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Progressisme

L’affaire Jeffrey Epstein ne sera jamais close

Photo: Shotmug lors
Photo: "Shotmug" lors de l'arrestation de Epstein. (c) FDC

Le 10 août 2019, l’homme d’affaires américain Jeffrey Epstein est retrouvé mort, pendu dans sa cellule de Manhattan. Son suicide allait mettre fin à l’action publique engagée à son encontre pour exploitation sexuelle de mineures et association de malfaiteurs. Son procès qui l’exposait à près de 45 années d’emprisonnement n’aura donc jamais lieu. Cette affaire a révélé au monde un incroyable réseau de prostitution de jeunes filles, dont la plupart étaient des mineures. Elle a mis en lumière également une mansuétude évidente du système judiciaire américain, mais aussi du milieu professionnel et personnel que fréquentait Jeffrey Epstein, à savoir les personnes les plus influentes du moment aux Etats-Unis. C’est cette mansuétude qui a donné lieu à de nombreuses polémiques et théories car la question qui reste globalement ouverte à date est la suivante : hormis Jeffrey Epstein, est-ce que d’autres personnes ont usé, en tant que « clients », de ce réseau de prostitution ? La mansuétude dans ce contexte est forcément suspicieuse. Des noms ont déjà circulé avec ou sans accusation à la clé. D’autres noms sont attendus car la justice américaine a décidé de publier une série de documents issus de l’un des procès à l’encontre de la principale complice de Jeffrey Epstein, Ghislaine Maxwell. Les premiers documents ont été publiés en ce début d’année. D’autres suivront à la fin de ce mois de janvier.

Jeffrey Epstein, parti de rien, possède à la fin des années 90 une fortune estimée à environ 700 millions de dollars

Jeffrey Epstein a grandi à New-York et a commencé sa carrière en enseignant les mathématiques et la physique dans une école huppée de Manhattan. Au travers des contacts qu’il établit auprès des parents d’élèves, il trouve l’opportunité de changer totalement d’orientation professionnelle en rentrant dans une banque d’affaires. Très rapidement, comme beaucoup dans les années 80, il devient un « as » de la Finance. En 1982, il crée sa propre structure et vend ses services auprès de riches investisseurs. Le énième « loup de Wall Street » sait également comment faire fructifier sa propre fortune avec habileté. Il a le vent en poupe et son activité lui permet de côtoyer le gratin New-Yorkais. Jeffrey Epstein, à titre personnel, multiplie l’acquisition de biens immobiliers avec entre autres, un appartement à Paris, un autre à Manhattan, une résidence en Floride et carrément une île dans les Caraïbes.  

 

Un carnet d’adresses allant s’étoffer avec la rencontre de Ghislaine Maxwell

Au début des années 90, Ghislaine Maxwell devient la compagne de Jeffrey Epstein. C’est la fille du magnat britannique de la presse, Robert Maxwell, décédé en 1991 dans des circonstances pour le moins atypiques. En effet, il a été retrouvé nu, flottant en pleine mer. Ghislaine Maxwell connait de très nombreuses personnalités et présente à Jeffrey Epstein ses connaissances parmi lesquelles, il y a le Prince Andrew, fils de la Reine Elizabeth II, qui deviendra un habitué des nombreuses fêtes organisées par le couple. Ghyslaine Maxwell va gérer le cercle social de Jeffrey Epstein ainsi que ses diverses propriétés. Elle va devenir également sa proche « collaboratrice » en charge du recrutement d’un personnel très particulier…

 

Le couple met en place un réseau de prostitution pyramidal

Jeffrey Epstein aimait les femmes jeunes, et plus précisément les femmes « très jeunes ». Tout commence, officiellement, par une plainte déposée en 1996 qui restera sans suite. En 2003, une journaliste travaillant pour Vanity Fair contacte la plaignante de cette plainte déposée en 1996, et décide d’écrire un article relatant les faits, dont la curieuse mansuétude de la justice. Mais sous la pression de son rédacteur en chef, l’article ne verra jamais le jour, en tous cas sous la forme envisagée initialement. « Il se peut » que le rédacteur en chef de cette journaliste zélée, ait fait le lien entre cet article et la balle de révolver trouvée sous son paillasson, ainsi que la mort de son chat retrouvé décapité…

En 2005, la police de Palm Beach est alertée par des parents dont la fille dit avoir été violée dans l’une des maisons de ce quartier qui s’avèrera être celle de Jeffrey Epstein. Une enquête est ouverte, et la police identifie plusieurs gamines, mineures au moment des faits, qui sont également passées par cette même maison. Le récit de ces jeunes filles est toujours le même. Jeffrey Epstein leur proposait de lui faire un « massage » en échange de quoi, elles recevaient une somme d’argent à hauteur de 200 dollars et pas mal de promesses telles que par exemple le financement de leurs études. La police met Jeffrey Epstein sous surveillance et la liste des victimes s’allonge. Les témoignages complémentaires relatent toujours le même scénario concernant la proposition du « massage », et révèlent l’existence d’un véritable réseau de prostitution pyramidal. Chaque « masseuse » était invitée à faire venir une copine qui pouvait elle-même faire venir une copine, qui pouvait elle-même faire venir une copine, etc. La « masseuse » rabatteuse, en supplément des 200 dollars, touchait une commission. Certaines jeunes filles refusaient de jouer les « masseuses » et faisaient exclusivement du recrutement. L’une d’entre-elles a avoué avoir recruté plus d’une vingtaine de filles.

Après 7 mois d’enquête, la police de Palm Beach obtient un mandat de perquisition lui permettant de mettre la main sur un carnet d’adresses dans lequel Jeffrey Epstein mentionnait son tableau de chasse. Les policiers retrouvent les jeunes filles et les interrogent une à une. Certaines avouent avoir été consentantes et d’autres ne souhaitent pas porter plainte. Néanmoins, beaucoup disent avoir été recrutées par une certaine Ghyslaine. La compagne de Jeffrey Epstein était en réalité la maquerelle en chef de ce réseau. Elle recrutait les « masseuses » et participait même parfois aux « massages » au côté de Jeffrey Epstein. C’est Ghislaine Maxwell qui a d’ailleurs recruté une certaine Virginia Roberts (aujourd’hui Virginia Giuffre), âgée de 16 ans à ce moment-là. Virginia Roberts dira avoir été exploitée sexuellement par le couple, mais aussi par certains de leurs amis, dont le Prince Andrew. C’est elle également qui a évoqué les fêtes, ou plutôt les orgies organisées par Jeffrey Epstein sur son île des Caraïbes.

En 2006, le procureur fédéral de Miami, Alexander Acosta ordonne l’arrestation de Jeffrey Epstein et curieusement, décide de mettre fin aux poursuites. Les policiers de Palm Beach sont furieux et remettent le dossier au FBI qui mène sa propre enquête. En 2007, le dossier monté par le FBI compte près d’une quarantaine de filles prêtes à témoigner contre Jeffrey Epstein. Les avocats de ce dernier négocient un accord très controversé avec le procureur Acosta et les victimes. Accusé d’abus sexuels sur mineures, alors qu’il encoure jusqu’à 15 années de prison, en plaidant coupable et en acceptant d’être inscrit au registre des délinquants sexuels, Jeffrey Epstein ne passera que 13 mois en prison dans des conditions incroyablement allégées et confortables.

Mais l’une des plaignantes, Virginia Roberts, ne lâche pas l’affaire et dépose une nouvelle plainte en 2015. Avec la dynamique #meetoo et le caractère scandaleux et illicite de l’accord passé avec le procureur Acosta, une nouvelle procédure est lancée à l’encontre de Jeffrey Epstein. De nouveau, toutes les filles sont interrogées et au final, elles seront 40 à déposer plainte. De retour d’un séjour qu’il effectuait en France, il est arrêté le 6 juillet 2019 à New-York, à la descente de son jet privé. Il est accusé de trafics sexuels sur mineures. Jeffrey Epstein est amené directement en prison et cette fois-ci, sans régime de faveur aucun. Sa vie se termine le 10 août 2019. Son procès n’aura donc jamais lieu ! Quant à Ghyslaine Maxwell, elle est arrêtée le 2 juillet 2020 et condamnée 6 mois plus tard à 20 ans de prison…

 

Une affaire qui présente des éléments troublants, suscitant inévitablement des questions, des étonnements et des théories

Force est de constater que Jeffrey Epstein a bénéficié à de la mansuétude de la part du procureur Alexander Acosta. Une première fois en 2006 quand il met un terme aux poursuites. Puis en 2007, quand il accepte l’accord proposé par les avocats de Jeffrey Epstein. Est-ce que le réseau de Jeffrey Epstein lui aurait permis de bénéficier d’une certaine protection et impunité ? D’ailleurs, pourquoi Jeffrey Epstein, a obtenu des conditions d’incarcération allégées et confortables ?

Après sa condamnation très médiatisée, où les accusations contre Jeffrey Epstein étaient largement connues, comment expliquer que des personnalités importantes issues de la politique, de la finance, du spectacle, des sciences, etc., aient persisté à le fréquenter et à s'exposer en sa compagnie ? Et cela a duré presque 10 ans ! Période durant laquelle, les réceptions et les fêtes ont été nombreuses sur son île ou ailleurs. Tout comme il y a des « mauvaises » et des « bonnes » victimes, y aurait-il les « mauvais » et les « bons » bourreaux ? Est-ce uniquement l’amitié qui liait ces personnalités à Jeffrey Epstein ?

Et puis, il y a les suicides. Tout d’abord, celui du principal intéressé qui était incarcéré dans une prison de haute sécurité où sa cellule était sous vidéo surveillance 24h/24, 7j/7. Et celui de l’un de ses complices, un français du nom de Jean-Luc Brunel, agent de mannequins, et accusé d’avoir fourni des jeunes filles à Jeffrey Epstein. Il a été retrouvé pendu dans sa cellule de la prison de la Santé le 19 février 2022. 

On peut également s'étonner du faible nombre d'accusations officielles, malgré le nombre impressionnant de plaignantes, soit 40 au total. Le Prince Andrew a été accusé d’avoir eu des relations sexuelles avec Virginia Roberts alors qu’elle n’avait que 17 ans. Selon le Daily Telegraph, un accord à l’amiable portant sur 13 millions de dollars aurait été conclu entre le Prince Andrew et Virginia Roberts qui au passage, a retiré sa plainte contre le professeur de droit à Harvard, Alan Dershowitz, qu’elle accusait d’agressions sexuelles. Y a-t-il une omerta ? Ou alors, est-ce que ce réseau de prostitution n’était destiné qu’à assouvir le féroce appétit sexuel de Jeffrey Epstein ? Il se peut que de nouvelles accusations sortent prochainement. Quoi qu’il en soit, les documents rendus publics par la justice américaine en ce début d’année n’apportent aucun élément nouveau concernant les inculpations. Qu’en sera-t-il pour les prochains qui sortiront fin janvier ? Une victime sous le pseudonyme DOE 107, vivant en dehors des Etats-Unis et se disant physiquement menacée, a annoncé qu’elle révèlerait son témoignage le 22 janvier. A suivre, donc !

 

Et au passage, on instrumentalise cette affaire à des fins politiques

Si l’ancien Président des Etats-Unis, Bill Clinton, ne fait pas l’objet de poursuites, son image en a pris un sacré coup. Virginia Roberts prétend l’avoir vu lors d’une soirée sur l’île privée de Jeffrey Epstein, et son nom apparait 73 fois dans les documents rendus publics en ce début d’année. Toujours dans ces documents, à la question « est-ce que Jeffrey Epstein vous a parlé de Bill Clinton », une victime répond « oui, il m’a dit qu’il les aimait jeunes en parlant des filles ». Réponse allant bien évidemment être exploitée par les Républicains.

Et puis il y a Donald Trump, lui aussi, ancien Président des Etats-Unis. Pour certains médias, il est de bon ton d’essayer de l’associer à cette affaire. Ils mettent en avant leur voisinage à Palm Beach et surtout le fait que Donald Trump a déclaré en 2002 : « je connais Jeff depuis 15 ans. Il est génial. C'est un plaisir de passer du temps avec lui. On dit même qu'il aime autant les jolies femmes que moi. Il les préfère plutôt jeunes ». Sauf que cette déclaration et les liens amicaux entre les deux hommes datent bien avant la première condamnation de Jeffrey Epstein. Contrairement à beaucoup de personnalités, Donald Trump a pris de la distance avec Jeffrey Epstein à partir de ce moment-là. Beaucoup de médias, n’hésitent pas à afficher une photo de Donald Trump en évoquant l’affaire Epstein. Une association est si vite faite…

 

Le syndrome de l’affaire JFK

Face à ces éléments troublants, cette affaire restera, dans tous les cas, ouverte aux yeux du public. Les documents et les déclarations à venir n’y changeront rien. Quelle que soit l'évolution des événements, quels que soient les discours, l'ombre de l'incertitude persistera. Beaucoup penseront que la vérité sur cette affaire ne verra jamais le jour, et qu’on leur cache beaucoup de choses. Tout comme l’assassinat de JFK, l’affaire Jeffrey Epstein portera pour toujours la trace du mystère.