Cette combinaison de photos montre le président russe Vladimir Poutine (Gauche) assistant à une réunion avec un membre de l'Académie russe des sciences, au Kremlin à Moscou le 23 juin 2023, ** NDLR : cette image est distribuée par l'agence publique russe Spoutnik **, et Yevgeny Prigozhin (Droite) avant une réunion avec des chefs d'entreprise tenue par les présidents russe et chinois au Kremlin à Moscou le 4 juillet 2017. Yevgeny Prigozhin, le chef de la Le groupe de mercenaires Wagner, a juré le 24 juin 2023 d'"aller jusqu'au bout" pour renverser le commandement militaire russe, qu'il accuse d'avoir lancé des frappes contre ses hommes, alors que le procureur général du pays a déclaré qu'il faisait l'objet d'une enquête pour "rébellion armée". "Nous détruirons tout ce qui se dresse sur notre chemin", a-t-il ajouté dans le défi le plus audacieux lancé au président Vladimir Poutine depuis le début de l'offensive en Ukraine l'an dernier.
Photo : GAVRIIL GRIGOROV et Sergei ILNITSKY / SPUTNIK / AFP.
Je vais donner ici mon interprétation du coup d’état manqué d’Evgueni Prigojine.
Elle ne prétend pas, avec si peu de recul, être l’exposition exclusive de la réalité mais elle est fondée sur ma connaissance profonde de la Russie où j’ai travaillé régulièrement depuis 1990 pour les grandes entreprises françaises et de ma connaissance des rapports ambigus entre les militaires d’actives et les mercenaires, dont le grand public a pu avoir connaissance par les médias et le cinéma, en Afghanistan et en Irak.
Quand Poutine est arrivé au pouvoir en Russie en 1999, l’Etat était faible ; les organisations criminelles et des oligarques qui s’étaient outrageusement enrichis sous Eltsine se partageaient le pouvoir. Ainsi dans la région de Krasnoïarsk, une des régions les plus riches de Russie, Norilsk Nickel, premier producteur mondial de nickel et de palladium, Kraz, le combinat géant de production d’aluminium, Atchinsk, transformateur de bauxite, le « combinat des métaux non ferreux », premier transformateur de minerai d’or et d’argent du pays étaient contrôlés par l’organisation criminelle des frères Tchernoy.
Poutine entrepris de liquider ces organisations criminelles. Mais pour pouvoir y arriver, il a passé un accord avec les oligarques que l’on peut résumer en ces termes : « vous pouvez continuer à vous enrichir mais vous devez investir en Russie ». La plupart d’entre eux ont accepté ce deal et la période 2002-2012 a été une période d’expansion économique en Russie avec un taux moyen de croissance de 7%. Une minorité se sont expatriés et ont été accueillis, pour la plupart d’entre eux, en Grande-Bretagne où l’argent n’a jamais eu d’odeur comme R Abramovitch qui est devenu propriétaire du club de football de Chelsea. D’autres ont voulu transformer le pouvoir de l’argent en pouvoir politique et sont allés en prison comme le plus célèbre d’entre eux, Mikhaïl Borissovitch Khodorkovski.
Evgueni Prigojine, né le 1er juin 1961 à Léningrad, avant de devenir un oligarque est un entrepreneur dans le domaine de la restauration. En 1990 il ouvre une boutique de « hot-dogs » puis une chaîne de fast-foods qui est à l’origine de sa fortune qu’il consolide en devenant le fournisseur quasi-exclusif des cantines scolaires.
Ce n’est qu’en 2014, qu’il co-fonde et prend la direction de la société militaire privée nommée groupe Wagner, qui recrute des mercenaires pour des opérations paramilitaires dans différents pays (Syrie, Afrique, Ukraine) en soutien à des États défaillants ou des régions sécessionistes, en appui de la politique russe. Comme tous les oligarques qui soutiennent Poutine, il a accès à lui qui l’utilise pour mener des actions dans le Donbass au Moyen-Orient et en Afrique et il bénéficie à ce titre de la fourniture d’armes et de munitions par le ministère de la Défense comme en son temps la France l’a fait avec Bob Denard. C’est d’ailleurs la détérioration de cette relation qui est un des facteurs à l’origine de sa rébellion.
Cet entrepreneur était resté très discret jusqu’au début de l’opération spéciale allant même jusqu’à nier à plusieurs reprises ses liens avec Wagner. Ce n’est qu’en septembre 2022, qu’il déclare publiquement et pour la première fois, qu'il est le dirigeant du groupe Wagner alors qu'il harangue les détenus d'une prison en Russie en leur promettant la liberté s'ils acceptent de partir combattre en Ukraine.
C’est à partir de cette date qu’il devient une vedette médiatique et que son égo prend le pas sur ses intérêts. A partir de là, il se fait interviewer fréquemment au milieu de ses mercenaires en tenue de combat et ce restaurateur milliardaire est confronté pour la première fois de sa vie à la guerre à haute intensité et aux pertes qu’elle engendre parmi ses employés.
Pour moi, c’est la conjonction d’un ego amplifié par l’exposition médiatique et de la découverte de l’horreur de la guerre à laquelle rien dans sa carrière d’entrepreneur ne le préparait qui lui fait en quelque sorte « péter les plombs », ou si l’on préfère « perdre le sens du raisonnable » et qu’il dérape. En voici quelques étapes :
- Selon diverses sources il aurait demandé à la mi-avril 2023, à Vladimir Poutine de mettre fin à “l’Opération Militaire Spéciale” en Ukraine.
- A la mi-mai 2023, les médias occidentaux font remarquer que dans les dossiers appelés “Ukraine Leaks” il est question de tractations secrètes entre Prigojine et le renseignement ukrainien pour abréger la bataille de Bakhmut.
- Le 10 mai 2023, Prigojine, se plaint devant la presse que ses combattants Wagner ne reçoivent pas assez d'obus du ministère de la Défense.
- Le 10 juin 2023, le ministère de la Défense russe annonce que, désormais, tous les combattants des compagnies militaires privées seraient rattachés à l’armée par un contrat signé avec l’unité à laquelle ils appartenaient. Jusque-là Wagner et les autres compagnies militaires privées étaient simplement placées sous contrôle opérationnel du commandant de l’opération spéciale, tout en gardant leur autonomie d’organisation. Prigojine annonce qu’il refuse cette décision.
- Le 23 juin 2023, Prigojine fait une série de déclarations fracassantes pour expliquer que la guerre était en train d’être perdue du fait de la corruption du commandement militaire. Il ajoutait que l’on aurait menti, en Russie, depuis 2014. L’armée ukrainienne ne s’en serait jamais prise aux civils du Donbass. Aucune menace n’aurait pesé sur la Russie début 2022. La guerre n’aurait été justifiée que par des intérêts oligarchiques privés.
- Le 24 juin il lance son push qui échoue lamentablement du fait de la réaction de tous les corps de l’état, de la population et d’une partie de ses troupes qui restent fidèles à Poutine.
Conclusion
Même si ce push manqué est complaisamment exploité pour affirmer que Poutine est affaibli par tous les propagandistes des anglo-saxons et de l’OTAN, il n’en est rien et on vient d’avoir la preuve éclatante du contraire. Alors que le push des généraux français d’avril 1961 avait fait trembler la République pendant huit jours, la tentative que Evgueni Prigojine présente aujourd’hui comme tournée contre le seul ministère de la Défense qu’il accuse d’être incapable et corrompu, n’a duré que 24 heures. Toutes les autorités civiles militaires et religieuses et la population dans sa très grande majorité ont soutenu le pouvoir en place. Un exemple de plus de la réussite de Vladimir Poutine à avoir rétabli la verticalité du pouvoir en Russie.
Enfin est-ce que cela aura un impact sur la poursuite des opérations ? Je ne le pense pas. Même les médias anglo-saxons reconnaissent que cela n’a eu aucun impact sur le déroulement des combats en cours. Tout le reste n’est qu’agitation ou propagande médiatique. Les médias anglo-saxons et européens qui n’arrêtaient pas de condamner Wagner pour ses crimes de guerre, vont probablement faire désormais de Prigojine réfugié en Biélorussie un héros de la résistance à Poutine.