En Egypte, nous commençons actuellement - pour la première fois de notre histoire- à souffrir de l’expansion du phénomène de la dollarisation. Jamais auparavant le marché égyptien n’en a été confronté, ni lorsque le cours de la livre égyptienne a chuté durant la politique de l’ouverture des années 70, ni durant la crise des dettes des années 80 ni non plus au cours de la crise financière mondiale de 2008. Ce phénomène s’est propagé en Irak au lendemain de son invasion par les Etats Unis ainsi qu’aux dernières années au Liban, en Turquie et en Syrie. Il s’observe au Soudan et se généralisera- selon les prévisions- dans toutes les villes principales au cours des mois à venir si le conflit des généraux demeure sans solution.
La dollarisation est déclenchée avec l’accélération de la dépréciation de la monnaie locale, qui est utilisée pour échanger les revenus du travail (tels que les salaires et traitements) et les revenus des actifs des immobilisations corporelles ou incorporelles (telles que les ventes, les bénéfices et les loyers) sur le marché intérieur, d’une part contre les prix des biens de consommation et le coût de l’investissement et des intrants de production importés ou l’un des composants est étrangers. Cette dévaluation en chute libre de la monnaie locale déstabilise l’équilibre entre les deux branches de l’équation et mène à un rejet graduel de l’utilisation de la monnaie locale dans l’évaluation des prix des produits et services et de l’adoption du dollar, en tant que devise étrangère la plus répandue et la mieux convertible en tant que médiateur dans le calcul des prix. C’est la raison pour laquelle les prix locaux en Egypte reflètent - chaque jour voire chaque heure- la dévaluation de la livre égyptienne par rapport au dollar.
Comprendre la dollarisation:
La dollarisation est un phénomène monétaire approuvé, selon la coutume, par les opérateurs du marché ou, officiellement, par l’Etat. Le dollar, dans ce cas, est médiateur dans le règlement des transactions locales entre les parties de la négociation. L’apparition du dollar est liée à des facteurs économiques, politiques et administratives dont en premier lieu la dépréciation de la monnaie locale dans un pays donné au point de perdre sa caractéristique de « réserve de valeur » garantie ou « unité de compte dans les échanges monétaires internationales » approuvée, la faiblesse et l’instabilité de la politique monétaire au point que les parties du marché lui vouent la plus grande méfiance, l’absence d’un système de change flexible, la limitation du droit d’obtention de la devise étrangère officiellement à travers le système bancaire ou selon des directives orales qui changent d’un moment à l’autre ou même à la tête du client.
Néanmoins, la dollarisation ne se développe en tant que phénomène que si l’utilisation du billet vert est approuvée en tant que médiateur dans la conclusion des transactions sur le marché local soit directement par le paiement en liquidité soit indirectement par le changement du prix des biens et services selon la tendance du prix du dollar sur le marché local. D’habitude le changement du prix du bien ou du service inclut une prime au-dessus du taux de change immédiat du dollar au marché noir qui couvre les risques et le coût d’obtention de la devise à court terme. De plus, la dollarisation pourrait être une condition de conclusion de certaines transactions ou d’obtention d’avantages supplémentaires comme dans le cas d’allocation de terrains aux particuliers et aux sociétés via l’Etat ou celui de la vente en dollars d’unités de logement. Ce phénomène s’amplifie dans les secteurs d’épargnes monétaires des particuliers et des familles parallèlement à l’or ce qui contribue à hausser le prix du dollar à cause de la mise à part de ces sommes épargnées loin du cycle d’investissement. La dollarisation s’amplifie également lors du règlement des paiements d’investissement dans les actifs économiques tels les terrains et les biens immobiliers ; elle pourrait également prendre sa place au niveau de la consommation des biens et services tels les droits d’inscription aux écoles et aux universités internationales ainsi que le paiement du coût d’achat des marchandises et des services publics à savoir le permis de travail, les droits de visas. Il va sans dire que le phénomène de la dollarisation s’accroit en grande envergure dans les zones touristiques pour régler les biens et services.
Cette définition que nous donnons de la dollarisation se limite à l’utilisation du dollar dans la tarification des biens et services et le règlement- direct ou indirect- des transactions entre les parties du marché local après leur approbation. Ce qui veut dire que les transactions en dollar US qui ont lieu entre les parties du marché local et l’étranger qui ont lieu à travers des flux monétaires vers l’intérieur du pays ou son extérieur ne sont pas inclus par la dollarisation. Le principe de ces transactions est d’être réglées par une monnaie convertible, telle approuvée par les deux parties et stipulée dans les contrats en question, même si la monnaie de l’une des deux parties est convertible, tant que le contrat en dispose autrement. Partant, les flux financiers d’investissement et l’investissement direct étranger ou le virement privé ou public ne sont pas considérés comme dollarisation pour la pure et simple raison que la devise américaine n’est pas utilisée dans le règlement des transactions entre deux parties à l’intérieur du pays.
Discrimination contre les salariés
Le maintien du pouvoir d’achat de la monnaie étant le catalyseur clé du phénomène de la dollarisation, les personnes à revenu fixe en monnaie locale tels les agents publics ou privés, les fonctionnaires des localités et les retraités font l’objet d’une discrimination cruelle à moins que leurs revenus de travail ou leurs prime de retraite calculée en la valeur nominative du dollar ou leur équivalent. Sinon, la propagation de la dollarisation ne peut qu’amoindrir le pouvoir d’achat de leurs revenus et les affaiblit financièrement, jour après jour, menant en fin de compte à l’expansion de la paupérisation, à la chute des segments sociaux inférieurs de la bourgeoisie dans les segments pauvres des zones urbaines et rurales et à l’érosion du volume de la classe moyenne et le changement de leur mode de dépense dont ses dépenses concernant les principaux biens et services comme la nourriture et les vêtements, l’éducation et la santé ou l’achat et l’entretien des appareils électroménagers et les voitures et autres. Ce changement du mode de dépense de la classe moyenne portera également sur le voyage, le tourisme et les loisirs.
Vu les effets de la dollarisation, il faut dire que les personnes vivant du revenu de leur travail ou à revenu fixe n’ont pas les outils leur permettant de se protéger du spectre de l’inflation, Ils sont les victimes certains de ce phénomène. Pour mitiger les conséquences d’une telle situation, les gouvernement cherchent à indemniser leurs citoyens à revenus fixes en leur accordant des primes. Les gouvernements- tel le gouvernement d’Erdogan en Turquie- pensent qu’accorder aux travailleurs une prime importante correspondant à un certain pourcentage de leurs salaires et traitements - même si elle ne représente pas de vraies ressources de la couverture monétaire supplémentaire- signifie les aider à se défendre contre l’inflation et la dollarisation. Ils ignorent ou font semblant d’ignorer qu’ils ne font que jeter de l’huile sur le feu de l’inflation et enclenche le moteur de la dollarisation avec de l’essence supplémentaire.
Les chanceux
Quant à ceux dont le revenu est en dollars ou en devises étrangères et que représentent une large part des familles égyptiennes à la charge de leurs enfants expatriés, ils sont capables de surmonter les effets négatifs de la dollarisation et maintenir le pouvoir d’achat de leurs revenus en dollars ou devises étrangères converties sur place en Egypte et obtenues soit à travers les banques ou à travers les bureaux de change ou les sociétés de transfert d’argent ou même par les soins d’un passager cousin ou ami de retour du pays où ils travaillent. On compte également parmi les catégories qui jouissent de leurs revenus en dollars ou leurs équivalents les employés des sociétés étrangères ou les technocrates qui détiennent leurs propres sociétés ou exercent leurs business en travaillant avec des compagnies étrangères et reçoivent leurs traitements en dollars.
Pour les personnes dont les revenus sont le produit du revenu du capital à l’exemple des bénéfices, des répartitions du capital et des loyers des biens immobiliers, ils bénéficient de la dollarisation de deux manières différentes : ou profiter de la flexibilité des prix des biens et services présentés au consommateur en les augmentant à un niveau supérieur à la hausse du cours du change du dollar versus la monnaie locale- comme on l’a cité précédemment au sujet d’assurer la devise étrangère à court terme et par conséquent augmentent leurs revenus et bénéfices de manière à dépasser le coût supplémentaire provenant de la hausse du dollar ; ou procéder à une réévaluation des actifs d’investissement qui leur sont propres dont les réserves selon le nouveau prix du dollar en monnaie locale. Si la valeur des réserves la veille équivalaient à 100 le lendemain , elles seraient de l’ordre de 100+ après l’ajout de la valeur du dollar en monnaie locale, abstraction faite du prix du composant importé dans ces réserves. Ainsi le phénomène de la dollarisation est une médaille à double face : négative pour les employeurs et positive pour les rentiers
Nous devons noter ici que la réévaluation des actifs des immobilisations telles que les machines, les biens immobiliers à l’exemple des bâtiments non résidentiels, les terres agricoles et autres est l’un des principaux moteurs de l’inflation, en particulier dans les étapes de la transition économique, contrairement à la situation des économies de capitaux stables, qui considèrent les augmentations de salaires ou d’énergie comme les principaux moteurs de l’inflation et l’affaiblissement de la compétitivité au niveau des entreprises et de l’économie. La hausse des prix des terres, par exemple, entraîne une hausse des loyers, des coûts de production, des prix des produits intermédiaires locaux et des prix des produits finis. Cela signifie que les employeurs qui détiennent le revenu du travail porte le fardeau du phénomène de la dollarisation. Au niveau de la politique monétaire, la persistance de la dollarisation, alors qu’elle réalise une certaine stabilité monétaire, entraîne des distorsions économiques dues à la dépendance de l’étranger du système monétaire intérieur et à la diffusion de ses effets à travers les secteurs de la production et du commerce. L’élimination du phénomène de la dollarisation nécessite donc une politique fiscale, monétaire et commerciale compatible et intégrée, que nous tenterons d’expliquer dans un prochain article.