Des partisans Houthis se rassemblent pour commémorer l'anniversaire de la mort de l'imam chiite Zaid bin Ali à Sanaa, la capitale yéménite tenue par les Houthis, le 23 août 2022. Photo : MOHAMMED HUWAIS / AFP.
L’histoire du Yémen est un imbroglio religieux et politique, résultat d’une succession de guerres et de colonisations menées par différentes puissances. Jamais réellement uni, le pays le plus pauvre du Moyen-Orient, subit au gré des périodes les influences des différentes mouvances salafistes, marxistes et chiites révolutionnaires… Les chiites du pays, en proie à la marginalisation à l’instar des chiites libanais dans les années 60-70, ont œuvré à la renaissance de leur communauté zaydite à travers une révolution culturelle et une présence politique.
Depuis 890, la communauté zaydite fonde un imanat dans la province Nord du Yémen. Cette population chiite ne partage pas les mêmes accointances théologiques et spirituelles que la majorité des chiites dans le monde. Contrairement aux chiites duodécimains, ils ne reconnaissent pas 12 imans mais 5 et n’attendent pas l’arrivée du Mahdi (l’imam caché). Cette opposition, les rapproche plus de certains rites sunnites. Majoritairement montagnarde, la population zaydite agit selon des codes et des traditions tribales. Retranchée dans son centre historique de Saada, la communauté zaydite vivait reculée des centres urbains et des plaines. Cette territorialisation explique en grande partie la marginalisation économique et sociale de la communauté à partir de la seconde partie du XXème siècle.
Un temps conquis par l’Empire ottoman en 1535, les Yéménites zaydites s’opposèrent à l’invasion turque à partir de 1595, avant de retomber sous le joug d’Istanbul en 1872. Quant à la partie Sud du pays, elle tomba sous l’occupation britannique en 1830. Suite à la chute de l’Empire ottoman, le Yémen du Nord devient indépendant et constitue une monarchie de rite zaydite.
La fin de l’imanat
Dans un contexte d’essor du panarabisme sous l’ère de Gamal Abdel Nasser, le Yémen subit les contrecoups de la politique extérieure nassérienne. En effet, en 1962, Nasser envoie des troupes égyptiennes pour mettre fin à la monarchie zaydite afin d’instaurer une république. La même année, est proclamée la République arabe du Yémen. La révolution de 1962 marque la fin de l’imanat zaydite et de leurs prérogatives politiques. Cette date, est perçue comme une humiliation pour toute une communauté qui tentera au gré des évènements régionaux de se restructurer, de se régénérer pour lutter contre un gouvernement injuste (d’où la notion importante de rébellion dans les préceptes du zaydisme). Dès lors, les principaux pouvoirs passent aux mains des officiers de l’armée soutenus par l’Egypte. De son côté, le Yémen Sud devient indépendant en 1967 et rejoint l’axe soviétique en adoptant une politique marxiste. Plusieurs guerres fratricides opposent le Nord au Sud dans les années 70-80.
C’est en 1990, que les deux parties se réunissent pour former la République du Yémen sous la présidence d’Ali Abdallah Saleh. De ce fait, s’ensuit une lente et progressive marginalisation de la communauté zaydite du pays. Majoritaire au sein du Yémen Nord, les Zaydites deviennent minoritaires en raison de l’unification des deux régions. En effet, ils représentent 40% de la population et les Sunnites 60%.
Dès 1979, l’émergence d’un chiisme politique révolutionnaire avec l’avènement de la République islamique iranienne dépasse de loin les seules frontières de l’Iran. Au Yémen, la communauté zaydite, écartée du pouvoir politique depuis la révolution 1962, entend profiter de ce bouleversement régional pour s’affirmer politiquement sur la scène locale. Au début des années 80, les habitants du Nord du pays s’organisent. Ils créent un mouvement intellectuel politique dissident, calqué sur l’idéologie iranienne. Ils se nomment la jeunesse croyante (al Chabab al-mu’min). L’objectif initial est la refonte d’une identité culturelle et spirituelle chez les jeunes zaydites.
Ce bouillonnement intellectuel doit s’opposer à l’essor du salafisme sunnite dans la région. Le centre du mouvement se situe dans la ville historique de Saada, non loin de celui des salafistes qui se trouve à Damaj. En raison de l’unification du pays en 1990, le mouvement se mue petit à petit en un projet politique pour réintégrer la communauté dans le champ institutionnel. Le pluralisme permet aux zaydites de participer aux élections. Leur parti politique se nomme le parti du droit (Hezb al Haq). À l’instar du parti Amal au Liban dans les années 70, ce parti tente de représenter la communauté sous le prisme du politique afin de démarginaliser culturellement et économiquement cette population montagnarde.
D’un mouvement intellectuel à une milice opposée au gouvernement central
Le résultat des élections de 1993 n’a pas les effets escomptés. Nostalgique du Yémen Nord, Le parti du droit va soutenir les séparatistes du Sud en 1994. Or, les principaux leaders du mouvement Badredinne Al Houthi et son fils Hussein sont contraints d’émigrer en Iran. Une fois sur place, ils multiplient les déplacements entre Téhéran et Beyrouth. Suite à la pression de plusieurs personnalités zaydites, le président Ali Abdallah Saleh les gracie.
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 et de l’entrée d’Al-Qaïda au Yémen en 2002, le mouvement zaydite adopte une attitude plus milicienne, plus vindicative à l’égard de l’Occident et ses alliés. La formulation du slogan témoigne assurément de ce changement : « Dieu est grand, mort à l’Amérique, mort à Israël, malédiction aux juifs, victoire de l’Islam ». Ce tournant coïncide également avec la politique d’éviction des chefs zaydites par le président Saleh.
Les tensions s’accentuent et plusieurs accrochages éclatent entre la rébellion zaydite et le pouvoir central en 2004. La même année, le leader du mouvement Hussein Badredinne Al-Houthi est tué. Le mouvement zaydite prend définitivement le nom de « Houthi » après la mort de son chef et se livre à une véritable guérilla contre le gouvernement de Sanaa.
Jusqu’en 2010, les troupes gouvernementales et Ansar Allah (Les partisans de Dieu– autre nom des Houthis) s’engagent dans une véritable guerre civile. L’intensité des combats varie au gré des périodes de pourparlers. Les partisans du Président Saleh n’hésitent pas à s’allier avec les mouvances djihadistes du Sud pour annihiler la rébellion zaydite. C’est à partir de cette époque, que les Pasdarans iraniens fournissent matériels et entraînements aux Houthis dans des bases secrètes en Érythrée.
Le conflit se régionalise encore un peu plus avec l’intervention de l’Arabie saoudite pour épauler le Président Saleh. Les bombardements ciblent les quartiers houthis au Nord du pays. Le gouvernement de Sanaa est littéralement pris en étau entre d’une part la rébellion zaydite du Nord, les mouvements marxistes séparatistes du Sud et l’hydre djihadiste qui sanctuarise plusieurs zones dans le pays. Le 25 novembre 2010, le leader spirituel du mouvement, Badredinne Al-Houthi, est assassiné par Al-Qaïda.
Nostalgique de l’imanat au Yémen, les Houthis ont su au gré de la conjoncture créer un mouvement intellectuel qui s’est mué en une redoutable milice. Perçue à tort comme le simple bras armé de l’Iran dans la péninsule arabique, la milice a son propre agenda politique et militaire.