La France et l’Italie, à la fois semblables et différentes, ont souvent eu une relation portée par des hauts et des bas comme encore aujourd’hui, avec la question migratoire qui reste en tête de l’agenda des deux pays et une succession d’affrontements verbaux comme on l’a vu ces dernières années et qui souvent s’aggravent. Face à des crises répétées, nous assistons à un phénomène de crise perpétuelle entre Paris et Rome. Cependant, les relations bilatérales entre la France et l’Italie ont souvent été plutôt amicales, sans véritable remise en cause de la qualité de cette proximité. Aujourd’hui, inverser la perspective, c’est-à-dire mettre en évidence l’état de crise comme la nouvelle normalité des relations bilatérales pourrait être un moyen efficace de faire un diagnostic éclairé, et une condition préalable à l’amélioration des relations.
L'Italie et la France qui - en théorie - auraient tant d’intérêts communs, finissent toujours ou presque par se disputer. On remarque en effet que depuis toujours, une profonde inimitié lie les deux peuples latins, qu’un philosophe français d’origine russe Alexandre Kojève voulait intégrer dans ce qu’il appelait l’ « empire latin ». Aujourd’hui, il apparaît évident que les seules racines culturelles ne sont pas suffisantes, car un solide projet européen ne peut naître que d’un rapprochement bilatéral important. Le sommet bilatéral de Lyon - septembre 2017 - a lancé pour la première fois l’idée d’un traité bilatéral pour faire progresser la coopération entre les deux pays. L’idée sous-jacente est que les deux diplomaties ont besoin d’un cadre plus structuré pour progresser dans la relation bilatérale, d’un instrument pour remédier aux crises cycliques, et d’un outil pour mettre en avant la coopération technologique et l’innovation.
Par la suite en 2021, l’entente entre Emmanuel Macron et Mario Draghi a amené une sorte de retour au calme dans les relations bilatérales, et c’est cette période d’entente qui a fourni le cadre nécessaire pour l’élaboration du Traité du Quirinal.
Le Traité du Quirinal vise entre autres à la collaboration des deux pays pour la transition verte et numérique, la coopération spatiale et l’approvisionnement en matières premières critiques. Le traité lie, au moins sur le papier, un rapport très particulier entre nos deux pays car il est le premier traité bilatéral de l’Italie avec un autre pays membre de l’Union européenne. L’accord voudrait d’une certaine manière ressembler au Traité de l’Élysée conclu entre la France et l’Allemagne en 1963, et qui a régi les destins de la Communauté européenne puis de l’Union européenne. L’élaboration du Traité du Quirinal affirme donc le renouveau de la coopération italo-française en impliquant tous les secteurs concernés, de la défense à la culture. Cet accord incarne une volonté partagée de construire un futur européen plus fort et soudé, lequel nécessite un effort commun pour débloquer les opportunités et surmonter les défis présents, et qui nécessite des réponses communes. L’accentuation de la coopération permettrait d’aller outre les tensions bilatérales de 2019 et, éventuellement, des désaccords plus récents. En outre, bien que les relations entre la présidence Macron et le gouvernement Meloni soient marquées par la froideur, avec des moments d’impasse, le traité du Quirinal a commencé à fonctionner. Les ministères des Affaires étrangères, de la Défense et de l’Industrie ont mis en place de nouveaux organismes pour approfondir la connaissance mutuelle et les scénarios de coopération, et ce travail, qui se déroule un peu sous-jacent, a déjà fait ses preuves.
Le deuxième anniversaire du traité du Quirinal a été célébré à Rome en novembre 2023 sur le Campus de l’université de la Luiss, un événement durant lequel l’ambassadeur de France en Italie, Martin Briens, a souligné l’importance du rôle des jeunes dans la relation franco-italienne qui représentent l’avenir du traité et de leur nécessaire participation à la réflexion franco-italienne. Paola Severino, la présidente de la Faculté de droit Luiss, a quant à elle déclaré « Des séminaires comme celui d'aujourd'hui dédié au débat avec les jeunes permettent de renforcer la collaboration entre nos deux pays en abordant des questions prioritaires pour l'avenir de l'Europe telles que la sécurité, l'économie, la recherche et l'innovation, le développement et la culture inclusifs ». Ainsi, lors de l’événement, plus de 200 étudiants ont pu interagir avec les intervenants en abordant tous type de sujet en passant de la mobilité étudiante, à la culture ou encore la défense.
Bien évidemment, il y a aussi des moments de tensions, de ce fait, les périodes de désaccords - voire de crises - ont été nombreuses entre la France et l’Italie. Après la période de calme entre Emmanuel Macron et Mario Draghi, l’arrivée de Giorgia Meloni au pouvoir en Italie a ravivé la crise bilatérale, principalement due à la question migratoire, avec d’une part la polémique autour de l’accueil du navire Ocean Viking en septembre 2022, et, d’autre part, les fortes critiques de Gérard Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, concernant la gestion de la crise migratoire de la part du gouvernement italien. D’une manière générale, les deux pays connaissent des tensions internes sur les questions migratoires et démographiques, divisées entre le besoin de main-d’œuvre et le refus de l’immigration. A cela s’ajoutent les difficultés causées par les divergences de vues sur la réforme de l’accueil des migrants au niveau européen, l’Italie demandant une révision du système actuel pour ne pas devoir affronter seule les débarquements sur ses côtes. Sans compter les risques liés à la stabilité régionale découlant d’une mauvaise ou inexistante gestion. Pour éviter les secousses provoquées par les déclarations de condamnation mutuelle, il faudrait atteindre un niveau de confiance et une forme d’amitié et de courtoisie qui semblent être assez rares.
Les flux migratoires sont aujourd’hui en effet au centre des tensions entre les deux pays et ce depuis déjà 2011 dans le contexte des Printemps arabes où l’Italie avait vu de nombreux migrants arriver sur ses côtes depuis la Tunisie et la Libye. A la même date, il est important de rappeler la divergence d’opinion concernant l’intervention en Libye, thème sur lequel la France et l’Italie étaient profondément en désaccord. L’Italie a en effet accusé le gouvernement français d’avoir accéléré la chute du régime de Mouammar Kadhafi sans se préoccuper des conséquences pour la région, ouvrant ainsi une porte à l’immigration illégale vers l’Italie et au trafic d’êtres humain. Certes, le président du Conseil d’alors, Silvio Berlusconi, avait fini par donner son accord pour l’intervention tripartite (France, Etats-Unis, Royaume-Uni), notamment pour que les avions des trois pays de l’OTAN traversent le territoire et le ciel italien, mais nous savons aujourd’hui que Berlusconi fut en cela obligé par le président de la République d’alors, Napolitano, en tant que chef des armées.
Aujourd’hui, il n’existe aucune réelle politique migratoire européenne simplement du fait que les intérêts divergent, chacun se préoccupant de sa frontière, bien que le problème soit en réalité commun. Cependant, les flux migratoires arrivant en Italie (plus de 150.000 personnes en 2023) représentent des défis importants et surtout communs, car la majeure partie de ces personnes souhaite par la suite traverser la frontière française. La meilleure gestion de ces flux nécessiterait une forte collaboration bilatérale et européenne, or celle-ci n’est hélas toujours pas optimale, ce qui ouvre parfois la porte à une situation chaotique. L’Italie et la France ont en effet besoin l’une de l’autre sur le front nord-africain et méditerranéen en harmonisant leur politique extérieure afin de mettre en place un système de limitation des flux arrivants. Les deux pays seraient donc fondés à adopter une vision commune sur la nécessité de stabiliser la méditerranée étant donné que les flux migratoires préoccupent de plus en plus les divers gouvernements ainsi que leurs populations respectives.
La tension autour des migrants a atteint son sommet avec les divers affrontements verbaux entre Emmanuel Macron et Matteo Salvini en 2019, ce qui avait provoqué une tension inédite jusqu’au rappel de l’ambassadeur français. Giorgia Meloni a ensuite été reçue par le président Macron en juin 2023 dans un contexte de tension autour du thème de l’immigration. La rencontre avait semblé finalement assez apaisée. Le principal message que les deux dirigeants ont voulu faire passer à la suite de leur rencontre est celui de la collaboration et de l’entraide, dans l’objectif commun de trouver des solutions à la gestion de la frontière commune et de limiter l’immigration illégale.
Se pose alors la question de la nécessaire évolution des démocraties européennes. Le traité du Quirinal représente un pas significatif vers l’institutionnalisation des relations bilatérales et même si ce mécanisme ne fonctionne pas sous toutes ses facettes, il reste un outil nécessaire qui devrait permettre au système de se développer. Il est cependant clair que dans une Europe constamment en mouvement, les intérêts géopolitiques français et italien connaîtront toujours des divergences, mais de manière globale, ils restent largement convergents. En témoigne le soutien commun à l’Ukraine et le renforcement dans l’OTAN contre le « bloc Russie-Chine ». Il est intéressant de rappeler dans ce contexte que l’Italie s’est officiellement retirée du projet chinois des routes de la soie fin 2023 (Belt and Road Initiative) comme pour confirmer son appartenance au « bloc atlantiste ».
L’un des domaines où cette paradoxale "proximité-distance" s’exprime le plus fortement entre nos deux pays est certainement l’économie, où des coentreprises prospères se mêlent à une concurrence nuisible et inutile. Nous avons en effet assisté ces dernières années à nombre de litiges commerciaux avec des tentatives d’acquisition comme le groupe de luxe LVMH, EDF avec Edison, Lactalis avec Parmalat ou encore STX, bien qu’il y ait aussi des partenariats très bien accueillis comme Lavazza et Campari[1], la fusion Exilor-Luxottica ou encore l’accord Paribas-Bnl et Stellantis. Il faut garder à l’esprit que la raison des crises constantes sont aussi celles d’une part, d’une vision française assez hautaine et arrogante dans son estime de l’Italie, et, d’autre part, la vision parfois paranoïaque de l’Italie vis-à-vis de la France, surtout au niveau économico-industriel.
La France est aujourd’hui le 2ème partenaire commercial de l’Italie, tandis que cette dernière est le 3ème partenaire commercial de la France[2]. Les intérêts économiques partagés entre la France et l’Italie, autant au niveau bilatéral que multilatéral - comme l’a démontré la participation conjointe à la négociation du programme européen NextGenerationEU duquel est né le programme PNRR -, ont encore resserré les liens entre la France et l’Italie. Cependant pour ce qui est des relations bilatérales, elles doivent encore atteindre leur plein potentiel. “L’innovation est dans le cœur des relations économiques entre la France et l’Italie. C’est la clé pour préparer le futur”[3]. Il y a également un aspect industriel, en effet la politique géo économique française vis-à-vis de l’Italie est très prononcée avec de nombreux investissements ciblés. Dans ce sens, le développement de l’industrie franco-italienne est important et constitue une source de coopération, tout comme d’ailleurs l’alignement sur l’aide à l’Ukraine partagé par les deux parties. Les deux pays partagent l’objectif du Fonds européen pour la défense (European Defence Fund) qui, de 2021 à 2027, consacrera 8 milliards à la recherche et au développement militaire et stratégique dans l’idée de rééquilibrer la sécurité européenne en s’éloignant de l’atlantique. Par ailleurs, l’Italie et la France opèrent ensemble dans le domaine de la politique spatiale, activité hautement stratégique et technologique.
En dehors de la politique, les liens commerciaux entre Rome et Paris sont très avancés par rapport aux autres pays européens. Ils représentent plus de 100 milliards d’euros en 2022, les échanges bilatéraux ayant atteint 130 milliards d’euros en 2023. Ces derniers ont été redynamisés en 2021 après avoir été drastiquement freiné par la pandémie. Les échanges sont essentiellement orientés sur les produits d’hydrocarbures, l’électricité, les produits chimiques, les cosmétiques, les produits métallurgiques et l’industrie agro-alimentaire[4]. La création d’une confiance mutuelle pourrait par conséquent renforcer la recherche et l’innovation dans les secteurs plus prometteurs comme l’intelligence artificielle, et ainsi offrir de nouvelles opportunités aux deux Etats. Avec par ailleurs des divergences sur l’axe franco-allemand, le couple italo-français a des cartes à jouer pour créer un partenariat stratégique et durable basé sur une confiance mutuelle.
Les intérêts réciproques sont en effet importants : la France est actuellement le 1er investisseur en Italie avec un stock d’IDE de 87,3 milliards d’euros et le deuxième employeur étranger (289.000 emplois), elle y compte également plus de 1800 filiales[5]. L’Italie, quant à elle, est le 5ème investisseur étranger en France avec un stock d’IDE d’environ 50 milliards d’euros. L’Italie compte également des participations dans plus de 2000 entreprises en France.
La coopération franco-italienne se démontre également sur de grands projets comme la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin qui permettra le report d’une part importante du trafic de marchandises traversant les Alpes franco-italiennes, de réduire les impacts environnementaux du transport routier et de réduire le temps de trajet d’un pays à l’autre. On peut également citer le programme French-Italian Young Leaders porté par BPI France et la Caisse des dépôts et des prêts italienne visant à créer un réseau de professionnels à haut potentiel qui contribueront à créer et à développer les relations transalpines. Par ailleurs, dans le cadre de la mise en œuvre des plans de relance et de résilience et des grands projets d’intérêt européen commun IPCEI (PIIEC projet Important d’Intérêt Européen Commun), la France et l’Italie vont lancer des coopérations industrielles dans plusieurs secteurs stratégiques comme l’hydrogène, le cloud, la microélectronique, la santé et l’espace.
Dans le secteur culturel, les affinités restent fortes, comme le montre l’augmentation du nombre d’étudiants faisant la navette entre les deux pays. Les deux pays ont des offres universitaires et scientifiques très riches et abritent parmi les plus anciennes et prestigieuses structures d’enseignement supérieur comme la Sorbonne ou l’Université de Montpellier en France, les universités de Bologne, de Padoue ou de Naples en Italie. Certains modèles, comme les Écoles Normales Supérieures de Paris et Lyon et la Scuola Normale Superiore de Pise, le CNRS en France et le CNR (Consiglio Nazionale della Ricerca), en Italie, sont étroitement liés et proches. La circulation d’idées et les contacts entre chercheurs et étudiants des deux pays sont constants, aussi bien en termes de mobilités que de projets de recherche communs, lesquels se situent aujourd’hui dans un cadre européen[6]. La France est en effet la deuxième destination des étudiants italiens (+15% entre 2014 et 2019) et l’Italie la quatrième destination des étudiants français (+32% entre 2014 et 2019)[7]. L’Italie et la France offrent aujourd’hui plus de 340 doubles diplômes dans toutes disciplines[8]. Les Italiens sont par ailleurs la 3ème nationalité parmi les doctorants étrangers en France. On peut citer à ce sujet l’Université Franco-Italienne (UFI) qui vise à promouvoir la collaboration universitaire et scientifique entre la France et l’Italie à travers la publication de différents appels à projets[9]. Dans le cinéma, le théâtre et les arts en général, les collaborations sont également nombreuses.
Pour résumer, malgré les contradictions il existe certainement un terrain d’entente entre les deux nations, avec une relation capable de regarder vers l’avant.
Les dirigeants français et italiens ont souvent entretenu des relations politiques complexes. Bien qu’ils partagent de nombreux intérêts communs, tels que l’Union européenne, la Méditerranée, la défense du Sud de l’Europe ou l’OTAN, ils ont connu nombre de désaccords sur des questions telles que l’immigration et les politiques économiques. Ces dernières années, les tensions ont augmenté en raison des controverses sur les flux migratoires en provenance d’Afrique et du Moyen-Orient ainsi que des différences d’approche de la gestion de la pandémie de la COVID-19. Cependant, les deux pays continuent à travailler ensemble sur diverses initiatives et maintiennent des relations diplomatiques étroites malgré leurs différences idéologiques et politiques. La France et l’Italie collaborent également de très près en matière de lutte contre le terrorisme, principalement pour le partage d’informations en temps réel, les deux pays étant potentiellement visés par des attaques.
A l’image du jumelage unique entre Paris et Rome, d’où la devise « Seule Paris est digne de Rome, seule Rome est digne de Paris »[10], les deux pays apparaissent comme étant extrêmement liés l’un à l’autre comme des frères et sœurs ayant souvent des désaccords tout en restant inséparables.
[1] Acquisition de Carte Noire de la part de Lavazza et de Grand Marnier part Campari
[2] Publication du ministère de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique : Relations économiques bilatérales France-Italie
[3] Déclaration de l’ambassadeur français en Italie Martin Briens pour le journal IlSole24ore
[4] En 2022, la France dégage avec l’Italie un excédent commercial de 1,4 Md€, une première depuis 20 ans. Cependant, hors énergie, la France enregistre un déficit commercial de -10 Md€.
[5] Publication du ministère de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique : Relations économiques bilatérales France-Italie
[6] Communication de l’ambassade de France à Rome sur le thème de la coopération universitaire 2022
[7] Idem
[8] Liste disponible sur le site de l’Institut français d’Italie : https://www.institutfrancais.it/
[9] Voir les programmes Vinci et Galilée
[10] Slogan du jumelage de Paris et Rome le 30 janvier 1956