Mesut Hancer tient la main d'Irmak, sa fille de 15 ans, décédée lors du tremblement de terre de Kahramanmaras, près de l'épicentre du séisme, au lendemain d'un séisme de magnitude 7,8 qui a frappé le sud-est du pays, le 7 février 2023. Certaines des plus grandes dévastation se sont produites près de l'épicentre du séisme entre Kahramanmaras et Gaziantep, une ville de deux millions d'habitants où des blocs entiers sont maintenant en ruines sous la neige qui s'accumule. (Photo par Adem ALTAN / AFP)
La Turquie et la Syrie viennent d’être frappées par des violents séismes dont le bilan humain et matériel s’annoncent extrêmement lourd, peut être même plus grave que celui qui a dévasté la ville turque d’Izmit (Marmara) en août 1999. Nous avons tous tendance à voir dans ces évènements dévastateurs des « catastrophes naturelles ». Et c’est d’ailleurs qu’ils sont classés par les assureurs, à côté des inondations, Tsunamis et éruptions volcaniques. Cependant, si l’Homme ne sait pas (encore) provoquer des séismes et même ses activités industrielles, responsables pour le changement climatique et ses malheurs, n’ont rien à voir avec la tectonique des plaques, il est sans doute responsable, jusqu’à un certain point, pour le bilan. Car c’est l’Homme qui construit les immeubles et infrastructures endommagés et c’est encore lui qui organise le secours et la prise en charge des victimes. Dans nos sociétés organisées, dotées d’Etats et services d’urgence, une catastrophe naturelle n’est pas uniquement un malheur tombé du ciel, mais tout d’abord un « crash test » pour nos institutions. Car se sont souvent les bâtiments qui tuent les gens et non pas les tremblements de terre.
L’exemple le plus connu est celui de la ville de San Francisco. Avant d’être détruite presque totalement un séisme de 7,8 sur l’échelle de Richter en avril 1906, San Francisco était l’une des villes les plus prospères des Etats-Unis mais aussi les plus corrompus. Comme l’avaient établi clairement les procès contre les édiles ripoux, la corruption surtout concernant les normes de sûreté et la construction ont contribué au bilan humain de l catastrophe : 3000 morts. La leçon a été apprise, mais pas partout.
En août et novembre 1999, deux tremblements de terre importants ont frappé les régions de Marmara et de Düzce dans le nord-ouest de la Turquie. Le plus dévastateur a été celui de Marmara, d'une magnitude de 7,4. Trois ans plus tard, Bingöl, dans l'est du pays, a connu un autre séisme majeur (magnitude 7,2). Ensemble, ces trois événements catastrophiques ont fait plus de 40 000 morts détruisant quelles 300 000 habitations. Or, la catastrophe humaine qui a suivi chacun de ces catastrophes naturelles pourrait être attribuée en grande partie à l'intervention des autorités locales et nationales, en amont comme en aval.
Après le coup d'État des années 1980, le gouvernement turc dirigé par Turgut Özal, a lancé une grande réforme ouvrant la porte à une libéralisation et une mondialisation de l'économie. Ce passage rapide d’une économie dirigée vers une économie libérale de marché aurait bouleversé le secteur du bâtiment et travaux publique. Concrètement, une mise à disposition massive de terrains constructibles et le rôle crissant des entreprises et intérêts privés n’ont pas été suffisamment accompagnées par des instances et mécanismes régulateurs. Et, si tout le monde pouvait voir et admirer le développement rapides des villes comme Istanbul, ce qui était impossible à apercevoir était le système de corruption, d’accès privilégié aux marchés publics, de prêts bancaires injustifiés et autres pots-de-vin versés aux élus en postes stratégiques sans parler de contrôleurs et inspecteurs de sureté et de qualité de construction. Petit à petit un mélange de pratiques de corruption économique et clientélisme politiques a crée un véritable système. Des promoteurs peu scrupuleux se lancer sans permis sachant qu’il sera possible de se faire « pardonner » plus tard. Pire encore, certains construisaient sur le lotissement alloué plus d’étages que permettait le plan d’urbanisme comptant sur les « amnisties de délits de constructions » annoncés souvent à la veille des échéances électorales. Les lois et règlements restrictifs ont bel et bien existé et mise à jour régulièrement par des experts et des élus mais ils étaient tout simplement contournés par le « système. » De nombreuses entreprises de construction ont été fondées sans capitaux ni expertises comptant uniquement sur les liens étroits entre « l’entrepreneur » et ses amis bien placé dans les collectivités locales. Tout cela a fini par un désastre. Et l’homme identifié avec la catastrophe est le promeneur immobilier Veli Göçer, devenu le principal coupable après le tremblement de terre de Marmara. Le complexe immobilier qu’il a construit dans la ville de Yalova se sont effondrés lors du tremblement de terre du 17 août. Reconnu reposable pour la mort par négligence de 198 personnes, il a été condamné à 18 ans de prison. De plus de 6000 personnes jugées paour leur responsabilité dans le bilan humain catastrophique c’est lui qui a écopé de la peine la plus lourde.
Et ce qu’il a dit dans son procès nous apprend beaucoup sur les conséquences de ce « système ». « J'ai commencé à construire le complexe à Yalova il y a environ six ans, expliquait Veli Göçer aux juges. « Je n'avais aucune idée de la construction, ajoutait-i. J'ai étudié la littérature à l'école. Je suis un poète, pas un ingénieur en bâtiment. Je me souviens avoir visité mon premier chantier de construction. J'ai vu des ouvriers utiliser du sable de plage pour fabriquer du béton. Lorsque j'ai posé des questions à ce sujet, les architectes m'ont répondu que c'était tout à fait normal. Ce n'est que plus tard que j'ai appris que c'était une pratique totalement erronée et dangereuse. J'ai donc ordonné l'arrêt de cette pratique dégoûtante. Malheureusement, la moitié du complexe était déjà terminée. ».
L'une des conclusions notables des équipes d'ingénieurs qui ont analysé les conséquences le tremblement de terre est qu'un nombre disproportionné de structures qui ont cédé lors des catastrophes de 1999 ont été nouvellement construites.
Plus de vingt ans plus tard, les images terribles des villes turques touchées avec les immeubles d’habitations qui s’effondre sur leurs habitants comme des châteaux de cartes, laisseraient croire que certaines pratiques n’ont pas été éradiques. Cette catastrophe aussi pourrait se révéler pas si naturelle que ça.