Nombreuses sont les études qui portent sur la présence juive en Égypte et la détaillent sous ses différents aspects. Certaines d’entre elles sont impactées par le conflit politique et idéologique avec Israël et le sionisme ; alors qu’elles se caractérisent- en grande partie- par l’objectivité et l’analyse scientifique neutre exempte de toute émotivité excessive et déchaînée. Néanmoins, la place des juifs dans le roman égyptien n’attire pas autant l’attention des chercheurs. Sans égard à sa valeur artistique, ce texte littéraire est loin d’être un document historique d’où l’on peut déduire des résultats fiables; néanmoins, il est porteur de nombreux indices de portées politiques et sociales dignes de réflexion et non négligeables. Les Égyptiens juifs et les Juifs immigrés en Égypte y résident tout en conservant leurs identités et leurs nationalités d’origine sont présentés dans le roman égyptien comme partie intégrante du tissu de la vie quotidienne et un élément actif exerçant une très grande influence sur l’élaboration des cartes sociale, économique, culturelle, artistique et politique en Égypte. Tout le long de plus d’un siècle, les romanciers égyptiens ont scellé leurs appartenance à des écoles littéraires diverses et à des courants politiques variés. Et, alors que certains d’entre eux optaient pour l’adoption d’un parti- pris contre les juifs et le judaïsme, exprimaient des préjugés, des idées et des conceptions émanant de leur fanatisme religieux raciste et appliquaient une approche imprimée par la position politique négative contre les juifs et le sionisme, d’autres se montraient excessivement sympathiques à leur égard, embellissaient leur image et les taxaient de romantisme et d’idéalisme, leur majeure partie se caractérisaient par leur objectivité et leur modération et cherchaient à en présenter un tableau équilibré exempt de tout extrémisme extravagant. Ces romanciers se sont arrêtés devant maints aspects divers de l’histoire juive qui outrepassaient leur simple présence en Égypte à leur histoire proche et lointaine : ils vaquent à l’observation et à l’analyse du rôle qu’ils assumaient au niveau de l’action sociale, de l’activité économique, du conflit politique et de la créativité culturelle et artistique sans omettre de vue leurs relations amoureuses et sexuelles avec les adeptes des autres religions. Il est évident que cette analyse se confond avec le conflit arabo-israélien au lendemain de la proclamation de l’Etat d’Israël et de la division qui en découle dans les rangs des Israéliens d’une part et dans la position égyptienne à leur égard –sur le plan officiel et populaire- d’autre part. La répartition des juifs à travers les villes égyptiennes était loin d’être homogène : Leur majorité écrasante vivaient au Caire et à Alexandrie, les deux villes phares, placées au point de mire de l’intérêt du roman égyptien. A ce propos, il importe, d’une part, de signaler que le témoignage portant sur les juifs d’Alexandrie est très particulier d’autant plus que c’est une ville cosmopolite qui a accueilli indistinctement toutes les cultures, les ethnies et les adeptes de différentes religions; d’autre part, les péripéties de certaines de ces œuvres romanesques se déroulent en dehors de l’Égypte alors que certaines autres remontent à des périodes historiques n’entretenant aucun lien direct avec la réalité moderne ou contemporaine. Cependant le trait commun des uns comme des autres est le dilemme de « l’intégration et du boycott : Le rapprochement et la coexistence pacifique face au choc, créateur de la tension et des troubles. L’approche adoptée par le roman égyptien vis à vis des juifs révèlent des traits éminents dont :
- L’activité économique intense des juifs en Égypte et leurs compétences pragmatiques utilitaristes qui exercent un rôle clé dans la création de leur image stéréotypée qui les distingue des autres.
- La culture différente des juifs au sens large du terme qui englobe tout un système de valeurs, d’us et de coutumes qui différent des pratiques et des héritages des majorités musulmanes et chrétiennes.
- L’absence de toute discrimination, oppression ou persécution et la domination de la tolérance sur les relations qui unissent les Juifs aux autres composantes de la vie égyptienne.
- La participation limitée des Égyptiens juifs dans la vie politique par leur appartenance exclusive aux mouvements et aux organisations égyptiennes de gauche; par contre, leur activité artistique diffère radicalement et atteste d’une participation positive aux diverses manifestations artistiques telles le cinéma, le théâtre, la composition musicale et la chanson.
- L’importance et la nécessité de distinguer entre les notions de « judaïsme » et « sionisme » et « Israël ». Brouiller entre elles conduit à la confusion et à l’ambiguïté. La religion juive n’est pas objet de contestation et ne doit jamais l’être; quant au sionisme, il n’est qu’une notion raciste digne d’être refusée et combattue et Israël est l’incarnation pratique de la philosophie sioniste basée sur une vision religieuse investie en vue de justifier la tendance colonialiste expansionniste et de la revêtir d’une teinte religieuse attrayante, Cette exploitation destructive mène à l’embrasement d’un conflit politico-religieux qui complique davantage la situation de manière à ne laisser entrevoir une issue imminente à cette situation déraisonnée et confuse. En fait le génie littéraire de plusieurs romanciers égyptiens est érigé sur la place qu’occupe les Juifs à l’intérieur et à l’extérieur de l’Égypte dont à titre d’exemple: Fathy Ghanem, Edouard Kharat, Abdallah Eltoukhi, Bahaa Taher, , Sonallah Ibrahim, Ibrahim Abdelmeguid, Radwa Achour, Youssef Zidane, Achraf Echmawi et Nadia Kamel. Nous nous contentons ici d’étudier en détails trois d’entre eux : Naguib Mahfouz, Ehsan Abdel Koudous et Kamal Rahim.
1- Naguib Mahfouz: Dans son roman « Khan Khalili », l’histoire se déroule dans la période de la deuxième guerre mondiale, La bande d’amis du jeune héros Rouchdy Akef habite le quartier « Sakakini » et une relation amoureuse le lie à une jeune juive du même quartier. La forte présence des juifs dans ce quartier l’imprime d’un cachet juif que les Musulmans qui habitent le quartier Al Hussein, ce quartier populaire religieux y trouve une justification pour déroger ce quartier au traitement infligé par les Allemands nazis aux Musulmans résidants dans les autres quartiers. Dans l’abri anti-aérien, une longue discussion a lieu entre les habitants qui y prennent refuge pendant les violents raids allemands. L’un d’eux défend le dictateur allemand Hitler pour dire qu’il croit en la foi musulmane. Et son voisin de rétorquer:
« si c’était le cas, comment le Caire a été bombardé au milieu de ce mois-ci » ?
Et le premier de le justifier par le fait que le raid a ciblé « Sakakini » dont la majorité de ses habitants sont des juifs.
Pour contrarier l’Angleterre, la majorité populaire prend le parti des alliés- l’Allemagne, l’Italie et le Japon. Cette sympathie illogique va jusqu’à justifier les raids sur le Caire parce qu’ils visent un quartier habité par une majorité juive. Un sophisme patent car en fait les juifs ne constituent pas de majorité dans aucun des quartiers du Caire; et cette défense vise à confirmer que quasi l’ensemble des simples Egyptiens qui n’ont pas de conscience sociale et ont un faible niveau d’éducation ne traitent pas les Juifs comme une nationalité incrustée dans le tissu national.
Dans son roman « Le Miroir», Dr. Sorour Abdel Baqi est un homme d’un caractère exemplaire. Il fait partie du groupe d’amis dissemblables et contradictoires. Il éclate de rire lorsqu’on cite le nom de Eid Mansour et il rétorque avec sarcasme: «Maudit Shylock ! » Ce dernier est le héros juif de la pièce de théâtre de William Shakespeare « Le Marchand de Venise ». Il devient le symbole international négatif du méchant usurier juif. Eid est un égyptien musulman mais s’il est surnommé Shylock par Dr. Sorour c’est parce que ce surnom correspond le mieux à son comportement et ses actes qui vont en contradiction avec l’ordinaire et l’habituel pratiqués par les Egyptiens, Musulmans soient-ils ou Chrétiens. Son père travaille, avec les Juifs, dans le commerce de l’immobilier et a acquis nombre de leurs modes et compétences. L’enfant est à l’image de son père connu pour être avare, sévère et insensible. Les transactions commerciales qu’il a eues avec les Juifs ont impacté la personnalité de Eid qui brandit ce slogan pratique qui lui a été inspiré de ses expériences et expertises : « Sans les Juifs et les Anglais, ce pays n’en serait qu’inerte. »
Hait-il son pays ou ne cherche-t-il que son intérêt personnel ? Pour répondre brièvement, je dirai que son pays est son propre intérêt. C’est la raison pour laquelle il adopte cette même attitude étrange au cours de l’invasion tripartite de 1956 et des événements et répercussions qui ont suivi. Plusieurs de ses amis juifs ont disparu de la scène qu’il me confia un jour : « Comme je souhaiterais émigrer et mettre ma fortune à l’étranger ! et lorsqu’il s’est aperçu de la tristesse qui défigurait mon visage, il m’a dit: « L’Égypte ne peut plus servir de lieu de résidence convenable aux Intelligents ! » Puis il a lancé un rire tout amertume en proférant sur un ton sarcastique cet adage nationaliste romantique de Mustafa Kamil: « Si je n’étais pas Egyptien, je souhaiterais de l’être !. » La sympathie qu’il manifeste à l’endroit des Juifs et des Anglais et Américains n’est que l’expression minutieuse d’un parti-pris absolu pour l’intérêt individuel où qu’il se trouve sans égard au facteur de l’appartenance religieuse.
2-Ehsan Abdel Koudous : A comparer entre Abdel Koudous et les autres romanciers égyptiens de sa génération et leurs successeurs, nous pouvons dire qu’ils sont les plus à porter leur intérêt quantitatif et qualitatif aux Juifs et à leur monde soit avant ou après la proclamation de l’Etat d’Israël. Peut-être est-il le seul à ne pas omettre dans ses œuvres le développement de la position occupée par les Juifs en Égypte depuis les années trente aux années quatre-vingt du vingtième siècle. Tout le long de ses romans, nous assistons à un amalgame original entre le subjectif et l’objectif: les expériences personnelles d’une part et les préoccupations nationales qui outrepassent le personnel d’autre part. Un témoignage singulier, porteur de sens et de significations de grande importance qui n’excluent pas notre objection vis à vis de certaines de ses analyses et interprétations qui exigent de prouver leur déficience.
La présence des juifs en Égypte constitue le centre d’intérêt de son premier roman « Je suis libre », publié en 1954. Le romancier égyptien ne s’y limite pas à développer la position influente de la personnalité de Fortuné la fille de la couturière Marie. Il va même au-delà jusqu’à fournir une observation équilibrée de la dialectique de la tension et de l’harmonie entre la majorité musulmane et la minorité juive qui représente une force non négligeable dans le quartier « Daher » qui conduit à des combats acharnés entre les intimidateurs professionnels avant leur extinction. Du reste, le roman relate les détails des fêtes et des rites et cérémonies festives qui les accompagnent.
L’on pourrait dire que le roman de Koudous «Ne m’abandonnez pas seule dans ce lieu » dont la rédaction a été achevée par le romancier en 1979 pour être publiée à la même année est celui qui exprime le mieux et minutieusement la vision de l’auteur concernant la position des Juifs de l’Égypte. Le personnage de la Juive musulmane Lucie-Zeinab est le pivot incontestable et sans partage du roman. Le cours de sa propre vie est jalonné d’incidents importants qui épousent les grandes mutations de la société égyptienne depuis les années quarante aux années soixante-dix environ du vingtième siècle. Ils sont contemporains du règne du roi Farouk pour prendre fin avec celle de l’ère du président Sadate, en passant par celle de Nasser. Lucie la juive, fond dans le rythme de la société égyptienne, de longues années avant la fondation de l’Etat d’Israël ; elle entre en synergie avec les conséquences de la proclamation de l’Etat juif, la guerre de 1948 et suivantes ; elle se trouve même condamnée à témoigner des indices de la paix qui naît boiteuse et enveloppée de tensions et de trouble de manière à laisser prévoir son avortement précoce. Selon les données du roman. Les Juifs d’Égypte ne constituent pas un seul bloc homogène. Comme les adeptes de tout autre religion, ils appartiennent à des classes sociales variées et leurs statuts sociaux diffèrent entre le haut et le bas du pavé : certains d’entre eux sont richissimes et leur majorité appartient à la classe moyenne ou moindre. Lucie occupe le fond de la classe moyenne et vit, dans un appartement du quartier « Daher », avec son mari, le petit fonctionnaire, son fils, Isaac, et sa fille, Yasmine. Sa famille ne fait pas partie des riches familles juives qui rayonnaient en Égypte telles les familles Corel, Cicurel, Katawi, Baroukh, Mosseiri et autres. » Les Juifs riches snobent les pauvres. Leur identité religieuse commune ne conduit pas à combler les fossés béants qui séparent les classes sociales ou à passer sous silence le niveau économique et la classification sociale. Lucie a des visées d’ascension pour devenir l’égale des juifs riches. « Elle aspire à vivre, avec ses deux fils, la vie des grandes familles juives telles les familles Cicurell, Katawi et Merzahi, ces familles qui montrent de l’arrogance vis à vis des juifs eux-mêmes qui vivent à un niveau inférieur. » Le roman de Ehsan Abdel Koudous reflète la propagation d’une conception particulière des Juifs qui ancre la singularité de leur caractère par rapport aux Egyptiens musulmans ou chrétiens. Le romancier lui-même, dans sa définition de la personnalité de Zineb, va jusqu’à dire que le judaïsme n’est pas une caractéristique religieuse mais une manifestation d’une certaine personnalité qui dépasse de loin toute autre identité à laquelle remonte le Juif. Le Juif est Juif d’abord pour ensuite être Juif français, américain ou russe. Même à être naturalisé ou à changer de religion, il est d’abord juif. S’il se tourne vers la religion chrétienne, il est Juif chrétien, vers le bouddhisme, Juif bouddhique. Convertie à l’Islam, Zineb est devenue juive musulmane.
Une telle généralisation n’est pas saine ou correcte à 100%. C’est une confirmation grave. Elle signifie que tout Juif doit être différent ou incapable de s’intégrer dans sa société ou d’y fusionner. A cela s’ajoute qu’une telle définition s’applique à des degrés divers aux Musulmans et Chrétiens qui vivent en tant que minorités dans d’autres sociétés et c’est alors que la religion devient une sorte de patrie.
Du monde romanesque d’Ehsan Abdel Koudous, nous pouvons déduire un certain nombre d’indices et de résultats importants qui résument sa position vis à vis des Juifs.
- Premièrement : L’animosité est vouée aux juifs pour la pure et simple raison qu’ils le sont. Le romancier refuse catégoriquement de sataniser la personnalité juive ou de prétendre sa singularité exceptionnelle et surhumaine. Les Juifs sont des hommes qui ne diffèrent en rien des adeptes des autres religions. Ils diffèrent les uns des autres dans leurs qualités, idées, opinions comme dans leurs comportements de manière à nier l’idée d’une harmonie absolue entre eux tous. Ils appartiennent à des classes hétérogènes entretenant entre eux un conflit d’intérêts et ne représentent pas du tout une seule classe sociale compacte.
- Deuxièmement: La distinction doit être établie entre la sympathie à l’égard du Juif en tant que personne humaine et l’animosité vouée à l’idéologie sioniste et à la politique colonialiste d’Israël car en fait la confusion n’est pas correcte qui conduit indubitablement à de graves conséquences catastrophiques qui touchent autant les juifs que les autres nationalités.
- Troisièmement : il existe une tendance à singulariser négativement la femme israélienne tant qu’elle opte pour nouer des relations sexuelles libérées de toute entrave, morale, tradition ou coutume auxquelles sont soumis les Musulmans et les Chrétiens dans la société égyptienne.
- Quatrièmement: Les juifs israéliens d’origine égyptienne ou arabe sont les plus à manifester la brutalité et la tergiversation dans leurs relations avec les citoyens d’hier en cas de confrontation militaire; leur comportement relève de la haine, de la rancune, de l’arrogance, de l’orgueil et du mépris.
- Cinquièmement: le juif peut se convertir à l’Islam pour des raisons utilitaires. Il pourrait ne pas être pratiquant et libre de tout engagement cultuel relatifs aux rituels de sa religion mais le sentiment de son judaïsme demeure très fort car, pour lui, la religion est plus sacré que la nation.
- Sixièmement : la société égyptienne est tolérante et ne connait nullement la discrimination, la persécution religieuse ou ethnique. Partant les Juifs jouissent pleinement de leurs droits. Néanmoins, l’intégration et la fusion paraissent toujours inaccessibles : ils sont juifs avant toute chose et ne sont guère des citoyens égyptiens de souche.
- Septièmement : le monde de Ehsan Abdel Koudous rend hommage au sérieux des Juifs, à leur activité, tonus et persévérance et manifeste un intérêt objectif et neutre vis à vis de leur histoire et de leurs cérémonies. Le grand romancier ne dissimule pas la sympathie humaine à leur égard. Néanmoins, l’approche politique manque de clarté : la question est compliquée et accéder à la paix est un rêve qui se rapproche de l’illusion.
3-Kamal Rahim: Dans sa trilogie, « Cœurs esquintés », « les jours de la diaspora » et « Les rêves du retour », le romancier présente les textes romanesques les plus importants à dresser un témoignage intégral et conscient de l’Etat qu’occupent les Juifs aujourd’hui dans la vie égyptienne loin de tout excès émotif factice ou forcé. Nous n’y trouvons aucun brin de fanatisme, d’horizons étroits, de préjugés ou de jugements préétablis comme l’absence bénigne du flagrant ton politique idéologique. Le romancier enregistre d’abord une victoire pour l’homme. Les êtres humains sont les héros de ses romans abstraction faite de leurs croyances religieuses. Ces protagonistes sont un amalgame du bien et du mal, de la faiblesse et de la force de l’amour comme de la haine et pour chacun d’eux existe une part consolidée et une autre incohérente mais , en fin de compte, il demeure nécessairement un homme ne faisant partie ni du monde des anges ni de celui des démons. L’Egyptien juif Zaki Al Azra’a exerce le métier d’horloger, commun chez un grand nombre d’Egyptiens juifs comme il entretient de bonnes relations avec les habitants de la rue où il habite comme avec ses boutiquiers. Son petit-fils Galal est musulman : il est la progéniture du mariage de sa fille avec un Egyptien musulman. Zaki jouit de la sympathie de ses voisins qui ne vouent pas ce même sentiment à sa mégère de femme grossière et agressive. Ce trait distinctif n’est pas religieux : l’un comme l’autre sont juifs; il est plutôt humain et il est en rapport avec le comportement et son stéréotype adopté au cours des interactions quotidiennes.
Les Juifs d’Égypte- comme les montre Rahim dans sa trilogie- sont une partie intégrante du tissu de la vie de ce pays. Ils participent autant que les autres Egyptiens- à ses divers domaines dont la musique et les chansons. Dans une conversation avec sa femme, il évoque Naguib Al Rihani et son génie pour passer ensuite à Laila Mourad et dire : « elle fait partie d’une famille d’artistes : son frère Mounir, et son père Zaki Mourad. Comme il avait une belle voix.»
Et, il soupire et reprend : « Et si tu écoutais sa chanson « Pourquoi tu es embarrassée ? » avec la composition musicale de Daoud Hosni » Une famille artistique juive : Zaki Mourad, Laila et Mounir et le compositeur musical Daoud Hosni, l’un des génies de la musique égyptienne qui est juif lui aussi. Quant à Zaki, il est un Egyptien juif et un exemple représentatif d’une grande partie de la communauté juive qui tient à rester en Égypte, leur seule et unique patrie. Suite aux bouleversements politiques qu’a connus l’Égypte après la proclamation de l’Etat d’Israël et les conséquences et répercussions qui s’ensuivirent, Zaki s’est trouvé contraint à émigrer pour la France où il y souffre de la vacuité et du non-sens : la vie en Égypte sur les deux plans matériel et psychologique est mille fois meilleure, pour lui, que celle qu’il mène à Paris. Et son petit-fils Galal réagit ainsi : « notre appartement au quartier Daher était le paradis par comparaison à l’appartement où vit maintenant mon grand-père. »
La grand-mère s’adapte à son nouveau lieu de résidence par la feinte, le simulacre et le « ton maniéré » de son discours. Quant au vrai Egyptien Zaki, il se trouve dominé par le ressentiment et habité par la tristesse ; de plus, il refuse catégoriquement de visiter Israël qu’il ne reconnait pas comme une patrie alternative pour les Juifs. Sa nostalgie pour l’Égypte est sans fin. Et, son épouse Ivonne de dire : « il disait toujours qu’il voulait garder l’Égypte jusqu’à la fin de ces jours pour y être enterré. »
Egyptien de souche, l’intègre grand-père Zaki nous présente ainsi sa propre vision objective des choses qui doit être prise en considération: « il n’est pas juste de confondre entre le Juif, l’Israélien et le Sioniste. Ne sois pas injuste Galal à leur égard : Les Juifs- comme tous les êtres humains sur terre- comportent autant le bon que le mauvais. Certains d’entre eux ont un cœur d’or qui bonde du bien et de la justice, suivant par-là les préceptes du prophète Moïse. Certains d’entre eux ont abandonné la foi et sont devenus des apostats qui usurpent l’argent et la terre d’autrui. »
Cette généralisation est une erreur flagrante et cette pré-condamnation absolue conduit à des erreurs catastrophiques qui complique davantage les choses. Les Juifs sont pareils aux adeptes des autres religions, L’animosité politique et intellectuelle vis à vis d’Israël et du sionisme - symboles du terrorisme et racisme- ne veut pas dire d’adopter une position identique vis à vis du l’important conglomérat juif. Un grand nombre d’entre eux ni ne réside en Israël ni ne porte sa nationalité ; et un pourcentage non négligeable parmi eux rejette le sionisme et dénonce leurs vices et défauts.
Il n’est pas exagéré de dire que Zaki Al Azra’a est plutôt une légende contemporaine qui appelle notre attention et notre longue méditation afin de prendre conscience des traits et caractéristiques d’une tranche importante de la dernière des générations des Juifs d’Égypte. Jusqu’au dernier jour de sa longue vie qui s’est étendue pour environ quatre-vingt-dix ans, il n’arrêtait pas de se féliciter de son appartenance à l’Égypte. Il rêve de rentrer en Égypte et garde sur lui les clefs de son appartement qu’il s’est trouvé dans l’obligation de le quitter dans la dernière phase de la migration des Juifs. Il est né en 1896, s’installe à Paris alors qu’il avait plus de soixante-dix ans. Comment un homme pareil pourrait -il y vivre en harmonie et s’adapter à son rythme de vie d’étranger qui diffère énormément, et dans tous ses détails, de celle à laquelle il s’est habitué en Égypte tout le long de plusieurs décennies ? L’harmonisation est impossible non seulement à cause de son âge avancé mais également parce qu’il est un véritable Egyptien qui ne connaît d’autre patrie que l’Égypte, Sa loyauté pour cette première patrie et terre natale est restée intacte sans la moindre sympathie pour le sionisme ou pour Israël. Il va même jusqu’à se déclarer disposé à participer à la guerre contre l’Etat juif qu’il ne reconnaît pas. « C’est moi Zaki fils d’Isaac, fils de Joseph, fils de Haroun fils de Al Azra’a. Tous sont nés en Égypte et y ont vécu pour ne jamais la quitter pour partir ni vers la droite ni vers la gauche ». Quelle autre loyauté pourrait-elle dépasser sa loyauté pour sa patrie ?!