Des militaires ukrainiens tirent avec une artillerie lors d'un exercice anti-drone dans la région de Tchernigiv, le 11 novembre 2023. Photo : Sergei SUPINSKY / AFP.
Moins d’un mois après « The Economist », magazine d'actualitébritannique considéré comme un des hebdomadaires les plus influents du monde anglo-saxon[1], Foreign Affairs, magazine leader du domaine géopolitique et des relations internationales, constate aussi que la contre-offensive a échoué et recommande à l’Ukraine de changer de stratégie. Cette publication reprend des arguments avancés par le chef d’Etat-Major des Armées ukrainien,[2] le General Valery Zaluzhny, qui, le 1er novembre, dans un interview à « The Economist » a rompu avec la ligne officielle en admettant que : la guerre est dans une impasse[3], mettant ainsi en lumière sur la place publique le différend qui l’oppose au chef de l’État Zelensky.
En effet, Foreign Affairs[4]propose dans sa livraison du 17 novembre 2023, une nouvelle stratégie diplomatico-militaire pour l’Ukraine titrée très diplomatiquement : « redefining sucess in Ukraine », « for must balance means and end ». Constatant que l’objectif de reconquête des territoires perdus était inatteignable avec les moyens dont disposait l’Ukraine, ce que je n’ai cessé d’affirmer depuis avril 2023[5], Foreign affairs admet : « Russia has actually gained more territory in 2023 than Ukraine has. ».
Les auteurs en tirent la conclusion que l’Ukraine doit stopper toute action offensive et choisir une stratégie défensive car : « L’approche actuelle de Kiev est basée sur des coûts élevés et des perspectives faibles, ce qui place les Ukrainiens dans la position délicate de demander une aide occidentale illimitée au nom d’un effort avec des chances de succès décroissantes »[6]. Ils suggèrent que Kiev propose un cessez-le feu pour entamer des négociations, tout en espérant que Poutine le refusera ce qui permettrait de continuer à le diaboliser.
Pour les auteurs, l’intérêt de changer de stratégie permettrait : « de sauver des vies et de l’argent à l’Ukraine et de réduire ses besoins en matière de défense de l’Occident, ce qui pourrait s’avérer essentiel si le soutien des États-Unis tombe et que l’Europe porte le fardeau[7]. L’Ukraine serait sage de consacrer ses ressources à sa sécurité et à sa prospérité à long terme au lieu de les dépenser sur le champ de bataille pour peu de gain ».
Bien plus, « l’émergence de l’Ukraine en tant que démocratie prospère et résiliente, capable de se défendre, constituerait une défaite retentissante de l’ambition russe ».
Cet avenir radieux m’apparait encore bien plus éloigné de la réalité que tenter de regagner du terrain par une action militaire, tant l’oligarchie qui dirige l’Ukraine est corrompue. Le plus intéressant dans ce paragraphe c’est la petite musique que l’on entend depuis deux mois dans les journaux britanniques et américains : les anglo-saxons estiment en avoir assez fait pour l’Ukraine et pensent que c’est désormais à l’UE de supporter seule le poids de ce conflit. En lisant entre les lignes cela pourrait signifier que Londres et à Washington considèrent avoir atteint leur objectif : geler voire interdire toute alliance économique et stratégique de l’Atlantique à l’Oural avec la complicité des dirigeants vassaux européens qui eux trahissent les intérêts de leurs citoyens.
En effet, les auteurs[8] estiment que Zelensky n’acceptera de changer de stratégie que si la perspective qu’on lui offre en remplacement est suffisamment attrayante. Aussi, ils proposent « d’adoucir ce qui serait une pilule amère pour les Ukrainiens. Les États-Unis et certains membres de l’OTAN (une coalition d’amis de l’Ukraine) devraient s’engager non seulement à fournir une aide économique et militaire à long terme, mais aussi à garantir l’indépendance de l’Ukraine. Cet engagement s’inspirerait de l’article 4 du Traité de l’OTAN, qui prévoit des consultations immédiates lorsque « l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité » d’un membre est menacée. L’Union européenne, qui a récemment annoncé son intention d’entamer des négociations d’adhésion avec Kiev, devrait accélérer le calendrier d’adhésion de l’Ukraine et lui proposer un accord spécial UE-lite dans l’intervalle. Les alliés occidentaux devraient également préciser que la plupart des sanctions contre la Russie resteront en place jusqu’à ce que les forces russes quittent l’Ukraine et qu’elles aideront l’Ukraine à rétablir son intégrité territoriale à la table des négociations ».
Foreign affairs esquive de traiter la question de la gouvernance de l’Ukraine qu’à mise en lumière le différend stratégique et politique entre Zelensky et son chef d’état-major ainsi que sa décision de reporter l’élection présidentielle ukrainienne, prévue en 2024, au prétexte qu’il est difficile, en temps de guerre, d’organiser des élections, probablement pour empêcher Zaluzhny, plus populaire que lui, de se présenter. Alors qu’au contraire, en Russie, Vladimir Poutine, présenté à l’Ouest comme un dictateur affaibli, maintient l’élection présidentielle prévue constitutionnellement en mars 2024, à laquelle il compte se représenter.
Cette situation politique à front renversé ne semble pas gêner la grande démocrate qui dirige la commission européenne et qui a déclaré le 14 septembre 2022 à Strasbourg que la guerre d’Ukraine était « Une guerre de l'autocratie contre la démocratie »[9]. Désormais on peut malicieusement se demander à qui attribue-telle ces qualificatifs ?
[1] dont les actionnaires sont plusieurs des plus grandes fortunes du monde : la famille Agnelli avec une participation des familles Rothschild, Cadburry et Shroders https://www.economist.com/leaders/2023/09/21/ukraine-faces-a-long-war-a-change-of-course-is-needed
[2] https://www.economist.com/europe/2023/11/01/ukraines-commander-in-chief-on-the-breakthrough-he-needs-to-beat-russia
[3] « General Valery Zaluzhny admits the war is at a stalemate »
[4] https://www.foreignaffairs.com/ukraine/redefining-success-ukraine?utm_medium=newsletters&utm_source=fatoday&utm_campaign=Redefining%20Success%20in%20Ukraine&utm_content=20231117&utm_term=FA%20Today%20-%20112017
[5] car j’étais sûr que Washington ne prendrait jamais le risque de mettre la Russie en difficulté afin que Poutine ne soit tenté de nucléariser le conflit pour défendre les oblats annexés et effectivement dès le début du conflit Biden a donné comme consigne au Pentagone : « give Ukraine enough to survive but not enough to win »
[6] . Kyiv’s existing approach is one of high costs and low prospects, putting Ukrainians in the awkward position of asking for open-ended Western assistance on behalf of an effort with diminishing chances of success
[7]. Cette hypothèse de désengagement anglo-saxon a été déjà évoqué par The Economist : Pourtant, il faut aller plus loin. Si M. Trump gagne en 2024, il pourrait réduire l’aide militaire américaine. Même s’il perd, l’Europe devra finalement porter plus de fardeau. Cela signifie renforcer son industrie de la défense et réformer le processus décisionnel de l’UE afin qu’elle puisse gérer plus de membres. » https://www.economist.com/leaders/2023/09/21/ukraine-faces-a-long-war-a-change-of-course-is-needed
[8] RICHARD HAASS is President Emeritus of the Council on Foreign Relations and a senior counselor at Centerview Partners. He is the author of The Bill of Obligations: The Ten Habits of Good Citizens.
CHARLES KUPCHAN, a Senior Fellow at the Council on Foreign Relations and Professor of International Affairs at Georgetown University, served as Senior Director for European Affairs on the National Security Council during the Obama administration. He is the author of Isolationism: A History of America’s Efforts to Shield Itself From the World
[9] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/speech_22_5493