Le président russe Vladimir Poutine (G) s'entretient avec le secrétaire général de l'OTAN Jaap de Hoop Scheffer (R) lors de leur réunion à Moscou, le 26 juin 2007. La Russie a mis en garde l'OTAN contre les politiques unilatérales qui pourraient déstabiliser la sécurité sur le continent européen, mais a accepté de continuer à parler sur profondes divisions entre les anciens ennemis de la guerre froide. AFP PHOTO/ POOL/ ALEXANDER NEMENOV
La guerre détruit l'Ukraine et son peuple. Mais elle n’est pas sans séquelles en ce qui concerne l'Europe. Pour la première fois depuis 1980, l'inflation y présente un problème sérieux. On vit plus mal qu'il y a un an. Pourtant, le plus difficile est que les perspectives de la situation sont tout sauf optimistes. La guerre devient positionnelle, avec au moins une centaine de personnes qui meurent chaque jour d'un côté ou de l'autre. Le plus gros problème est que le conflit va durer. Les Russes sont entrés en Syrie en 2017, et ils y sont toujours aujourd'hui, même si les combats se sont effacés des unes des journaux. La situation s'est également quelque peu calmée, car la Russie ne peut se permettre de mener la guerre sur deux fronts.
Néanmoins, la dimension tragique de la guerre, c’est que l'attaque de Poutine est logique. Et qu’elle était prévisible, tout en pouvant être évitée. C'est un fait simple, qu’on peut saisir à la manière d'un syllogisme. L'Ukraine réussit maintenant à se défendre parce que les mécanismes de l'aide militaire ont été déclenchés. Cela a commencé par la visite des trois premiers ministres, Morawiecki, Fiala et Janša à Kiev le 15 mars 2022. Ce voyage était plus qu'une expression de solidarité avec le peuple ukrainien. Il a marqué le changement dans l'équilibre des forces, car l'Europe de l'Est a démontré à l'Ouest comment réagir dans la situation délétère et surtout, de quelle façon se tirer du dilemme typiquement cornélien. Depuis lors, le noyau de l'Europe, la transversale Bruxelles-Berlin-Paris, a été plus motivée pour fournir une assistance militaire. Il y a eu, en conséquence, un tournant qui a permis à l'Ukraine (avec l'aide des États-Unis et de la Grande Bretagne) non seulement de neutraliser la pénétration militaire russe, mais aussi de mener à bien quelques contre-offensives à l'automne 2022. La conclusion qui en découle est la suivante : si la Commission européenne avait communiqué clairement et sans équivoque à Poutine, en janvier 2022, qu'elle soutiendrait militairement l'Ukraine en cas d'agression, Poutine n'aurait pas osé entrer en guerre. Le risque aurait été trop grand.
La politique de l'Europe occidentale a ainsi gaspillé l’occasion historique, il y a un an, de tuer l'agression russe dans l'œuf et, ce faisant, de s'épargner toutes les conséquences que le vieux continent supporte désormais. Ce n'est pas la première fois dans l'histoire récente que cela se produit. Une réaction similaire a eu lieu en 1938, lors de la signature de l'accord de Munich. Le même genre de classe politique, aussi candide que possible, l’avait proclamé être une garantie de paix. Mais c'était, de fait, un prélude à la guerre.
L'axe Bruxelles-Berlin-Paris, qui gouverne de facto le vieux continent, a démontré dans le cas de l'Ukraine son incapacité à sauvegarder les intérêts vitaux des citoyens. Le Qatargate n'est qu'une indication extérieure que les responsables sont manifestement préoccupés par leurs propres intérêts, et non par ceux de la communauté. En ce sens, avec l'arrestation de la vice-présidente du Parlement européen avec « son stuff » on n’a vu que la partie émergée de l'iceberg. 75% des décisions prises par le Parlement européen sont notamment le résultat du travail des lobbyistes en coulisses. Ceux-ci proviennent, dans une large part, des multinationales américaines, déjà submergées par l'idéologie du " woke ". Il s’agit de la combinaison du marxisme et du consumérisme libéral-libertaire. On revit essentiellement la révolution de 1968, c'est pourquoi le vieux continent semblerait avoir atteint le point de non-retour.
Pour bien comprendre les facteurs qui ont conduit à la position pat (l’échiquier), on devrait remonter dans le temps. Vladimir Poutine a cherché à s’approcher de l'OTAN et de l’UE en 2001, mais ses intentions n'ont pas été prises au sérieux. Il l'a fait parce que la Russie était alors défaillante face à l'Europe et à l'OTAN. L'Europe était pleine de vigueur à l'époque et l'a ignorée hautainement. Aujourd'hui, la situation est différente : la Russie est restée aussi faible qu'avant, mais l'Europe a perdu en vigueur, de sorte que l'équilibre a été rétabli. C'est la période entre l’année lorsque Poutine a exprimé le désir d’adhérer aux organisme transatlantiques et à l’UE (2001) et les invasions russes sur le sol de l'Ukraine (2014-2022) qui est un indicateur objectif du déclin de la puissance européenne. Depuis l'occupation de la Crimée, le continent s’est concentré de plus en plus sur sa propre dévastation.
Après l'occupation russe de la Crimée, la politique occidentale a notamment passé son temps à s'occuper des groupes LGBT+, à opprimer la Pologne et la Hongrie, à gérer si maladroitement que possible les conséquences de l’arrivée des millions de migrants dont le raz-de-marée a elle-même provoqué. Elle se comportait comme si elle vivait dans un monde de réalités parallèles. Étant donné le degré de paralysie interne qui a prévalu à Bruxelles, Berlin et Paris (jusqu'au) 24 février 2022, l'idée d'occuper les territoires frontaliers de l'Union paraît une chose tout à fait naturelle. Si vous ne poursuivez pas l’expansion, c’est un autre qui le fera à vos dépens. La guerre n'est que la conséquence logique d'un tel déraillement. La faiblesse est la condition que l'adversaire exploitera en premier. Si cette règle s'applique dans l'ordre inférieur des vivants, à plus forte raison se confirmera-t-elle dans l'ordre supérieur, de la société.
Car l'Europe est devenue une quantité négligeable, une note en bas de page. Dmitry Evstafiev, politologue et l'une des personnes qui façonnent l'opinion publique en Russie, a récemment accordé une interview au quotidien tchèque Denik. Il y a parlé sans scrupule : « Pendant que vous vous moquiez de nous et que vous nous méprisiez, une nouvelle Russie a été créée, une Russie totalement non-soviétique, une Russie qui n'a rien en commun avec l'image du passé ». Il a poursuivi de manière encore plus inquiétante : « Une Russie est née, qui montre clairement qu'elle ne considère pas l'Europe comme partenaire. Nous n'avons que trois partenaires : les États-Unis, la Chine et l'Inde. Pour nous, vous êtes le butin de guerre que nous partageons avec les Américains. L'Europe ne l'a pas encore compris, mais elle y arrivera ».[1]
À l'heure actuelle, il est bien sûr impossible de prédire l'avenir, mais une chose est sûre : le monde qui a été intensément mis sens dessus dessous a fini là. Le 24 février 2022 est le rappel que l'histoire n’a pas dit son dernier mot : que des concepts tels que le sang, la terre, la nation, l'armée, le pays n'ont pas été dépassés. C'est un rappel que certains des problèmes qu’on a gonflés dans les sociétés d'abondance autour des pailles en plastique, des centrales thermiques, du faux humanitarisme concernant les migrants et le reste s'estompent lorsque les bombes commencent à tomber. On voit les choses plus clairement maintenant. On constate surtout le suivant. Le néo-marxisme culturel que l'Occident a encouragé pendant des décennies, s'est allié avec succès à l’idéologie du Kremlin lorsqu'il s'agit de détruire la substance nationale de l'Europe et de ses peuples. Dans ce domaine, les deux idéologies ont trouvé un allié improbable. Le Vatican a assisté à la chute de l'Occident (2013-) sans dire un mot pour le défendre. Au contraire, Le Saint Siège l'a involontairement encouragée par sa politique contradictoire en matière d'immigration clandestine. La Ville éternelle n'a pas non plus envoyé un seul mot de protestation lorsqu'il s’agissait de persécuter le christianisme au plus haut niveau de la politique bruxelloise, par exemple dans la circulaire de la commissaire Hélène Dalli, proposant de supprimer les noms chrétiens du vocabulaire public, ainsi que les jours fériés qui sont lié au christianisme (« Les Directives internes 2021 »). Il suffit de comparer l'engagement de Jean-Paul II avec celui de l'actuel François 1 pour voir la différence.
Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Il y a trois décennies, l'Europe était dirigée par une classe politique différente. À cette époque, elle s'unissait et les Russes battaient en retraite (1990-1992). En Allemagne, le chancelier Helmut Kohl était au pouvoir. L'Europe s’est mise sur la mauvaise voie dans la période qu’on appelle l'ère d’Angela Merkel. La chancelière a représenté la rupture radicale avec la politique classique des démocraties chrétiennes allemande et européenne. Son époque (2005-2021) signifie la mise en œuvre du modèle radical de transition écologique, en même temps que l'escalade de la révolution anthropologique, dans l’ampleur à laquelle l'Occident n'a jamais été exposé (LGBT+, révision du rôle historique de l’homme européen). L'Allemagne, dirigée par le nouveau type de démocrates-chrétiens, compense son déficit énergétique en important du gaz oriental. Le pays devient dangereusement dépendant de l'énergie russe. Le Kremlin finance en cachette de nombreux mouvements écologiques qui applaudissent la transition verte. Ils encouragent la pression sur le secteur nucléaire, et surtout sur les centrales thermiques. Berlin (et Bruxelles) ne se rend compte à quel point tout cela apporte de l'eau au moulin de Moscou que lorsque l'armée russe commença sa marche vers l'ouest via l'Ukraine. Et lorsque la politique comprend que les appétits du Kremlin peuvent viser n'importe quel pays européen, à commencer par ceux qui sont les plus à l'est. Par les régions de l’Allemagne, par exemple, qui faisaient partie de l’empire soviétique avant la réunification en 1990.
Et la solution ? Elle découle de l'analyse ci-dessus. L'Occident devrait revenir à l'époque de la normalité et oublier les aberrances actuelles. Les Chinois, qui gagnent en puissance, apprennent de nos erreurs. Ils ont banni tout ce qui ressemble à la décadence occidentale. Nous pouvons - pour une fois, exceptionnellement - les devancer aussi. Commençons à apprendre de nos erreurs en les supprimant. Une partie de cette évolution est déjà en cours : la Pologne prend de plus en plus l'initiative politique à l’intérieur de l’UE. Avec une social-démocratie renaissante de type scandinave plutôt qu'allemand, de nouvelles alliances pourraient se former. Elles ont le potentiel d’assurer la future subsistance du vieux continent.
[1] Denik, le 11 mars 2022.