Les crises mondiales, déjà accumulées et entremêlées, sont devenues plus complexes au cours de l’année écoulée. Elles ont été reportées à l’année en cours. L’ordre mondial, qui souffre actuellement de la “fragmentation”, n’a pas réussi à résoudre les crises. De plus, les solutions proposées ont aggravé la situation. La guerre en Ukraine s’est intensifiée, se transformant en une guerre menée par l’OTAN avec ses armes jusqu’au dernier ukrainien. La Réserve fédérale américaine a proposé une solution à l’inflation en augmentant les taux d’intérêt, ce qui a intensifié l’inflation et propagé la récession presque partout dans le monde. Bien que les grandes puissances se soient mises d’accord sur une stratégie de lutte contre la crise climatique en vue d’atteindre la neutralité carbone d’ici le milieu du siècle, la crise énergétique, accompagnée par les sanctions contre la Russie, a avorté les programmes visant à réduire l’utilisation de combustibles carbonés. Bien que le monde ait accepté, en principe, de créer un fonds d’indemnisation environnementale et d’aide pour faire face aux risques environnementaux, tout cela a échoué au premier test lorsque le Pakistan a demandé des dédommagements aux zones touchées par les inondations. Les catastrophes, qu’elles soient naturelles (telles que les inondations, les torrents et les saisons de sécheresse), ou d’origine humaine (telles que les guerres et les massacres), sont de nature entrelacée où se chevauchent leurs moteurs, leurs répercussions et leurs solutions. Leurs répercussions s’étendent de la migration à la perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales et à la provocation de troubles politiques transfrontaliers. Faire face à de telles crises exige, sur tous les plans, des solutions multilatérales fondées sur le dialogue, non sur la guerre.
En raison de la nature contingente des crises mondiales, les politologues, comme les économistes, tentent de « forger » un nouveau terme linguistique qui exprime cette contingence. L’économiste américain Noriel Rourbini, professeur d’économie à l’Université de New York, a utilisé le terme « méga menaces » (c’est d’ailleurs le titre de son livre publié l’an dernier) pour désigner cette nature aléatoire des risques en question. Tandis que les experts du forum économique de Davos ont inventé, dans leur rapport sur les risques auxquels le monde sera confronté en 2023, un nouveau terme : « polycrises ». Cette volonté de forger un nouveau terme politique reflète bel et bien la nature complexe et imbriquée de la crise « géostratégique/ environnementale/ économique/ technologique/ sociale ». Elle souligne que ces axiomes sur lesquels nous nous appuyons dans la recherche de solutions aux crises doivent également être revisités.
Les crises actuelles, comme exprimées par les experts du Forum de Davos et comme mentionnées (Roubini) dans ses études, se heurtent à des risques différents. Leur mouvement révèle même leur interdépendance : bien que les crises soient différentes les unes des autres, elles ne sont pas autonomes par rapport à leur mouvement dépendant de celui d’autres crises. C’est pourquoi nous dirons que les solutions partielles sont inadéquates parce qu’elles prolongent les crises, les exacerbent et augmentent le coût de leur affrontement.
Unipolarité ou multipolarité ?
Cependant, pour des raisons idéologiques ou politiques, la majorité des spécialistes en économie-politique et en relations internationales ont limité leurs recherches à observer et à analyser les crises auxquelles le monde est confronté, sans définir les caractéristiques de leur dénominateur commun qui les recueille et alimente leurs dynamismes. Cela n’est en réalité qu’un manque de perspectives de recherches approfondies capables de déceler les causes des crises et trouver les moyens de les affronter.
Conscients de ce manque, des politologues occidentaux, dont Henry Kissinger ainsi que des dirigeants de pays industrialisés, notamment le chancelier allemand Olaf Scholz, ont proposé des perspectives qui vont au-delà des crises isolées, pour les encadrer dans une vision globale fondée sur l’unité du monde face aux défis écologiques et géostratégiques dominants. Au cours de l’année 2022, Kissinger et Scholz ont, à plusieurs reprises, exprimé leur point de vue liant les crises mentionnées plus haut au conflit entre deux grandes puissances : la première tend à établir un ordre mondial « unipolaire », la seconde s’y oppose cherchant à établir un ordre « multipolaire ».
Comprendre la relation entre les crises et l’ordre mondial est très important car une telle compréhension aide tant à saisir le cours des crises qu’à les régir. Le système unipolaire tend vers la philosophie de « gestion de crises », sans avoir les capacités suffisantes à les résoudre. Quelquefois, il maintient sa persistance pour en tirer profit, à la manière de Donald Trump en traitant la pandémie du Corona comme une crise qui comporte des opportunités de profit. C’est aussi un régime qui abuse de la pression, des sanctions et des guerres par procuration pour atteindre ses objectifs.
En revanche, le système multilatéral, qui dispose de mécanismes de coopération, de dialogue et de règlement des conflits, est capable de traiter la philosophie de la « résolution des crises ». Parce que cette philosophie accomplit l’intérêt collectif du monde entier. La nouvelle guerre froide, avec les crises qui s’en dégagent, est un symptôme du conflit entre les deux puissances.
Le Moyen-Orient entre le marteau et l’enclume
Ce qui s’est passé au Moyen-Orient au cours des cinq dernières années confirme que les nouvelles politiques de la guerre froide nuisent aux intérêts des États-Unis, de l’OTAN et des pays arabes du Moyen-Orient en particulier. Pendant cette période, l’influence des États-Unis dans la région s’est largement rétrécie depuis la fin de la guerre froide. Par conséquent, la polarisation régionale s’est intensifiée au plus haut niveau, sous l’impulsion de facteurs régionaux et internationaux. D’autant plus que le niveau de stabilité politique intérieure a atteint son point le plus bas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les pays de la région sont devenus une rampe de lancement pour les migrations illégales du sud et de l’est de la Méditerranée vers l’Europe. Quant à Israël, il s’est transformé en un état d’extrémisme religieux et de nationalisme. Alors que la Russie tente de former un nouvel axe politico-militaire avec l’Iran et les marchés de la Chine et de l’Extrême-Orient. Ces pays émergeants sont devenus le centre des relations économiques extérieures des pays de la région.
Or, comme précédemment mentionné, les crises de cette région ne sont pas différentes des crises qui sévissent sur notre planète. Elles sont de nature complexes, interdépendantes, voire entrelacées par des facteurs politiques, environnementaux, technologiques, sociaux, économiques, régionaux et internationaux. Ignorer ces crises ou les traiter avec des tranquillisants ou des politiques partielles ne fonctionne pas. Pour trouver des solutions des crises complexes, les hommes politiques compétents doivent nouer les liens de solidarité entre l’État et la société pour renforcer la résilience et mettre fin à l’impact des facteurs de déclin et de retard, mais aussi pour consolider les capacités du développement novateur. Sinon, la région continuera de pousser ses citoyens, menés par de jeunes demandeurs d’emploi, à l’immigration illégale vers l’Europe. En outre, si la guerre froide perdure, les inégalités et la concentration de la richesse au Moyen-Orient s’accentueront en propageant, d’une part, la pauvreté et l’injustice et, d’autre part, de fortes disparités de niveau de vie qui aboutiront certainement à la disparition de la classe moyenne. C’est une recette idéale non seulement pour les explosions sociales mais également pour les troubles politiques, d’autant plus que les répercussions les plus graves de la nouvelle guerre froide, telle que nous la voyons, sont : la hausse des prix des produits alimentaires et de l’énergie, la récession, le manque de possibilités d’emploi, l’aggravation des crises de déficits budgétaires et d’endettement et l’effondrement de la valeur des monnaies locales (comme nous le constatons dans les pays arabes endettés : le Soudan, le Liban, la Tunisie et l’Égypte). Les pays arabes, en particulier les pays pauvres, qui importent de l’énergie et des denrées alimentaires, paient le prix de crises mondiales complexes plus que d’autres. C’est pourquoi ils ont un besoin urgent de dialogue et de coopération avec le monde qui les entoure afin de créer de meilleures conditions pour la croissance et la stabilité, mais aussi d’accroître leur capacité de créer, voire de promouvoir leurs énergies les aidant à affronter et vaincre ces crises. Cela exige un véritable dialogue pour sortir de ces crises chroniques plutôt que de les « gérer ».