L’ONU tient le mois prochain son sommet mondial d’examen de la mise en œuvre du Programme 2030. Il portera essentiellement sur un changement de cap des politiques mondiales du développement économique visant la concrétisation des ODD arrêtés en 2015. Le rapport préliminaire de révision illustre que les pays de la planète n’ont réalisé qu’un minimum de progrès à ce niveau - uniquement 12%- alors qu’ils sont à mi-parcours de leur achèvement. Nous nous proposons alors dans cet article de discuter des conditions qui en sont la cause et des procédés à adopter en vue de rectifier les politiques économiques, de les aider à remonter leurs pentes et à créer une plateforme capable de réaliser le maximum possible des objectifs du développement durable d’ici 2030.
J’ai une pensée ici pour l’envoyé spécial des Nations Unies, le responsable de l’agenda de financement du développement durable 2030 et l’ancien premier vice-président de la Banque mondiale, mon cher ami Dr. Mahmoud Mohieddine, à qui revient le mérite- en braquant son regard sur le monde de la position qu’il occupe- de soulever le débat au sujet de la politique économique, des objectifs du développement durable et des défis qu’affronte ce qu’il a nommé « la localisation du développement » qui a fait le titre de nombre de ses articles à ce propos. En fait il est -à ce que je pense- important et indispensable d’en débattre si jamais nous assumons la responsabilité de notre avenir.
L’Etat et le marché
Le marché est l’essence même de l’économie. C’est son activité qui détermine l’allocation des ressources selon les diverses utilisations de manière à établir la relation entre l’offre et la demande de façon équilibrée; comme c’est lui qui y fixe- selon le partage du travail en vigueur- les taux des divers facteurs de production dont les bénéfices, les salaires et les rentes. Son activité pourrait être gérée par les règles de la concurrence ou par le gouvernement et ses arrêtés administratifs. Dans des cas extrêmes, l’Etat se substitue au marché. Sur le plan pratique, les règles de la concurrence complète et de la transparence absolue sont de simples outils théoriques de mesure, d’analyse et d’évaluation. Dans la réalité des faits, la concurrence prend la forme d’applications relatives. L’on pensait- selon la théorie de Adam Smith, que les lois de la concurrence parfaite sont capables à elles seules de créer une situation d’équilibre économique durable. Il a forgé l’expression de « main invisible » pour désigner la force qui la garantisse. L’ancien président de la Réserve fédérale des États-Unis Alan Greenspan est considéré comme le dernier des anciens grands économistes qui ont conservé la thèse de la « main invisible » jusqu’à la crise financière de 2008. Et sa politique en fut partiellement responsable: dans son témoignage devant le Congrès américain, il a déclaré son abandon de la théorie de la « main invisible ». Il y a reconnu que le système bancaire et financier ont échoué à s’auto-discipliner au point que l’intervention du gouvernement pour établir l’équilibre du marché devienne nécessaire. C’est le Secrétaire au Trésor du temps d’Obama, Lawrence Henry Summers qui prit effectivement à sa charge cette responsabilité. Néanmoins, la ligne de démarcation entre la concurrence complète et l’intervention gouvernementale reste floue et flexible au point que le gouvernement- sous prétexte de la concurrence- se prend comme le substitut du marché ! La politique économique définit la relation entre le gouvernement public et le marché. C’est le gouvernement public qui endosse la responsabilité de dresser la politique économique et de superviser sa mise en exécution. Et, quoi qu’il englobe les trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, il ne peut jamais être réduit à une seule personne ou à un seul de ces trois pouvoirs. Ce phénomène se rencontre dans les pays d’un niveau politique médiocre ou d’un régime corrompu où les trois pouvoirs sont à la mesure d’une seule personne ou identité. Dans ce cas, la relation entre le gouvernement et le marché se détériore qu’il se forme à l’intérieur du marché une catégorie en relation de partenariat et de gain avec le gouvernement. L’histoire économique abonde de maintes exemples d’échec du gouvernement que nous pouvons - du point de vue rhétorique- nommer « Etat», exigeant ainsi le lancement des forces de compétition sur le marché afin de remédier à de tels échecs. En outre, dans des cas contraires, le marché et les lois de la compétition pourraient faillir à réaliser la situation d’équilibre. Les exemples d’échec de l’Etat abondent dans l’histoire économique de l’Egypte dont la récurrence des crises économiques, la pénurie des denrées alimentaires sur le marché et la rareté des devises étrangères dans les années 50 et 60 du siècle dernier au point que des produits de base y ont disparu tels l’huile, le sucre, le blé, le maïs et même « le papier bible » utilisé pour rouler les cigarettes. En outre, l’histoire économique nous offre des exemples d’échec qui prennent la forme de plusieurs phénomènes qui ont coïncidé avec la politique de l’ouverture économique jusqu’à gérer les projets selon des procédés et des motifs qui visent à remporter des gains rapides par l’arnaque, l’escroquerie et le vol, à partager le marché selon des accords monopolistiques non déclarés, à disséminer des actions parasites et à créer des crises afin de les muter en de bonnes opportunités de réalisation de bénéfices par les groupes d’intérêt. Il s’avère donc indispensable en cette époque contemporaine de bouleversement international de revoir, à la lumière de thèses applicables et contrôlables, la relation entre le gouvernement et le marché à travers le recensement et l’analyse des remarques et le test et la restructuration des politiques qui les ont produites. Cette opération méthodique s’inscrit dans le cadre des études de l’évaluation de la politique économique et vise à la soumettre au contrôle scientifique et de la rectifier selon les résultats obtenus.
Les critères d’évaluation de la politique économique
Actuellement, il n’est pas simple ou aisé d’évaluer la politique économique: il faut au préalable fixer les critères à prendre en considération pour émettre un tel jugement. Nous avons appris que la politique économique constitue la relation établie entre le gouvernement public et le marché. Son évaluation doit être fondée en premier sur ses hypothèses et ses objectifs. Néanmoins, elle n’écarte pas une estimation de la conformité des buts et priorités aux exigences de la conjoncture dominante : leur mauvaise définition engendre - comme nous enseigne l’histoire économique- l’échec d’une politique économique donnée. Celle-ci est jugée positive ou négative selon les résultats obtenus au terme de la mise en exécution d’un objectif fixé. L’examen et l’évaluation de la performance d’une politique économique repose sur ses quatre piliers : la politique financière, monétaire, commerciale et organisationnelle du marché du travail. Et si j’ajoute ici ce dernier type de marché c’est par reconnaissance de son importance aux premières étapes de développement, de mutation et de transition. Et. Comme la relation entre l’Etat et le marché est l’armature de la politique économique, il est logique qu’elle se caractérise également par sa relation aux outils, procédés et mesures d’organisation des champs de cette relation à l’avenir. Une confusion nait par conséquent entre la politique et la gestion qui nécessite un éclaircissement : la « gestion économique » revient au présent et à la relation établie entre l’Etat et le marché alors que la « politique économique » s’attache à « l’avenir » : en d’autres termes, la première s’opère selon les lois, les règlements et les mesures effectivement en place, alors que la seconde projette les règles stratégiques opérationnelles à l’avenir soit en arrêtant un resserrement accru de l’étau de l’Etat ou son relâchement en autorisant une plus grande liberté d’action des lois du marché spontané.
Dans ce contexte, la responsabilité majeure du politicien serait de fixer les grands objectifs de la politique économique. Cette opération ne se fait pas dans le vide mais est sujette à un certain nombre de conditions strictes sur les deux plans intérieur et extérieur comme à un calendrier rigoureux et au motif de leur création et si jamais ils visent à maintenir un équilibre économique déjà en place ou à assurer son virage lors d’une des périodes de transition ou de transmutation. Vu les circonstances critiques que traverse le monde de nos jours, il incombe aux politiques économiques locales - afin de trouver leur place dans de train de la transition mondiale qui n’attendrait jamais les retardataires ou les fautifs- de ne pas omettre de vue quatre objectifs primordiaux: la transition vers l’énergie verte et l’abandon des combustibles polluants, la création de l’aptitude à endurer les chocs urgents économiques, écologiques et géopolitiques, la construction des capacités concurrentielles à long terme suffisantes pour une insertion dans les chaînes de production et de fourniture internationales et fonder en dernier lieu une société de parité des chances, de transparence, d’institutions et d’Etat de droit.
Définir la politique économique dans un monde chaotique génère un débat houleux à son propos surtout avec l’absence des réalités et celle –parfois faibles- des critères de la transparence et de la gouvernance. Les valeurs deviennent vagues, les parcours se recoupent pour diverger ensuite, les intérêts se brouillent, des tendances protectionnistes s’érigent, les ponts du mondialisation libérale sont abattus et l’Etat reprend un rôle déjà abandonné en s’appropriant les caractéristiques de la création de la richesse et a recours à adopter des lois et des mesures protectionnistes en vue de monopoliser les fruits- quoique minimes- du marché local fermé pour qu’elle tombe- même libérale- sous la coupe de l’influence et du pouvoir des groupes d’intérêts particuliers. Le débat à propos de la politique économique devient, dans beaucoup de pays du monde, victime de ce que nous pouvons appeler un discours politique et médiatique superficiel, stupide et inculte qui prendrait la forme de paroles prolixes de mobilisation politique. Et comme un tel discours pourrait avoir des répercussions négatives sur l’avenir, il est indispensable de le réformer et de ne pas le laisser sévir dans l’Etat tel un feu déclaré qui consume tout sur son passage.
Une politique économique basée sur le savoir
Afin que le débat à propos de la politique économique soit sur la bonne voie dans l’intérêt de l’avenir et des générations futures, il nous importe de prendre comme référence un certain nombre de critères concordants avec les moteurs de changement qui conduisent vers une société où règnent les valeurs de la liberté, de la justice, de la parité des chances et du bonheur pour les individus et les communautés. Et, pour garder la route et échapper à toute velléité de détournement du droit chemin activé par des catalyseurs idéologiques, hiérarchiques, religieux, dogmatiques, ethniques ou régionales il importe de se barricader derrière la science et le savoir, le contrôle, la responsabilisation et la transparence de la gouvernance : ces outils capables de traiter avec le virage et ses retombées. Les Nations Unies ont forgé une formule géniale du processus d’élaboration de la politique économique qui doit être basée sur la science, le savoir et l’interaction sociale « Science- Politique- Société» considérée comme un conglomérat et un réseautage loin de toute linéarité entre la science, la politique et la société.
Le duel entre l’ancien et le moderne ou le bien et le mal est le trait distinctif du chaos mondial qui nous engloutit . Nonobstant, des exploits cognitifs inouïs sont susceptibles d’être accomplis afin de faciliter la transition du monde de l’époque du chaos à celle de la stabilité, de la paix et du bonheur dans toute la planète ; cette nouvelle ère témoignera de deux types de coopération: la première entre l’homme et la nature qui ne sera plus l’objet de son agression et de son épuisement pour constituer son seul chemin vers l’évolution et la richesse; la seconde est entre l’Homme et son semblable où sera enterrée la tentative des groupes d’intérêts particuliers de doubler leurs richesses au dam des crises des autres ou d’engendrer expressément des crises pour en tirer profit. A vrai dire, le conflit entre l’homme et la nature a légué des conséquences désastreuses ; c’est pourquoi, nous ne devons jamais lui permettre de s’éterniser jusqu’à arriver au point de non-retour. Les changements climatiques désastreux- les incendies, les inondations, les tempêtes, les pluies torrentielles, le réchauffement planètaire, la fonte de la banquise, la hausse à des niveaux sans précédent des mers et des océans - qui se succèdent, au cours de ces dernières décennies, à une vitesse vertigineuse représentent une menace réelle et non virtuelle à notre vie sur la planète. Et, avec le conflit entre l’homme et son semblable, nous vivons une propension à la hausse de la militarisation des relations internationales que les dépenses militaires ont brisé, pour la première fois, le plafond de 2 billions de dollars dont la moitié revient uniquement aux Etats Unis; parallèlement, une augmentation significative des dettes des pays en développement que le service de la dette engloutit à lui seul 20% du PIB annuel qui vont vers leurs bailleurs de fonds au grand dépit de leurs citoyens. Les disparités sociales et économiques se sont élargies à un niveau tel de manière à menacer la paix sociale et la sécurité interne dans les pays en voie de développement et à faire proliférer des vagues pessimistes de migration vers des pays offrant des opportunités d’emploi et une vie décente. Ces retombées négatives et sévères nous renseignent sur le risque énorme que représentent ces deux graves catalyseurs, représentés par les deux conflits engagés entre l’Homme d’une part et la nature et son semblable d’autre part, qui menacent le progrès du monde vers un avenir meilleur. Il est impératif que tous les peuples du monde travaillent ensemble en vue de neutraliser l’action de ces catalyseurs et d’en frayer la voie à d’autres positifs qui conduiront l’humanité à un avenir meilleur.