casablanca, Réda Dalil a fréquenté les bancs du Lycée Lyautey avant de rejoindre L'Université Al Akhawayn. Après un Bachelor en administrations des affaires, obtenu en 2001, il embrasse une carrière de financier, d'abord dans les Assurances, puis dans une entreprise multinationale anglaise.
Ses nombreux voyages d'affaires lui font sillonner le monde à la découverte de cultures différentes.
Bientôt, il cède à une passion qui l'habite depuis l'enfance : l'écriture. En 2008, Il abandonne son poste de finance « manager » et se consacre au journalisme. En 2010, il est nommé rédacteur en Chef de l'Hebdomadaire "Le Temps". Un an plus tard, il entame l'écriture d'un premier roman. Ce sera "Le Job". Puis, il réalise son rêve et devient « directeur de publication » de « Tel Quel ». Atteint d'une longue maladie, il meurt à la suite d'une intervention chirurgicale le 19 mars 2024, a l’âge de 45 ans.
Cette notice nous laisse bouche-bée devant la faucheuse qui n'offre pas une grande chance à ceux qui sont dévorés par le feu de l'ambition ; la volonté de changer les choses et d'animer le pays, le journalisme et la culture. Oui, Réda est parti trop tôt. Mais, c'est là toute la valeur symbolique de la pérennité qu'offre l'écriture. Réda demeure ici et toujours, vivant, à nous parler à travers cette voix qu'on ne peut éteindre : celle de la plume.
Un romancier féru des détails quotidiens, un vrai observateur doté d'un regard d'esthète est capable de narrer tout en nous offrant, sans en faire trop, quelques moments d'envolée poétique :
" Casablanca défile à travers la vitre, impétueuse, mutine, sale et agressive.
Une cour des miracles 2.0 saupoudrée de BMW luxueuses et d'une grappe de gratte-ciels à la peinture épluchée.
Le beau et le laid se mêlent, s'interpénètrent".
Une pure réflexion sur l'acte d'écrire, ses soubassements et ses splendeurs. C'est un méta-roman qui ose, toutes nuances gardées, mettre en scène le tarissement d'une plume après et, mieux encore, battre le monde éditorial en brèches.
Bachir Bachir dit BB prétend vivre de sa plume. Entreprise risquée dans un pays où le livre est juste l'apanage d'une élite heureuse (happy-few). Après le succès inestimable de son premier roman, Le Job, ce romancier versatile décide, malgré lui, réitérer l'apothéose commerciale et esthétique. Or l'acte d'écrire n'est jamais une fabrication sur commande. Il se heurte au syndrome traumatisant de la page blanche qui lui cause fréquemment une série interminable de migraines et d'introspection. Impasses et rebondissements ! Au lieu d'accepter la vie comme elle va, BB s'immole sur l'autel des dépenses insensées et des engagements aveugles car c'est de sa vie de père responsable d'un enfant unique qu'il s'agit. Depuis, il ne cesse d'incarner le noyé combatif qui tente de s'accrocher à n'importe quel feuillet à même de l'exhumer du gouffre : une ex-femme infidèle et insoucieuse, une belle-mère mégère, un enfant souffrant après un incident bouleversant, une dulcinée désespérée et féministe, un papa hanté par le fantôme d'un roi et ses discours révolus, un frère oisif et émotif, une maman égoïste et bonne vivante, un éditeur cynique et affairiste... Il n'a donc d'autre choix que de commette un best-seller susceptible d'être son papier salvateur qui le réhabilitera et pourquoi pas remette de l'ordre dans sa vie de gueux indésirable et déçu.
Le deuxième roman de Réda Dalil
Ce roman se réfère sciemment à la technique des possibles narratifs qui ne demeurent absolument pas suspendus. Il donne l'impression de par son emboitement qu'il est question d'un panel d'histoires regroupées en une seule intrigue inextricablement enchevêtrée. Bestseller se nourrit également d'une culture littéraire et médiatique très large à tel point que l'auteur préfère citer les chaines, les journaux, les radios et les classiques littéraires de leurs vrais noms, ne serait-ce que pour pousser au paroxysme cet effet du réel doublé d'un imaginaire vraisemblable. Un imaginaire capable de confectionner même les articles critiques éventuellement écrit sur un roman en cours ... Ce réalisme magique est tributaire d'un bilinguisme structurent le corps du texte (en l'occurrence, les expressions anglicistes visiblement omniprésentes !)
De l'autre côté, ce roman puise dans la nomenclature cinématographique dont l'œil scrute implacablement tous les dialogues introduits de décors et de didascalies… Comme si l'auteur voulait écrire un roman sous nos yeux, nous autres lecteurs, dans un laboratoire découvert une cuisine interne sans en couvrir les couloirs obscurs. Ce roman est une expérimentation faisant de l'écrivain un être commun, un homme qui vit autant de déceptions que de splendeurs surtout dans un monde où les hommes de lettres sont entourés d'une sorte d'aura académique dans un bal démasqué regorgeant de photos Facebook montrant de manière factice que leur vie est juste facile malgré la torture invisible d'un acte bel et bien solitaire : l'écriture!
L'écriture est bel et bien au-dessus de la mort, de la disparition, si prématurée soit-elle. Tout écrivain résiste à l'oubli et au départ. On pleure Réda aujourd'hui
Le cœur en saigne. Une seule consolation pour sa mémoire : relire ses éditos, ses romans et son livre sur le Maroc, son pays qu'il aimait et n'hésitait nullement à critiquer et à en révéler les dessous des cartes. Son engagement demeurera une leçon à enseigner aux générations à venir. Son honnêteté aussi. Sa résilience sera notre sagesse et son sourire qui « euphémisait » la tragédie nous apprendra à écrire, à vivre, et à continuer, mais sans oublier ce calibre de citoyens qui font l'Histoire de notre littérature et de notre culture. Adieu, Réda, le ciel te sera plus bienveillant et ton sourire étoilera le tableau d'un Maroc qu'on ne refusera plus de voir, car ton pays sera comme tu l'imaginais quand la génération à venir lira ton œuvre avec le cœur et l'esprit, tous azimuts.