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Monde

La politique économique de l’Egypte sombre dans le cauchemar de l’insécurité alimentaire

Le Dialogue

Lorsque le prophète Yousouf  est  venu voir  pharaon  pour lui demander de devenir maître des trésors de la terre de l’Egypte, il avait la certitude qu’il devait faire des économies pendant les années grasses  pour le secourir dans les années maigres. Yousouf ne croyait pas au  proverbe égyptien  qui  dit: « Dépense ce  que tu as en  poche,  tu verras venir vers toi l’argent de ta destinée.» ni  à  ce  dicton: « tourne toi  vers ton  frère et demande lui  deux sous.»  ni  non  plus à cette soi-disant sagesse: «Vends les meubles de ta maison  et déjeune avec leur prix et demande à Dieu  le prix du  dîner.» Le cauchemar  de l’insécurité alimentaire contre lequel  se   débat la politique économique de l’Egypte n’est  pas   nouveau;  il remonte à  des décennies bien  lointaines. Au  cours des années soixante du  siècle dernier, l’Egypte souffrait  de la pénurie alimentaire qui  a culminé dans son  manque de production  de blé et de maïs de manière  à être acculée à l’importation  ou à faire la manche pour avoir l’assistance. Selon  les statistiques officielles, l’Egypte a produit, en  1960, près de 1,5   millions de tonnes  de blé  et en a importé moins  d’un million  de tonnes  soit une autosuffisance d’environ 60%.  Ce taux a rétrogradé  dans les soixante dernières années  pour se rabattre  à près de 50% ou moins: l’Egypte en produit   10 millions de tonnes et  en importe une quantité  identique ou même plus. Le ministère  américain  de l’agriculture évalue,  pour  l’année prochaine, une augmentation  des importations  qui  atteindrait 12 millions de tonnes.  Néanmoins un  tel pronostic  ne prendrait pas en  considération les nouvelles ressources égyptiennes en produits agricoles dont  en  premier lieu l’expansion  horizontale  et l’augmentation  de la superficie cultivable d’au  moins 3 millions de feddans  dont 2,2   dans la nouvelle delta et près de 500  millions de feddans à l’est  de Owainat prévus d’atteindre un million de feddans;  à cela  s’ajoutent de nouvelles extensions à Toshka  et au  nord du Sinaï, etc. Autrement  dit, la superficie agraire  de l’Egypte augmentera de près du  tiers,  au cours des prochaines années, allant de moins de 10 à plus de 13 millions de feddans ce qui  veut dire- en  fin  de compte-  une augmentation de  l’offre de la nourriture.

Poursuivre en  l’état le mode  d’agriculture qui  consiste à allouer au  blé le tiers de la superficie  cultivable en  hiver,  cela signifie   augmenter de 30%  au  moins la production du  blé.  Un  chiffre  qui pourrait  augmenter de  trois façons différentes:  premièrement, en  augmentant du  tiers à la moitié la superficie  consacrée à la culture  du  blé en exigeant une politique incitative- au niveau  des prix et de l’organisation- qui  encourage les agriculteurs à  augmenter  la superficie des terres cultivées. Deuxièmement,  réduire  la superficie des terrains cultivés  par la luzerne  par l’extension  de la culture des plantes fourragères  dans les terrains déserts de qualité  médiocre,  les importer des pays africains voisins  et les utiliser en  industrie en se basant  sur des composants locaux, végétaux ou  animaux.  Un recours indispensable  pour freiner l’âpre compétition  engagée entre la luzerne et le blé portant sur l’eau  et les terrains. Troisièmement, l’utilisation  de la technologie de pointe dans l’agriculture verticale en vue d’augmenter le rendement du  blé pour  aboutir à une production moyenne par feddan qui dépasse la moyenne  internationale:  actuellement, la production  moyenne par feddan  de  blé varie  entre  2,7  et 3 tonnes ou  entre 18  et 20 ardibs par feddan (1 ardib= 150kgs) alors que la moyenne  mondiale varie entre 2,7  et  3 tonnes par hectar (soit de 3 à 4,3 par feddan). Des pays  telle que la Hollande  ont battu  un chiffre  record de production  qui  a atteint 16,5  tonnes par  hectar en  2018. Une  fois acquise la volonté politique, économique et  technologique pour réformer la politique agricole,  il  serait facile  d’augmenter le rendement d’un  feddan de blé et la quantité  de production locale pour atteindre l’autosuffisance ou même plus. Il  serait absurde  de  nous laisser aller à  la pauvreté  alimentaire qui menace notre sécurité  nationale après que l’Egypte est devenue  le premier importateur  mondial  de blé  et le  sixième plus grand  importateur  de maïs de même qu’elle  compte à  95% sur l’étranger  pour se pourvoir  en huile  végétale. La chute de notre production  locale,  en blé,  maïs  et huile végétale, en  dessous du  seuil de la pauvreté  présente indubitablement une menace à notre  sécurité  nationale et  reflète une  grave baisse de  notre  performance économique. A des stades plus élevés de développement,  cette « efficacité  économique » se mesure  à  la compétitivité soit  sur le marché  local ou extérieur;  quant  aux stades inférieurs,  elle se mesure à l’aptitude  d’assurer le minimum vital  à la population  y compris  la nourriture, les vêtements,  les médicaments et  l’éducation. Celle de la politique économique est évaluée  par son  degré  de dépendance des moteurs du savoir,  du développement  technologique,  de la coordination institutionnelle  et de l’Etat de droit. Si d’autres moteurs impriment son élan à la politique économique tels les intérêts des groupes privés et  le bénéfice rapide,  elle  devient  l’objet  de fortes turbulences d’une année  à l’autre et  provoque  de graves pertes   à l’économie en  général. Quoique le  développement du savoir local est important pour rectifier la politique économique,  ses canaux doivent  également  être ouverts vers l’extérieur  de manière à suffisamment  englober du  moins le point  de vue porté par les autres sur la politique économique locale notamment par ceux qu’on  considère comme partenaires dans l’élaboration du  développement  local. 

Une autosuffisance dégradée

La réalisation de la sécurité  alimentaire, l’éradication de l’analphabétisme et l’extirpation de  la pauvreté comptent parmi les objectifs de la politique économique. Il est  étonnant de  constater, au  fil  des années, la montée du taux de la pauvreté,  l’aggravation  de l’analphabétisme et la mutation- à  cause de l’incapacité à  réaliser la sécurité  alimentaire- des prix des denrées alimentaires en moteurs clés de l’inflation qui  affiche plus de 90%  du prix  de la nourriture  et  qui constitue  la rubrique la plus  importante dans le calcul  de son taux. Remporter le succès au  niveau de ces trois champs est la preuve de la réussite de la politique économique  en  assurant  à la population le  minimum  vital économique et social; sinon,  serait exclu  tout propos  soulevant l’idée de   progrès,  de leadership  ou  de passage à la  période  de compétitivité. Concrétiser ces objectifs exige   que la politique économique se les fixe avec grande  précision, y table  en  vue de les favoriser  et  créer l’environnement propice à une compétition saine  qui aide les producteurs à réagir  avec tous les composants du  marché de  manière à  répondre aux besoins d’élargir les potentialités de la production et la transition d’une période « en deçà  du  seuil de pauvreté » à  celle de « la profusion  et de la diversité »  qui  converge avec la hausse des niveaux de vie des diverses catégories sociales.

Du  simple au dodécuple

Alors que  nombre de gouvernements égyptiens successifs ont porté le slogan de  la réalisation  de la sécurité  alimentaire, les importations de blé qu’effectuait l’Egypte dans les années soixante du  siècle dernier ont dodécuplé  pour passer, selon les prévisions du  ministère américain  de l’agriculture, de  moins d’un million  de tonnes  en 1960 à près de 12  millions de tonnes actuellement.  L’Egypte produit moins de la moitié de ses besoins en blé alors qu’elle souffre d’une explosion  démographique d’une moyenne de 2% annuellement. En outre, avec une population  de 105 millions d’habitants,  l’Egypte accueille  plus de 10 autres millions   qui  y  ont immigré  en  provenance du Soudan,  de la Lybie,  du Yémen,  de  l’Irak et de la Syrie  comme de bien  d’autres pays.  Elle accueille également  tous les ans 15  millions de touristes: un  chiffre que l’Etat  projette de doubler. Autrement dit,  l’Egypte doit déployer de gros efforts  pour assurer à  sa population le niveau  de subsistance. Et  comme elle n’a pas  encore pu le faire,  il n’est pas étrange que ce  grand grenier des céréales de  l’ancien  monde occupe la première place dans le classement des  importateurs de blé  dans le monde et  le sixième plus grand  importateur de maïs. 

Blé contre luzerne 

En hiver, la part occupée  par  la culture du blé  en  Egypte ne s’étend pas à la moitié de la superficie globale cultivée et  se limite  actuellement à  son tiers à cause de sa compétition  lancée contre la luzerne-  le principal  fourrage vert-  et de multiples autres récoltes  comme les pommes de terre, l’oignon  et la betterave. Et,  pour que l’augmentation  de l’agriculture du  blé devienne un  choix  raisonnable, elle exige avant  tout  un certain  nombre  de stimulus  et de mesures d’incitations au  niveau  des prix et de  l’organisation  afin de compenser les agriculteurs des pertes probables subies à  cause de l’extension de l’agriculture du  blé  ainsi que de l’augmentation  des fourrages disponibles dont le vert. Ce but devient réalisable avec l’augmentation  de l’importation  des plantes fourragères des pays africains voisins, la création de projets communs d’investissement agricole  spécialisés dans la culture des fourrages  tout en  limitant  l’exportation fourragère  égyptienne  dont la luzerne. Il  nous incombe d’accorder un grand intérêt  aux multiples études effectuées en Egypte et dans le monde au  sujet du  développement de la culture des plantes fourragères  et d’en  tirer profit. Il  serait également possible d’effectuer, deux   et non  une seule fois l’an,  des expériences in vivo sur la faisabilité  de la culture du  blé  ainsi  que sur le développement génétique, à  cet effet,   des   grains de blé. En  cas de réussite, ces expériences réaliseront une percée  spectaculaire  dans la réalisation de la sécurité alimentaire égyptienne. A  vrai dire la pénurie alimentaire ne  porte pas  uniquement sur  un déficit  dans la production  du  blé   mais également du  maïs et des oléagineux.  A  vrai dire,  la culture de ces derniers comme le tournesol  et le soja et l’extraction de l’huile des graines de  coton, de  lin, de  sésame,  de maïs et d’olive, etc. affrontent de graves difficultés économiques  dont en premier  lieu la corruption  sévère qui  infeste ce marché  et qui autorise  l’entrée en  Egypte d’huiles de mauvaise qualité  et à  un prix  médiocre n’équivalant nullement  au coût   de  production de la culture de ces oléagineux et de l’extraction de  l’huile de leurs fruits sur  le plan  local. Le résultat  en  est que l’Egypte importe environ 95% de ses besoins en  huiles de consommation  alimentaire. 

Le  coût de l’importation  du  blé 

Il est difficile d’évoquer l’idée d’une stratégie de réalisation de la sécurité  alimentaire en  Egypte  sans que l’autosuffisance en blé ne soit son  cœur  ou son échine dorsale.  C’est la seule voie qui  permette à la stratégie  d’être  crédible, de ne pas   tomber dans le  piège du délire et du mensonge  ou  de provoquer des dégâts à long  et court  terme. La  stratégie actuelle vise à  hausser le niveau  d’autosuffisance d’environ 50% à  55% en 2025.  Le  ministère américain  de l’agriculture prévoit que les importations égyptiennes au  cours de la nouvelle  campagne agricole 2023-24  monteront pour atteindre 12  millions de tonnes de blé  accusant  une augmentation  de 9% par rapport  au  niveau prévu  pour la saison  en cours. En  outre, il prévoit  une augmentation  des importations égyptiennes de maïs de 21% par rapport à l’année écoulée 22/23. L’Egypte est le plus grand importateur de blé en  Afrique du  nord et le sixième importateur de maïs  dans le monde.

Le  montant de la facture  d’importation  de blé pour  l’exercice 21/22  est de  l’ordre d’environ 4,2 milliards de dollars.  Y est  exclu le  coût du  transport, du  fret  ,  de l’assurance et de l’inspection. Normalement, les  prix du  blé importé est  publié  selon ceux  de la livraison  des marchandises à bord du navire au port d'embarquement  (FOB)  et non à la livraison  au port   de débarquement des importations( CIF). La valeur des importations de blé  dépassent celles des exportations des produits agricoles,  vu qu’elles accaparent le  taux de 127 %  de la valeur des exportations  du secteur  agricole  égyptien dont les cultures commerciales telles l’orange, la pomme de terre et la fraise,  etc. qui  ont  atteint le chiffre  record de 3,3  milliards de dollars en  2022. Si  l’on ajoute les importations égyptiennes de maïs  et des autres denrées alimentaires,  la facture d’importation  des céréales  des huiles végétales  dépasseront de 20% la  valeur  des importations.

Et  pour couvrir  le  coût de financement  des besoins d’importations du  blé,  le gouvernement  égyptien  a eu recours,  en  l’exercice actuel,  à un  certain  nombre de sources financières diverses dont « La Société Islamique Internationale de Financement  du  Commerce» qui  finance les importations selon  la formule islamique de transaction «La Mourabaha»  qui  permet à la partie financière  de participer aux  bénéfices de  la transaction. C’est un  type de financement  à  court terme  qui  doit être assuré  d’une manière  saisonnière au  cours de la période  convenue. La transaction  de financement  contractée  par  la Société  couvre  les besoins d’importation  du blé,  du  pétrole brut et de ses dérivés. Les facilités de financement convenues au  début  de l’année dernière valaient 3  milliards  de dollars  pour passer à  6 milliards de  dollars avant la fin  de l’exercice dernier  permettant ainsi à l’Egypte de doubler la valeur du  financement disponible à l’importation  du  blé de  700  millions de dollars à  environ 1,6 milliard de dollars.  L’Egypte s’est  également  entretenue avec  le  Fonds d’Abu Dhabi  en  vue d’obtenir un  financement d’une valeur de 400  millions de dollars  pour importer  le blé. Autrement  dit, l’Egypte a donc emprunté,  depuis le début  de  l’année en  cours,  près de 2 milliards de dollars pour financer  l’importation  du  blé;  sans compter les facilitations financières et le traitement  préférentiel  dont elle fait  l’objet  lors de son importation  du  pétrole de la Russie  et peut-être également de l’Union Européenne. En raison de sa transition d’une économie diversifiée à une dépendance du pétrole et du gaz et de sa négligence des réels secteurs de production en nature-  l’agriculture et  l’industrie- ce coût, enduré par l’Egypte, augmentera toujours alors que sa capacité de  financement baissera.  Ainsi, la réduction  de la capacité  financière de  l’Egypte  au point de s’endetter pour  pourvoir  aux besoins alimentaires de sa population  ne fera que limiter ses ambitions en  deçà de la sécurité  alimentaire ou  même du «minimum  vital » :  un  abîme où l’on ne doit  jamais s’ y  engloutir.